Banque nationale espagnole : ne rien voir, entendre ou dire

Le secteur bancaire espagnol va majoritairement mal, très mal… Et l’association des inspecteurs de la Banque d’Espagne vient de publier un brûlot : « la réaction en cas d’indices de délits était de détourner les yeux. ». Le secteur bancaire français se porte plutôt bien, avec des bénéfices en croissance. Serait-ce parce que, de nouveau, comme dans, par exemple, le cas de la Société générale, la Banque de France ne veut rien voir, rien entendre, et surtout ne rien dire ?

La réforme bancaire française censée séparer les activités de banque d’investissement et de dépôt a été totalement ou presque vidée de sa substance par Bercy (Moscovici, Cahuzac, Hamon), avec très certainement l’assentiment de Matignon et de l’Élysée.
Au plan européen, les règles dites de Bâle III (du comité de Bâle) viennent d’être considérablement assouplies. Pour répondre au risque de « paralyser l’économie mondiale ». Ah bon ?
Le calcul du ratio de liquidité est plus modéré, et le calendrier d’application est pour partie repoussé à 2019. S’il s’agit de sauver l’économie, et non les profits des banques (et les rémunérations des banksters), on pourrait comprendre.

En Espagne, il n’est pas sûr que l’Association des inspecteurs de la Banque d’Espagne, qui vient de faire un retentissant mea culpa, dont rend compte le quotidien El Pais, se réjouisse tellement de ces « bonnes » nouvelles.

La Banque d’Espagne, censée superviser l’activité des établissements bancaires, a failli à sa mission. L’association conclut son rapport par un clair et net constat : en cas de pépin ou de problème, délictueux à l’occasion, le réflexe était de détourner les yeux (« mirar hacia otro lado »). 

Au Royaume-Uni, c’était un peu la même chose, rapporte la presse britannique. En France ? Tout allait bien, Madame la Marquise, et le gouverneur Trichet est toujours bien en cour au « château » (l’Élysée).

Le nouveau gouverneur de la Banque d’Espagne, Luis Linde, a proclamé en juillet dernier qu’une commission (ou un comité) allait changer toutes les procédures et du passé faire table rase.
Il pourra se son fonder sur le rapport – accablant – de l’Association des inspecteurs.

Ils n’étaient guère informés, guère curieux, et quand la solvabilité des établissements inspectés laissait à désirer, ils constataient sans la moindre velléité d’agir, en tout cas efficacement.

Pas question de poursuivre, de sanctionner réellement, en tout cas. Exceptionnellement, on communiquait un ou deux dossiers à la magistrature (pour 2010 et 2011, ceux de CCM et Cajasur, pour 2012, uniquement ceux de la Cam et de la Banco de Valencia).

Évidemment, la direction de la Banque d’Espagne se refuse à tout commentaire. Air connu en France…

Les inspecteurs réclament à présent une formation en droit pénal et la formation d’une cellule spécialisée dans la traque des délits. Ah bon, ils n’y connaissaient donc rien, ou si peu ? C’est peut-être pour cela qu’ils étaient inspecteurs…

Il est question d’une « occultation systématique des infractions ». Et d’une formidable collusion entre services, niveaux hiérarchiques. Dont les membres étaient issus du secteur bancaire ?

Ils avaient une excuse : tout ou presque était fait pour noyer le poisson. Et l’influence politique pesait sur la direction de la Banque d’Espagne. Tiens donc… Tout était fait pour adoucir les relations avec les contrevenants. Quant à la rémunération des dirigeants des banques ou caisses d’épargne, il n’était pas du tout question de s’étonner ou de soulever des remarques. Cela ne rappelle rien en France ?

Graves erreurs et ingérence caractérisent le passé du fonctionnement de la banque nationale espagnole. Avec une lourde indulgence à l’endroit des mauvaises pratiques, de la mauvaise gestion. En cas de pépin, il était recommandé de maquiller les résultats, comme dans le cas de Bankia.

El Pais a scindé en deux sa couverture du rapport, un second article indiquant que, pendant des années, l’inefficacité fut la règle et non l’exception. Évidemment, ce n’était la faute à personne. Les gens passaient trop de temps dans des réunions (et repas ? et soirées avant de regagner les hôtels) à l’étranger, pour tenter de « coordonner » les pratiques. 

La crise immobilière fut dénoncée dès 2006 au ministre de l’Économie d’alors, Pedro Solbes, qui s’empressa de ne rien faire. Les risques divers étaient plus ou moins répertoriés, mais l’inertie s’imposait comme la seule réponse. « Les problèmes étaient connus, mais simplement, il y eut un déficit d’action ». Bel euphémisme.

De plus, l’audit in situ (dans les banques ou caisses d’épargne) était devenu l’exception et non plus la règle. Le quotidien espagnol évoque une « radiographie d’un système pervers ». Lequel contribua à élargir, approfondir et accélérer la « débâcle financière ». On attendait (que fait-on d’autre en France ?) que la reprise économique opère le miracle et cicatrise les écrouelles.

Les très grandes banques étaient mieux « supervisées » (sans doute régalaient-elles mieux : meilleurs mets, meilleurs crus, meilleurs hôtels, meilleurs souvenirs, meilleures invitations à se détendre ?) que les petites ou moyennes entités ou les caisses régionales d’épargne. Les filles auraient-elles été moins aguichantes dans les villes moyennes ? Ou bien sûr qu’à Francfort… siège présumé décisionnaire.

En plus, la complexité des règles (qui aurait échappé à la communauté financière : bien sûr, ce n’est absolument pas elle qui aurait pu l’inspirer, par exemple, en plaçant ses pions dans les instances décisionnaires) était trop forte.

Dans un éditorial, Xavier VIdal-Folch évoque « la caverne d’Ali Baba et ses quarante larrons ». Des larrons calvinistes, bien sous tous rapports, présentant fort bien. Capables de convaincre qu’ils pouvaient s’autoréguler. Air connu mondialement. Comme par hasard, c’était seulement le sud catholique, et non pas la Mitteleuropa protestante, qui était montré du doigt. Le stéréotype a été démenti, assène l’éditorialiste d’El Pais. Les torts étaient largement partagés.

Le même journal révèle par ailleurs que le « géant » pétrolier étasunien Exxon, second titan boursier mondial, avait utilisé l’Espagne pendant des années telle un paradis fiscal. Des milliards d’euros arrivaient dans une filiale qui n’employait qu’une seule personne. Évidemment, personne, mais vraiment personne, à Madrid ou Bruxelles (ou Amsterdam) n’avait rien vu. Exxonmobil Spain était en fait un prête-nom. Avec un veilleur de nuit (peut-être) pour seul et unique employé. La filiale espagnole a été absorbée par Exxonmobil Luxembourg investments, société néerlandaise et non luxembourgeoise. Personne n’a rien vu, rien entendu et surtout rien dit jusqu’à présent. Bruxelles et Francfort sont pourtant dotées d’armées mexicaines de superviseurs, contrôleurs, commissaires, &c. Mais sans tigre dans le moteur (Esso et Mobil sont des filiales d’ExxoMobil Corp, et le slogan d’Esso fut un temps « mettez un tigre dans vote moteur »). Nous sommes bien sûr priés de croire poliment à cette fable, ou à ce conte des Milles et une nuits comptables.

Tout comme nous sommes priés de bien vouloir croire qu’en Espagne, comme en France, du passé on fera table rase. Le changement, c’est maintenant ! Les Fouquier-Tinville sont à l’œuvre… Les têtes vont rouler. La bonne blague !

Ah oui, au fait, il y a un plan de licenciement du tiers de la rédaction d’El Pais (149 postes de journalistes menacés). Bah, on pourra toujours remplacer ceux du service économique par des collaborateurs issus des banques, qui pigeront pour remplir les pages. Ce sera tellement mieux ! Et ils seront mieux indiqués pour fournir des articles aux rubriques Luxe, qui rapportent des publicités.

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

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