Dédaigneux, pleins de morgue, méprisants, empreints d’un total sentiment d’impunité mais au besoin menaçants s’il était question de limiter leurs privilèges, tels sont les banksters britanniques, dont la copie conforme française n’a même pas à monter au créneau – rien ne la menace vraiment. Insolente arrogance : c’est ce qui ressort de l’attitude du Square Mile, de la City, et du « Big Business »… Le gouvernement conservateur de David Cameron les chatouille et les grattouille, mais cela leur est intolérable… pour la galerie en tout cas.

Quand les grands patrons et les grands financiers français font quelques remontrances à Nicolas Sarkozy à propos de mesures susceptibles de leur déplaire, c’est sur un ton policé…
Ils savent que c’est soit du blabla, soit contournable, qu’il y aura toujours des arrangements entre amis avec leurs futurs employés encore au chaud à Bercy.
Et puis, l’essentiel des mesures qui seront effectivement suivies d’effets, comme la TVA sociale, les avantagent marginalement.
En Grande-Bretagne, ce serait différent. Oh, finalement, assez peu. Voyez par exemple Tony Blair.
Tony Blair est à la tête de multiples sociétés, mais lorsque l’une d’entre elles, Windrush Ventures, une société de conseils et de démarches d’entregent, racle 12 millions de livres, elle n’acquitte que 315 000 d’impôts divers. Pourtant, à ce niveau, elle devrait être imposée à 28 %. Oui, mais, « on » a eu des frais. Certains indéniables (un fort loyer), des salaires plus que confortables, et encore un nouveau mobilier (ils graffitent exprès ou quoi ?). Ce qui laisse quand même 7,74 millions de livres sans affectation transparente. Ah, mais c’est que KPMG est chargée de consolider tout cela et d’organiser un rideau de fumée.
Qui disait, en 1994, « nous devrons récompenser ceux qui travaillent dur et réussissent » mais « juguler les abus du système fiscal » ? Tony Blair, qui, depuis qu’il n’est plus Premier ministre, travaille « plus », gagne surtout davantage, et s’emploie à contourner le fisc.
En fait, il se promène et cause, tel un DSK retraité, siège à la banque JP Morgan, à Zurich Financial Services, et souffle dans l’oreille du « très démocrate » autocrate du Kazakhstan, qui multiplie les statues à son effigie.
Pour le député Paul Flynn, « c’est un politicien d’opérette qui a manipulé son parti et son pays à ses propres fins ». Toute ressemblance avec une autre personne existante ou ayant existé de ce côté de la Manche serait purement fortuite…
Levée de boucliers
David Cameron a beau être conservateur, sa base électorale n’est pas composée que de boutiquiers et de rentiers voulant échapper à l’impôt. Il avait donc maintenu le taux de 50 % d’imposition (surnommé le 50p rate, ou 50 pence) introduit en 2010 par le travailliste Gordon Brown, son prédécesseur. Avec réticence, mais… Ce taux s’applique aux revenus nets supérieurs à 150 000 £ (181 000 euros, plus de 15 000 mensuels) et le Premier ministre s’est aperçu tout seul que les grosses récompenses, notamment dans les sociétés perdant de l’argent, « font bouillir le sang des gens. ». En France, elles ne le font sans doute que tiédir.
Les gros bonnets britanniques ont bien sûr tout fait pour discréditer cette mesure, avec les arguments habituels (si on les égorge, ils fuient, ne peuvent plus rétribuer les compétences, &c.), mais pas trop fort. C’est un mauvais moment à passer, mais ils sont confiants que, pour les années qui viennent, ils contourneront le poids de ce taux. Le fisc anglais s’attend donc à ce que les sommes ainsi levées s’amenuiseront au fil des années, ce qui sera un bon prétexte pour abandonner ce taux devenu peu rémunérateur. Le même scénario s’est vérifié en France.
Mais c’est sur les bonus, les avantages, les perks, consentis aux très hauts dirigeants et aux membres des conseils d’administration que la City et les ploutocrates font à présent un maximum de tapage. S’il le faut, ils porteront les différents en justice, ils ne se laisseront pas tondre. Mais de toute façon, les mesures prises sont superflues, inefficaces, contreproductives, évidemment.
Feu de tout bois
L’arsenal des arguments avancés tient de la défense du fortin français assiégé par le roi Arthur des Monty Python (dans le film Sacré Graal). Si les actionnaires (entendez les petits, le vulgus pecum) pouvait bloquer les augmentations de primes et salaires, ce que préconise le gouvernement anglais, ce serait pour lui un cauchemar. Mieux vaut évidemment la prévention, la concertation, l’autodiscipline, air connu. Cameron veut réformer les mœurs des dirigeants siégeant dans les conseils d’administration qui « se tapent sur l’épaule, et s’accordent mutuellement des hausses de revenus. ». Toute ressemblance avec des pratiques françaises ne saurait être que coïncidence… c’est là « pure fiction ».
Mais de toute façon, pour le contribuable, ce serait contreproductif. Son argent soutient les banquiers qui, si leurs gratifications étaient limitées, pourraient contester toute décision devant la justice : clients des banques et contribuables finiraient par payer, mais avec en sus des frais judiciaires. Tel quel !
Vince Cable, ministre de l’Industrie, voudrait déjà la transparence. Soit que les actionnaires se rendent compte de tous les avantages salariaux et autres, et que le montant total soit comparé avec le salaire moyen ou de base dans telle ou telle société. Car c’est confidentiel, et cela doit le rester. Les actionnaires, si on divulguait le pourquoi des primes et bonus, liés forcément à des opérations qui ne peuvent que leur rapporter gros si on les garde secrètes, y perdraient mécaniquement au final. CQFD et ne l’est pas. Mais bon, c’est comme pour l’affectation des frais de Tony Blair échappant au fisc, pas besoin d’aller creuser.
Et puis, au lieu de travailler, les membres des conseils passeraient leur temps à présenter des mesures les favorisant ou contrant, corrigeant, affaiblissant, celles qui pourraient les fâcher. Frais d’assemblées générales extraordinaires colossaux en vue. Laissez les donc vous faire gagner de l’argent, et en prendre un max au passage.
Tenez, la Royal Bank of Scotland est de fait nationalisée (sinon, elle entraînait Natwest et d’autres dans sa chute), mais son dirigeant devrait empocher 4 millions de livres pour 2011. Sans doute en toute discrétion. De 1998 à 2010, les dirigeants des compagnies cotées à Londres ont vu leurs revenus tout simplement quadrupler, a indiqué David Cameron, sans être contredit. En revanche, bizarrement, l’économie anglaise a plutôt régressé ou stagné ces dernières années. Mais qu’importe ! L’an dernier, pour 87 compagnies britanniques cotées bénéficiaires, les revenus des dirigeants ont augmenté d’un tiers tandis que les performances étaient censées, sur le papier, progresser d’un quart. Allez donc !
Pas de taxe Tobin
En revanche, David Cameron prend la défense de la City. Il verrait d’un très bon œil que la France adopte seule la taxe dite Tobin sur les transactions financières. Mais pas question de tenter de l’imposer à d’autres pays : « je le bloquerai ». Donc, le Royaume-Uni opposera son droit de veto, et ce tant que le monde entier ne se sera pas mis d’accord sur l’application et le taux de cette taxe.
En attendant, l’Europe devrait s’inspirer des mesures britanniques sur la finance, conseille le Premier ministre britannique. Une décision qu’il considère pragmatique : il serait très difficile d’assurer la transparence de toutes les transactions financières, et la fameuse taxe ne rapporterait que trop peu.
Ritournelle habituelle
C’est forcément voué à l’échec. Telle est l’antienne. « Amusant » : la taxe Tobin serait contournée, et pas le blocage des hausses de rémunérations par les actionnaires ? Les gros bonnets de la finance et de l’industrie et des services hurlent au loup mais, en catimini, laissent entendre que rien ne changera en fait dans le meilleur de leur monde. Ils comptent beaucoup sur la passivité des petits actionnaires et leur propre capacité à leur dorer leur pilule.
Et de toute façon, ils disposent encore de trois mois pour faire en sorte que David Cameron se voit épargner un camouflet direct mais que les mesures effectives soient de fait moins contraignantes. Il n’y a que l’Association des assureurs britanniques pour approuver les déclarations de Cameron, tout en mettant en garde sur les conséquences des recours judiciaires. Cela ne mange pas de pain. De toute façon, la mesure ne pourrait s’appliquer qu’aux dirigeants nommés ou recrutés après son introduction.
Cameron ne voit d’ailleurs pas pourquoi faire siéger un délégué du personnel de base dans les comités de rémunération des dirigeants servirait à quoi que ce soit. Ce serait un gimmick, a-t-il estimé. Point trop n’en faut.
Le problème, de toute façon, résume le patron des patrons britanniques, est insoluble. Pourquoi donc perdre son temps à tenter d’en débattre ?
Bah, c’est sans doute bon pour les instituts de sondages… Dans lesquels le grand patronat a des billes. Causez toujours…
C’est comme les sommets européens. L’euro fléchit contre le dollar juste avant, des commissions sont prélevées, il remonte un peu juste après, d’autres sont perçues. Plus de blablas, davantage de bénéfices. Et surtout, que rien de fondamental ne change vraiment.