Le Bal, c’est le titre, Poindron, c’est l’auteur, et c’est dans la col. Curiosa & cœtera de l’éditeur Castor astral. Factuel le chapô, suite au lapin fantasque à la suite d’une Lettre ouverte aux fantômes

Étrange. Enfin, non, venant d’Éric Poindron, l’insolite est toujours attendu (convenu et imprévisible à la fois, ce qui n’est pas ici oxymore, mais quasi-redondance). Donc, de lui ayant reçu voici peu une petite plaquette, Lettre ouverte aux fantômes, les miens, les vôtres & peut-être les leur(re)s – Le Réalgar éd. –, petite somme éveillant de multiples réminiscences littéraires d’écrivains et d’auteures ayant frayé avec les spectres, j’imaginais concevoir la suite, plus développée, plus érudite, voire carrément anthologie exhaustive de l’ectoplasmique (des apparitions aux zombies en passant par les lémures, revenants et spectres, dans cet ordre alphabétique et manuéliste) en littérature ; un truc au nième degré de la cuistrerie feinte et distanciée, égayée d’hyperboliques digressions, bref, &c., un régal pour le pédant interloqué, pris au dépourvu, devant s’armer des dictionnaires et lexiques ésotériques.  Incise : pas mal, une phrase de 750 caractères (point final exclu) pile… Ce qui me rappelle d’avoir loué un fourgon avec et Alain Georges Leduc, autre auteur, et un forfait de 3 000 km puis de l’avoir rendu avec ce total à la décimale près au compteur (anecdote aussi authentique que stupéfiante car relevant du seul hasard). D’accord, j’ai triché : le titre de la plaquette fut d’un grand secours, le point-virgule aussi. Qui veut tenter l’impossible gageure de se mettre au niveau narratif de Poindron devrait lire Straight Man, de Richard Russo, qui vaut bien d’être mis au cursus des ateliers d’écriture de l’Iowa State U. Mais pour moi, ce fut vain, la preuve… Où en étais-je ? Ah oui, après la Lettre ouvertes aux fantômes, voici le Comme un bal de fantômes (préfacé par Jean-Marie Gourio, auteur des Brèves de comptoir, poète lui-même, comme Jean Lassalle est fils de berger, frère de berger, et fut berger). Là, je tire à la ligne pour prendre élan avant de me fracasser sur l’obstacle…

Saisissable, inclassable

Si les huissiers frappent à votre porte, planquez ce Comme un bal de fantômes, avec un poème de Gourio en préface, et plus de 232 pages, au prix de 17 euros chez le Castor astral et les bons libraires. Vous seriez tentés de commettre un larcin, un cambriolage, voire pire, un casse nocturne en bande et escalade (ce qui vaut les assises) pour le racheter aux enchères si les retirages successifs avaient pris fin. Collez-le sous la table de la cuisine, la seule qu’ils vous concéderont. Ce Bal sans Bhaal – du sanscrit p(o)ur front – enfin, sauf erreur d’inattention, est un… recueil de poèmes et de très courts textes.  « Poèmes » ? Mettons que c’est composé au fer à droite, non justifié, avec paragraphes espacés d’interlignes cumulées, voire lignes séparées de blancs généreux sans que le gris typographique soit sacrifié. Poèmes donc. Voires odes. Il y a quand même plein de morceaux de fantômes dedans, puisque divers hommes blancs, âgés, morts (de jeunes métisses défuntes aussi, crois-je deviner) y figurent. Car Nabokov, pour n’en citer qu’un, est-il vraiment disparu, comme on dit pour très passé, péri en oubli ? Pour Poindron, c’est « un roman-poème en fragments » (son recueil, pas l’Vlad). Pour vous, je ne sais, mais puisqu’il l’écrit ainsi… « Une collection de poésies résolument narratives ». Là, tout à fait d’ac’ : tu l’as bien dit, non-bouffi (syn. ampoulé, grandiloquent, creux ; donc, ant. luxuriant et limpide à la fois). Vous avez les nouvelles, longues, courtes, et les haïkus non-japonais (qui sont à Villepinte ce que les tankas sont à Hokkaido, n’est-il point, Dominique de ?). (Paul) Fort comme un poète, qui s’étire (graphiquement) sur six pages, et la plupart des autres se situent dans l’entre-deux, en nb. p. et déf. gendrée. La Brunie vers N’Alien (c’est de moi, pas de Poindron, je pastiche mal, mais ne résiste pas à l’évocation de l’un des sujets qui m’est cher, moi-même) vous conterait brièvement un épisode hâlé-z’y-donc dans une localité burkinabée. En mille fois mieux, Poindron fait… mille fois mieux. Envers et pour mille riens qui exécutent (musicalement) un Grand Tout, comme il est un Grand Jeu. Poindron est Rémois, ce qui n’explique que partiellement cela. A contrario, alors que je me vautre en galimatias d’amphigouri, ce n’est nullement abscons (foin « d’articles inintelligibles » m’intimait récemment un directeur de sa bancale rédaction s’offusquant de me voir employer Douma, autocéphale et canonique à propos de la querelle entre la Rada kievienne et le patriarcat moscovite).

Délectable

Nonobstant, en dépit de quelques allusions second ou troisième degré qui passeront inaperçues des béotiens, sa facilité de lecture l’apparente plus à du San Antonio qu’à du Boby Lapointe. Pour qui connait l’auteur, quelques graines autobiographiques, évoquant des nanas connues ou que l’on aurait aimé connaître, laissées – les graines – en leur germinal état (brièveté du genre oblige), agrémentent le terreau. On passe du vénitien chevalier Mengaldo, une gypsophile au chapeau et une chanson aux lèvres, à… foultitude d’autres personnages. Ce en situations pas piquées des hannetons, avec mises en bouches émincées à l’hansart (ou « au hansart » ? Va savoir, lequel me manque… c’est une hachette expirée, aspirée par la désuétude, peu employant encore ce régionalisme), mets consistants offrant matière à songer et muser, goûteuses mignardises épurées de mignard mais nappées fumet d’aneth délicat, &c. Bref, un véritable menu Grand Siècle, davantage Curnonsky se bonifiant avec l’âge qu’Escoffier ou Carême adolescents restés kiriphiles. France culture a évoqué « un rêve-à-tout », maître et même joker. Pour Causeur, c’est « une réincarnation du bibliomane romantique Charles Nodier ». Plutôt noctambule, nocturnal, no dies et ça vous ira : ya d’la joie, de la lyre, non de l’ire. On avait le chasseur sachant chasser, Poindron est l’imaginatif imaginant, en gentilhomme au couvent d’un Montaigne, surtout pas en turquerie à livret de Lully. « Livre poétique, didactique et fascinant », dit l’éditeur. Fort divertissant aussi. En du Bellay évoquant La Boétie, il tourne un poème « qui parle de la Moselle et de patates au four » (j’affectionne placer des extraits insolites, si possible peu exemplaires ou significatifs). J’ai ouï dire que Jean-Michel Blanquer, nouveau ministre de l’Éducation, a émis une circulaire à destination des centres de documentation du secondaire, incitant à l’acquisition de l’ouvrage. Cet homme ne saurait être totalement mauvais, si toutefois la rumeur est fondée. Pour en finir… avec Debord (titre de Toulouse-la-Rose chez notre commun éditeur aussi wallon que devenu fantomatique ainsi que sa maison-demeure-en-paix Talus d’approche) et autres voraces lecteurs, et ce laïus : lisez Éric Poindron sans modération. Aussi sur Facebook (pages de son patronyme, du Cabinet de curiosités, de Curiosa & cœtera), and &c.  Traquez aussi les lectures publiques…