Bakchich/Besson : un Woerthgate chasse l’autre ?

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Il y en a qui se régale : Éric Woerth. D’une part parce qu’on ne parle plus beaucoup de lui, d’autre part parce qu’il entend rester au gouvernement. Pas forcément au poste d’Éric Besson, mais toute concurrence est bonne à éliminer. Bakchich (.info) devait attendre Bakchich (hebdo) pour en remettre une couche sur le « Capri, c’est gratuit… » de Stéphane Guillon et surtout tout le reste (Carlson WagonLit Travel, les documents fournis par Éric Besson, &c.). Qu’on se rassure, l’hebdomadaire a encore des billes que le site ne fait, ce lundi 27 septembre, que lancer en préservant ses « tacs » (les grosses billes convoitées en cours de récréation).

Soit tu sors, soit je t’en colle une. Verbatim : « Quittez immédiatement les lieux, ou je vous en fous une ». On a connu pire, venant de truands, de policiers, et de divers individus ; rarement, voire jamais, de la part de ministres en exercice. Le « cass’ toi, pôv con ! » fait donc partie des vocables d’Éric Besson. C’était, selon Nicolas Beau, joint par courriel, vendredi dernier au soir : l’altercation a eu lieu dans le bureau du ministre. « Je reviens sur l’affaire dès aujourd’hui sur le site, d’autant que notre ami Besson, dans son bureau, m’a menacé physiquement… ». Ouf, finalement, ce n’était qu’une menace de soufflet, pas de sulfateuse… pas d’envoi de « tontons macoutes ».

 

L’incident est bénin. Mais significatif. En revanche, ce que révèle Bakchich sur les documents produits par Éric Besson pour justifier qu’il a bel et bien réglé, par carte bancaire, son escapade à Capri et celle de son épouse, a le fumet du Woerthgate, le ton du Woerthgate, mais que ce n’est pas du Desmarais Dry. On le signale pour nos amis québécois qui se souviennent du Canada Dry, et qui ont quelques doutes sur la sincérité de leur Premier ministre, englué jusqu’au coup dans une affaire, non de décorations, mais de nominations. Desmarais et Sarkozy l’avaient fait grimper dans l’Ordre de la Légion d’honneur, mais c’est encore plus « corsé » (nos excuses à nos amis de Corse, même si nous ne pratiquons pas l’amalgame). Le conflit d’intérêts est patent : dans l’affaire de Carlson WagonLit Travel, autre entreprise nord-américaine, non cotée (ce qui permet de s’affranchir de quelques obligations de transparence), Bakchich en remettra peut-être des louches que nos lectrices et lecteurs ont déjà goûtées à la cuillère depuis quelques semaines.

 

« Il est facile pour une grosse agence amie du ministère de sortir a posteriori, toute forme de documents utiles dans l’urgence ». Objection, Votre Honneur, Cher Confrère, pour un simple petit ministère, une « grosse agence amie » n’irait sans doute pas jusque là. Cette agence est l’amie de tous les ministères et sa fondatrice a été faite officier de la Légion d’honneur par Jean-David Levitte, très proche de Nicolas Sarkozy, ancien chiraquien reconverti, ex-diplomate, actuel directeur du Conseil de Sécurité nationale. Elle a, naguère, bénéficié de locaux à l’intérieur même du ministère homonyme.

 

On verra, sur le site de Bakchich, les raisons pour lesquels les justificatifs du ministre « laissent toujours sceptiques… ». Revenons quand même sur l’incident dont Sandrine Arfi-Haustraete, cheffe de cabinet de Besson, fut un autre témoin. D’abord, tout se passe bien : « Air France a décidé au dernier moment de nous surclasser, » plaide Besson. Allons donc, au dernier moment ? À d’autres. Ou alors, les ministres, dans leur ensemble, doivent rire sous cape. Suivent des explications un peu légères qui ne pourraient convaincre que qui veut bien les considérer pesantes (Le Figaro, bientôt aussi Le Parisien, peut-être ?). « Il faudra l’intervention de deux de ses collaborateurs pour le contenir et l’entraîner vers la sortie, » rapporte, au sujet de Besson, Nicolas Beau. Lundi dernier, le dircab’ adjoint, Frank Supplisson, résume : « le ton était viril ». Restons-en là, l’algarade est loin d’être un fait déterminant.

 

Pour qui s’intéresse au fonctionnement de la presse et de ses coulisses, celles aussi des officines, groupes de pression, voire « barbouzes » qui gravitent autour, relevons aussi quelques éléments de réflexion. L’Argus de la Presse ne fournit pas forcément en temps réel des revues de presse à ses clients. En général, dès le mardi soir, Le Canard enchaîné arrive, par coursier, à diverses destinations. Si ce n’était le cas, il se trouverait bien un ou des ouvriers du Livre (ou autres, ou autres, Chers Camarades syndiqués) pour faire « fuiter » discrètement aux destinataires la teneur de ce qui apparaît en première heure dans les kiosques. Parfois, d’ailleurs, quand ce ne sont pas les camions de routage du volatile qui sont guettés, ce sont des acheteuses ou acheteurs qui raflent les exemplaires de toute une ville : les élus locaux importants sont en général au parfum, même en Corse (et a fortiori Outre-Mer). Dès jeudi soir, vraisemblablement, les conseillers en relations publiques et presse de Besson devaient savoir ce que Bakchich réservait à leur employeur.

 

Frank Supplisson n’était sans doute pas dès potron-minet en possession de justificatifs. Imaginez-vous Besson glissant, dans son portefeuille, tous ses relevés de débit de sa carte bancaire ? Avec Madame, en fin de semaine, ils font les comptes ? Mais passons, glissons… Et puis, au ministère, aucune carte pour les chauffeurs qui doivent, comme tout le monde, s’arrêter à d’autres pompes que celles du ministère ou des préfectures ?

 

Une manière de discréditer la presse, forcément « pourrie » et « racontant n’importe quoi » quand elle ne vous encense pas, c’est de s’accrocher à un détail, ou deux, très secondaires, pour focaliser l’attention et jeter le discrédit sur tout le travail des journalistes. Un exemple ? Ici même, sur Come4News, où un commentateur nous rétorquait : « 1 500 euros l’aller-retour, pour Capri, allons donc ! ». Vérification faite, pour deux personnes, en classe Affaires, c’est plutôt 1 680 euros, voire davantage, selon justement, l’urgence de la réservation, et d’autres critères. Mais ce fut assené assorti du jargon « maison » (celui du transport aérien, des agences de voyage). Ensuite, verbatim, « OSI ne veut pas dire officier de sécurité (là, on touche au n’importe quoi ultime) ». Et oui, c’est bien du n’importe quoi. La conclusion du commentateur : « il serait bien que ceux qui se font appeler journalistes fassent leur boulot avant de colporter des rumeurs. ».

 

J’admets bien volontiers qu’à chaud, dans la relative précipitation du « bouclage » avant mise en ligne, je n’avais, pas plus que l’hebdomadaire Bakchich, effectué de soigneux recoupements, des vérifications sur chaque détail. Il se trouve que j’avais, en tant que journaliste, été initié aux systèmes Amadeus, Sabre ou Galileo (pas à Wordspan). Il faut comprendre, voire admettre, qu’un bouclage en hebdo, pour une petite équipe, est bien plus infernal que celui d’un quotidien, beaucoup mieux rôdé, largement plus fourni en spécialistes. Les journalistes d’investigation (bon, ne polémiquons pas avec Pierre Péan sur la définition) sont parfois spécialisés, mais en à peu près tout ce qui est annexe ou connexe. Même en faits-divers il faut parfois se taper une immense documentation issue des services des Communautés européennes, des milieux bancaires (affaires Clearstream 1 et 2), des milieux aéronautiques (affaires Air Liberté, Eads). Et souvent, avant « promotion » aux « chiens écrasés » de meilleur niveau qu’en petite locale, régionale, ou à la chronique judiciaire, il ne faut pas posséder seulement le manuel d’intervention des pompiers ou le Code pénal, c’est beaucoup plus vaste.

 

C’est donc a posteriori que j’ai potassé en ligne, pendant plus d’une bonne heure, la documentation Amadeus. OSI est bien un PRN. Mais peut effectivement désigner tout et n’importe quoi d’accessible à un voyagiste, un transporteur, mais ne peut plus par exemple servir à communiquer un numéro de carte bancaire. Ce fut parfois, autrefois, le cas ; le manuel le prohibe à présent. Je vous épargne la plongée dans les arcanes d’Amadeus, dont la doc n’équivaut cependant pas à la documentation technique d’un sous-marin nucléaire (empilées, les feuilles frôlent le sommet de la Tour Montparnasse).

 

Or, nous avons maintenant tout un personnel d’officines dont le mode d’intervention est de pointer la faille minuscule, de la monter en épingle. C’est nous qui les subissons, c’est vous qui les rétribuez par vos impôts. Voyez certains rectificatifs ou droits de réponse publiés dans la presse écrite, c’est assez édifiant. Les avocats relayent parfois ce type d’argumentation. La presse en ligne participative n’a pas pour objectif de « pomper » la presse d’information générale, mais d’apporter soit des compléments d’information, soit des éclairages ou des informations agencées sous d’autres angles. Mais elle est exposée aux mêmes types de phénomènes. En pire parfois. Le « troll » total hors-sujet permet toutes les outrances, est parfois alimenté par des trollardises et des contrellardises lors de véritables trollothons, les mêmes se partageant parfois les rôles sous divers pseudonymes.

 

Hors-sujet ? Non. Cela finit aussi en « sors de là, sinon je t’en colle une ». Ou « vous n’avez rien de plus intelligent à faire que de calomnier sans finalement aucune preuve ? ». Et puis le hors-sujet, pour ceux qui n’ont plus vocation ou obligation d’« écrire pour être lus » (soit, parfois, de simplifier à l’extrême quitte à duper par omission), pour anti-journalistique qu’il soit, a parfois sa raison d’être. De même ne cherchons-nous pas à énoncer avant d’autres le pourquoi du refus de Besson de « polémiquer avec Stéphane Guillon » tout en se prenant à Bakshih, au portefeuille (voir notre précédente chronique). La claque voulue par Besson tapera au portemonnaie, espère-t-il. Il risque au contraire de réactiver un Woerthgate antérieur à l’actuel. Et là, nous ne sommes plus du tout hors-sujet. Il y a des coups qui volent bas, d’autres qui balayent plus large…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Bakchich/Besson : un Woerthgate chasse l’autre ? »

  1. J’étais sur une toute autre affaire quand Bakchich a mis en ligne son article (rdv extérieur), donc, un peu de retard… Mais on va actualiser (en commentaires) :
    Directeur adjoint du cabinet
    Frank SUPPLISSON
    36 ans. Saint-Cyr, Polytechnique, ENA. Conseiller technique au cabinet des ministres Patrick Devedjian (Industrie 2004-2005), et Renaud Dutreil
    (PME, Commerce, Artisanat, Professions libérales 2005-2007), puis au cabinet du président de la République, Nicolas Sarkozy (2007-2008 ).
    Conseiller spécial, directeur de cabinet adjoint (2008-2008 ), puis directeur de cabinet du secrétaire d’État Éric Besson (Prospective 2008-2009).
    Maire-adjoint de Montargis depuis 2001, conseiller régional du Centre depuis 2004.
    Cheffe de cabinet
    Sandrine ARFI-HAUSTRAETE
    39 ans. Assistante en communication (1997-1999), puis au secrétariat général de la fondation Vivendi Universal (1999-2004).
    Assistante parlementaire à l’Assemblée nationale (2004-2007). Cheffe de cabinet du secrétaire d’État chargé de la Prospective, Éric Besson (2007-2009).
    Si vous voyez ces deux personnes dans la rue, demandez-leur leurs versions de la scène.
    Séparément, de préférence. Mais ne demandez pas Police Secours pour les placer en garde à vue… 😉

  2. Tenez, cela n’a rien à voir, mais c’est le dernier truc de CB News…
    « [i]Le premier groupe média français sur Internet compte 100 journalistes, et 0 carte de presse (qui sert aujourd’hui principalement à entrer dans les musées gratuitement, tout un symbole). Christophe et Corinne Delaporte, les fondateurs de Benchmark group, on adopté la convention collective du Syntec. Et abordé l’information en ligne comme un monde nouveau. Christophe Delaporte était rédacteur en chef technique, avant de rejoindre l’aventure de sa femme. Le mot « technique » prend ici tout son sens. Car aujourd’hui, les groupes de presse doivent se battre contre des robots. Lagardère n’a pas racheté Benchmark, sans doute aussi pour cette raison : difficile de mélanger encartés et désencartés. Ce faisant, il a raté son dernier virage pour conquérir ces nouveaux espaces[/i]. »
    Où va la presse ? Je n’en sais rien, mais quand vous n’aurez plus du tout Siné Hebdo (c’est déjà fait), Bakchich ou Rue89, ou… (nommez-les), vous vous chanterez peut-être la chanson du boulanger (un sketch de Fernand Raynaud, en fait…).

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