L’hebdomadaire Bakchich et son site (.info) titrent sur le voyage de noces d’Éric Besson qui aurait pu bénéficier de largesses de la part de l’agence Carlson WagonLit Travel (CWT), tant pour sa personne que pour celle de son épouse, Yasmine Tordjman. Le ministre annonce son intention de porter plainte pour diffamation, l’hebdomadaire annonce de futures précisions.

Il suffit d’utiliser un moteur de recherches et les mots « Carlson » et « Besson » pour voir que le scoop de Bakchich n’est plus une simple exclusivité, mais bien une info reprise et répercutée au moins presqu’autant – mais pas par tout le monde que l’affaire des cigares de Christian Blanc. Ce dernier, dans L’Express, avait déclaré « l’enquête de l’Inspection générale de l’administration donnera les éléments pour démêler les choses. ». Il aurait en tout cas été plus simple de publier les fac-similés des trois chèques que Christian Blanc affirme avoir signés. Éric Besson a pris les devants, et communiqué à l’AFP une copie de la facture et de l’autorisation de débit de sa carte bancaire. J’ai cherché en vain ces visuels via Google. Je relève simplement que la presse britannique se serait empressée de les publier si un ministre du Royaume-Uni s’était livré à ce genre de commande suspecte et s’en était disculpé.

 

Notre presse hexagonale est bien plus soucieuse des convenances et respectueuse des autorités. Certes, en classant ses articles sur Besson sous la cartouche « Filouteries » dans son sommaire, Bakchich n’a pas vraiment pris des gants. L’éditorial de Jacques-Marie Bourget, qui mentionne Monsieur 600 mètres carrés (un hectare, combien de centiares ? 600 m², un gaymard) ou les jets de Christian Estrosi et d’Alain Joyandet, « oublie » certainement, faute de place, Christian Blanc et… quelques autres. Mais je ne vois pas trop où il y a matière à poursuites en diffamation. « Besson aurait-il bénéficié du crédit de miles accumulés par Carlson Wagonlit (…) cette société s’occupe aussi des vols “retour simple” des sans-papiers qui ne viennent jamais réclamer leur bonus kilométrique, » ironise Jacques-Marie Bourget. Pour le reste, Xavier Monnier, directeur de la publication et auteur de l’article, seul, sans doute pas en compagnie du titreur imprudent s’il en fut (il serait étonnant que ce titre, « Besson s’envoie en l’air gratis », ait échappé à la vigilance du directeur et signataire), pourra très certainement plaider la bonne foi. D’autant mieux peut-être que Bakchich promet la publication de « nouvelles billes » dans sa prochaine édition.

 

Nous aussi, à Come4News, nous nous plions à certaines convenances. Nous n’allions pas « casser » en partie les ventes de Bakchich en déballant certaines infos relatives à Carlson WagonLit (voire aussi au groupe hôtelier Accor) qui sont d’ailleurs connues, pour partie, de nos lectrices et lecteurs. Si en revanche, je « brûle » en interne la politesse au confrère Michel, la lecture de son billet « Jevah off : je sais tout… mais je ne dirais rien ! », et de ses précédents articles (dont « Soit la diffamation, soit la censure »), et surtout de son entretien avec Jean Galli-Douani, voire leur relecture, n’est pas perte de temps. Les principaux faits furent divulgués bien précédemment, notamment par l’émission Le Quotidien des Sans-Papiers de Medialternative (.fr). C’était en 2008 et le titre du générique est explicite : « La Caisse noire du ministère de l’Intérieur ». Elle est consultable via le lien précédent.

 

En revanche, très beau coup de Bakchich dont les documents, publiés en page 5, ont été largement piratés (par numérisation), et qui circulent donc sur divers sites. Sans présumer de la nature de la suite que donnera Bakchich, et en vous recommandant d’acheter l’hebdo en kiosque vendredi prochain, soulevons déjà quelques points.

 

S’adresser à Carlson WagonLit n’était pas scandaleux de la part de Besson : cette agence traite tous les déplacements de tous les ministères, et il est fort possible que Besson ne fut pas mis au « fumet » du pourquoi du comment du choix de cette société lorsqu’il a reçu son portefeuille. D’autre part, si l’Intérieur impose deux accompagnateurs à tout ministre en déplacement privé, il est loisible de penser que le « de nouveau » jeune marié n’ait pu contourner la règle. Cette agence réserve quelques largesses à ses clients, et ceux qui s’adressent à elle de manière privée tout en étant par ailleurs « clients » de par leurs fonctions gouvernementales, sont particulièrement choyés. C’est humain de ne pas trop s’interroger, et l’emploi du temps d’un ministre fait que, même s’il voulait embarquer sur un moyen-courrier d’une compagnie low-cost, incognito, il devrait mobiliser son secrétariat d’une manière frôlant l’abusif. Et puis après tout, si, comme Liliane Bettancourt, Éric Besson et Yasmine Tordjman veulent « brûler » six à huit fois le montant d’un billet low-cost, c’est leur « pognon ». Pour les prochaines escapades, quand ils ne pourront peut-être plus s’adresser aussi facilement à CWT, je leur signale aimablement le site FlyLowCostAirlines, bien pratique. Utiliser plutôt la SNCF et un bus de la Ville de Beauvais pour se rendre à l’aéroport : ce n’est guère moins cher, mais c’est plus civique.

 

Il serait farce que ce couple sympathique soit descendu, à Naples, au Mercure Napoli Angionino Centro. C’est un établissement du groupe Accor, lequel accorde aussi des facilités aux ministères et héberge des sans-papiers. La nuitée au meilleur tarif pour deux personnes est à 124 euros (un peu moins en promotion). Serait-il impertinent de demander au ministre de fournir aussi à l’AFP la facture hôtelière et la preuve de son acquittement par lui-même ou son épouse ? La presse britannique ne se serait pas contentée des seuls justificatifs relatifs aux billets… dont elle aurait d’ailleurs exigé les originaux.

 

Ne nous appesantissons pas sur le fait que le billet destiné à Yasmine Torjman était libellé ainsi :
OSI AF VIP OFF DELEGATION DE MR BESSON MINISTRE.

Soit code agence relatif au type de passager ou de services (aéroport, à bord), Air France, &c. Bien sûr, la Direction du renseignement (MAM serait encore à la Défense qu’elle aurait pu actionner le renseignement militaire, là, c’est difficilement envisageable…), celle du ministère de l’Intérieur, peut-être à l’initiative du père d’un jeune motoriste arrogant, soit Frédéric Péchenard, le DGPN, va s’empresser d’aller vérifier ces originaux : il ne faudrait pas « rater » Bakchich si ces fac-similés auraient été falsifiés. Dans un pareil cas, Scotland Yard aurait sans doute déjà fait parler les disques durs de Carlson WagonLit. Cela même si elle était dirigée par une MBE (Member of the British Empire) et donc une lady. Marylin Carlson Nelson a été décorée de la Légion d’honneur par Son Excellence Jean-David Levitte, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, et est aussi titulaire de l’Ordre (suédois) de l’Étoile polaire et de celui (finlandais) de la Rose blanche. Le tourisme mène à tout, y compris aux plus hautes distinctions. Les fondations charitables aussi, et madame Carlson n’en manque pas : elle est d’ailleurs comme chez elle à la Fondation Jean Moulin du ministère de l’Intérieur : revenez, Madame, quand vous voulez… le plateau sera garni.

 

Ce n’est pas parce qu’elle s’inquiète du tourisme sexuel visant les enfants que madame Carlson s’occupe des déplacements des enfants Rroms ou Roumains. Elle est confondatrice de la World Childhood Foundation, qui s’intéresse aussi aux petits gitans et enfants des rues : « somos líderes en el mundo en  tender la mano a los niños más vulnerables: niños de la calle, niños sexualmente abusados y niños en instituciones. ». Ses actions sont largement moins suspectes que celles de certains orphelinats caritatifs haïtiens (réservés aux enfants des familles très aisées, avec quelques réels orphelins parfois employés en tant que domestiques). Cette fondation anime en Russie un programme Mission Possible destiné aux enfants et adolescents des rues ; elle n’est pas présente en Roumanie mais l’est en Moldavie, à Chisinau : on ne peut être partout.

 

Il est aussi fort possible que la main droite de Besson, mal informée, ignore ce que fait sa main gauche. Il est aussi fort déplorable que la presse, qui, surtout ces derniers mois, voit des filouteries partout, puisse se laisser abuser par de simples apparences. Rappelons que la presse les rapporte mais, jusqu’à nouvel ordre, ne les suscite, ces affaires, abusivement que très rarement. Jamais d’ailleurs, comme Le Canard enchaîné, dont est issue pour partie la rédaction de Bakchich, sans fortes présomptions. Quant aux plaintes en diffamation (au fait, on sait ce qu’il advenu de celle de Sylvie Noachovitch, pas vraiment de celles des époux Woerth), on sait aussi ce qu’il en est parfois : Bakchich n’aurait peut-être pas les moyens de se porter en cassation. Contre Nicolas Poincaré (pour le Canard, elle a su jouer de prudence), Sylvie Noachovitch a obtenu un euro alors qu’elle en demandait 200 000 (la cour d’appel a estimé que ses propos douteux et paroles déplacées, auraient dû être « replacés dans le contexte des plaisanteries de fin de repas [mais] n’étaient pas nécessairement révélatrices de sentiments racistes »). Le Canard, beaucoup plus « auvergnat » qu’Hortefeux, dispose d’une cagnotte pour tenter systématiquement la cassation si cela s’imposait. En portant plainte, Besson n’encombre-t-il pas inutilement les greffes et tribunaux ? Serait-ce pour indisposer Michèle Alliot-Marie, considérée moins bien en cour ? Borloo, finalement beaucoup plus gravement égratigné que Besson dans le même numéro de Bakchich, va-t-il aussi s’y mettre ? Brice Hortefeux s’en est pris, lui, au Berry ripoublicain.

 

Ah, au fait, Le Parisien, qui a repris «avec l’AFP » l’information selon laquelle Besson tenait à rester ministre, s’est contenté de la reprise intégrale de la dépêche sur Besson et Bakchich, sans le moindre commentaire superflu. Idem pour Le Figaro de Dassault. Ah, la grégarité et le manque de curiosité de la presse ! On se croirait revenu aux timides débuts du Woerthgate dans Le Figaro.