Si ça continu, le prochain James Bond sera signé Quentin Tarantino. Casino Royale avait déjà un petit quelque chose de Pulp Fiction et Quantum of Solace ne fait que confirmer la tendance : la violence, plus crue que jamais, devient l’argument majeur du film. Avec Daniel Craig, c’est le corps du mâle qui est mis en avant, exhibé. Un corps joliment sculpté mais souvent martyrisé (la scène de torture de Casino Royale est d’une violence inouïe qui annonce la nouvelle couleur de la série). Sean Connery et Roger Moore étaient virils, certes, mais leur Bond était d’abord un épicurien et la violence était mise en scène à la manière d’une chorégraphie plus proche d’un film de karaté que de Reservoir Dogs. L’ancien Bond gardait la tête froide – dans la guerre comme dans l’amour –, appréciait les plaisirs de la vie et consommait les femmes sans éprouver de sentiments. Pierce Brosnan présentait une telle ressemblance physique avec Roger Moore que la continuité était une évidence. Avec Craig, dont le physique est plus proche du boxeur que du gentleman beau gosse, les producteurs ont choisi la rupture, si bien que le macho glacé, désormais sentimental et doté d’une touche de psychologie, se transforme en cet homme nouveau volontiers représenté dans la pub depuis quelques années : on pourrait presque l’imaginer père ! Cette nouvelle masculinité, plus physique et émotive, est aussi beaucoup plus exposée car moins protégée par la science et la technologie. Bond reste un pilote de première classe dans l’air, sur terre et en mer, mais il ne peut compter désormais que sur ses talents et ses muscles. Même le fameux Q, ingénieur en chef des services secrets de Sa Majesté et maître ès gadgets, a pris sa retraite, un départ qui a entraîné la fermeture de tout le service. Outre-Manche aussi, semble-t-il, on ne remplace qu’un partant sur deux. Quoi qu’il en soit, 007 ne peut plus compter entièrement sur la technologie dans son combat contre le Mal. Dans Casino Royale, on pouvait encore assister à quelques prouesses de haute tenue scientifique et médicale, mais Quantum of Solace annonce un retour aux sources. 007 s’en va-t-en-guerre armé de son vieux et fidèle pistolet Walter PPK. Pour mémoire, le célèbre Polizeipistole Kriminalmodell, entré en service au début des années 1930 en Allemagne, fut l’arme emblématique des officiers de la Wehrmacht et des officiels du Parti. Hitler s’en est même servi pour se suicider. C’est donc armé de cette relique de la créativité allemande des années 1920 que Bond doit affronter les menaces du XXIe siècle. Adieu voitures volantes et submersibles, armées de missiles à tête infrarouge, fini le stylo-mitrailleuse et la cigarette-grenade. Il faut courir, escalader, se battre au canif ou piloter un Dakota DC-3 pas beaucoup plus jeune que le Walter PPK. Ces reliques marquent le retour à la case départ de la série née avec la fin de Seconde guerre mondiale et la Guerre froide. Malgré cet arrière-plan géostratégique, James Bond n’a pourtant jamais visé ouvertement les Soviétiques (du moins avant les années 1980), et les ennemis de l’humanité (donc ceux de Sa Majesté) étaient des organismes privés dirigés par une succession de Dr No, dont le but suprême était toujours le pouvoir et l’argent. Tout comme les ennemis de Superman, Batman et compagnie, celui de James Bond est un homme d’affaires sans états d’âme ni scrupules, un scientifique à la tête d’une multinationale qui cherche à rançonner le monde entier. Quand la rivalité Est-Ouest fait irruption dans l’intrigue, c’est qu’elle est manipulée par le méchant capitaliste pour mener le monde au bord d’une guerre mondiale. C’est peut-être là l’un des secrets (car un tel succès ne peut en avoir qu’un seul) de ce Bond nouvelle manière : ce n’est pas seulement le combat entre le Bien et le Mal, c’est celui d’un gentleman contre un patron-voyou, d’un bel homme cultivé et plus très jeune (donc à la fois père et amant) au service d’un Etat contre un homme d’affaires cynique et cupide. Ce n’est sans doute pas un hasard si le titre de ce dernier opus fait penser à Quantum Group, le célèbre hedge fund de George Soros, enregistré à Curaçao et aux îles Caïman. James Bond serait-il un dangereux rebelle anti-capitaliste ?