Sébastien Bennardo, révoqué de la police en août 2012, sera donc le seul policier de la Bac Nord de Marseille à ne pas bénéficier du coup d’éponge général. Tout le monde est soit muté, soit réintégré à Marseille, sauf lui. Car saisir de l’argent, des stupéfiants, des cartouches de cigarettes, et en tirer profit personnel était certes répréhensible, mais la hiérarchie aurait omis de le signaler aux intéressés. Un oubli véniel, sans aucun doute.

Cela remémore très fort l’histoire de ce jeune musulman de 18 ans, condamné au Royaume-Uni à un simple suivi, car, dans sa madrassa (école coranique), on ne lui aurait pas inculqué qu’un viol assorti de diverses autres violences sur une jeune mineure de 13 ans était répréhensible.

Pour la Bac Nord de Marseille, c’est similaire, peut-on tenter de comprendre (sans trop réussir).

La loi, le code de procédure pénale, les consignes, encore faut-il les connaître et savoir les interpréter.

C’est ce qui vaut à 17 policiers de la Bac Nord phocéenne de retrouver arme de service, affectation, traitement, &c., après leur mise en examen et même longue détention.

On se sait qui, de la hiérarchie policière ou du syndicat Alliance Police, a fourni les éléments de langage à Me Frédéric Monnet, avocat de deux policiers incriminés. Il a expliqué à Louise Fessard, de Mediapart, qu’on expliquait à ses clients « qu’il ne fallait pas perdre de temps en formalisme quand ils trouvaient des cartouches de cigarettes ou des barrettes de shit », et ses clients « ne savaient pas que c’était une obligation légale de le signaler dans un cahier spécial ». Ni que la dissimulation de pièces à convictions et leur appropriation à son profit était répréhensible.

Greffières, greffiers, qui puisez des armes pour les revendre dans des sous-sols de tribunaux, qui fourguez des bijoux volés non restitués, ne vous gênez plus : la nouvelle jurisprudence est de votre côté ! Il faudrait au plus vite d’ailleurs réhabiliter une greffière de Montbéliard, qui n’avait finalement commis qu’une imprudence en voulant faire de la place…

Enfumage

Déjà, quand Patricia Tourancheau, de Libération, avait longuement rencontré Sébastien Bennardo et ses contradicteurs, on l’avait aussi « enfumée » de la sorte. Il n’y avait dans le dossier que de très légères infractions déontologiques, quasiment assimilables à des absences non justifiées par une lettre du papa ou de l’épouse.

Sébastien Bennardo était ce policier qui avait dénoncé les pratiques de ses collègues. L’inspection des services lui aurait indiqué de ne pas moufter lors de sa révocation pour ne pas mettre tout le dossier par terre et alerter collègues et hiérarchie. Il faut croire que c’est par mégarde, oubli, que des bijoux se retrouvaient aux domiciles ou planqués dans un faux-plafond : c’était du fait du manque de place… Et puis, après, on ne savait plus trop dans quelle planque, dans quel tiroir, pouvaient bien se trouver les liasses de billets, ou si on ne les avait pas dépensées par mégarde.

Manuel Valls l’impitoyable a bien des indulgences pour les têtes de linottes. Circulez, il n’y a plus rien à voir, rien à dire, et le ministère ne communique plus sur la et les questions subsistantes.

Le procureur marseillais qui déclarait que les écoutes judiciaires des policiers révélaient des agissements allant « de la récupération de drogue sur des dealers, de cigarettes, d’argent, des pratiques de perquisitions illégales » à « des partages d’argent et de drogue » a dû mal entendre ou mal interpréter. L’aurait-il estimé en audience qu’il ne pourrait lui être reproché des propos diffamatoires, des injures publiques, une volonté de nuire à la réputation des policiers. Hélas, ce n’est pas le cas pour lui : on s’attend donc logiquement à ce qu’il soit à présent l’objet de poursuites et d’une sanction exemplaire.

Tiens, au fait, certaines consignes étaient ignorées, non point sciemment, bien sûr, mais d’autres respectées, comme celle « de lever le pied avant le week-end » et de ne pas procéder à des interpellations le vendredi, ce que faisait, non point impunément, Sébastien Bennardo.

Lenteur et circonspection

À Marseille, le shabbat policier s’étendait du vendredi au lundi matin (sans doute après le pastis). Il semble que Sébastien Bennardo ait davantage cédé à la pression des commerçants qu’à celle de son supérieur, le capitaine Albert Plazza (promu depuis ailleurs). « Comme je suis de Marseille, des commerçants faisaient aussi passer des messages à mon père ».

En vain. Avis aux inspecteurs du fisc parisien qui ont récemment coincé l’un de leurs collègues qui rackettait les commerçants du bas du Xe arrondissement : pour une fois, cela passe, mais…  surtout n’en faites pas trop.

Ah, où est l’heureux temps du commissariat parisien de la Roquette, quand le commissaire (abattu depuis dans un sous-sol de parking, une affaire toujours pas élucidée, que l’on sache), arrachait les billets de la drogue des mains de ses hommes pour la répartir entre lui, ses officiers, et balançait le reste des billets à terre pour que la piétaille se serve ! Les traditions de bizutage se perdent ! Les commerçants du quartier (où réside Manuel Valls et son épouse) regrettent aussi les agapes policières qu’ils consentaient de fort bon cœur.

Jacques Dallest, l’imprudent (ou impudent ?) procureur marseillais, assure : « le problème, c’est que les faits évoqués sont anciens, moins ils sont vérifiables, mais l’enquête est loin d’être terminée. ». Surtout, pas de hâte excessive. Tout comme pour le cambriolage du domicile de Sébastien Bennardo, par exemple…

D’ailleurs, Manuel Valls, digne successeur de Pierre Joxe au ministère, avait mis en garde : « contre les rumeurs, les informations, les mauvais coups qui consistent à tout salir pour déstabiliser ».

Le 22 février 2012, une information judiciaire avait été ouverte pour des faits de vols et d’extorsion commis en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants, à l’encontre des policiers. Il y avait une trentaine de policiers visés.

On comprend mieux

En fait, comme l’avait déclaré Manuel Valls, « trop souvent des gardiens de la paix et des gradés se sont retrouvés seuls ». Et si mal informés ! Certains avaient donc pris « de mauvaises habitudes ». La réhabilitation par le sport est aussi en cours : à Marseille, une nouvelle cellule de formation a été confiée à trois moniteurs. Apprendre la déontologie en s’amusant et en survêtement, quelle bonne idée !

On se demande aussi à présent si conserver des policiers victimes d’absences de mémoire en détention jusqu’à la mi-décembre (depuis début octobre dernier) s’imposait vraiment. Ne conviendrait-il point à présent de les dédommager ? D’autant que leurs émoluments avaient été suspendus…

Désormais, on comprend mieux la fameuse sortie de Manuel Valls : « il n’y a pas de place pour ceux qui salissent la police ». Et réciproquement ? En Tchéquie, des auxiliaires de police badigeonnent des crottes de leurs chiens les maîtres les laissant se soulager sur la voie publique. On devrait y songer pour les magistrats trop impétueux ?

Ah, désormais, les policiers réintégrés veilleront à bien se curer les ongles avant de reprendre leur service. Si, faute de petits sachets, ils ne pouvaient déposer d’éventuelles traces de poudre, eh bien, on ne saurait leur reprocher de s’affranchir de formalités.

Bizarrement, rapporte La Provence, les juges Patricia Krummenacker et Caroline Charpentier considèrent toujours que l’affaire n’a pas « tout dévoilé » et qu’un procès d’assises reste envisageable avec à la clef des peines allant jusqu’à vingt ans de prison. Mais pourquoi ne pas simplement correctionnaliser ou s’en remettre à juge de proximité, un ancien policier, par exemple ? Qui saura prodiguer les admonestations qui s’imposent… Au pire, copier cent fois quelques passages du code de procédure ou de consignes internes devrait suffire.

Préventivement, l’auteur de ces lignes copiera à la plume sergent-major « j’ai toute confiance en la police et la justice de mon pays ».