Désopilant éditorial d’Yves Thréard, ce mardi 21 février, étalé en pied de la une du Figaro. Cela se conclue par l’appréciation que l’antisarkozysme « ne saurait suffire pour emporter l’adhésion du pays réel. ». Un pays où il y aurait les méchants et les gentils. C’est un peu oublier que les gentils, surtout déçus, peuvent devenir vraiment très méchants et confondre le « pays réel » et celui des électrices et électeurs, soit devenir de détestables votants.

Pour Le Figaro, c’est joué. Hier, même un amateur barbu de heavy metal voulait poser aux côtés de Nicolas Sarkozy, tout sourire (le barbu, car le candidat tirait la tronche). Ce mardi matin, Nicolas Sarkozy est à Rungis et il est sûr que les crémières et les poissonniers bien choisis vont accueillir jovialement « not’ président ». Pour de multiples raisons. D’abord parce que ce sera assez balisé pour ne pas rééditer le coup du « cass’ toi », quand un quidam avait refusé de serrer la main de Sarkozy au salon de l’Agriculture, ensuite car, c’est humain, la France qui se lève tôt n’a pas souvent l’occasion de montrer sa bobine de si bonne heure à la télévision.

Je ne sais s’il se trouvera des journalistes pour demander à ceux qui souhaitent être pris en photo aux côtés de Nicolas Sarkozy s’ils ont l’intention de voter pour lui. Ce ne sera sans doute pas un ou des (pour suivre Sarkozy, il faut du renfort) journalistes du Figaro.
Chaque jour, Nicolas Sarkozy va se montrer quelque part, à la Chirac, au contact du « peuple », et vanter son bilan. Ou contrer les opposants et concurrents. Là, à Rungis, c’était Marine Le Pen qui, forte quand même de quelques études, rapports, avait estimé que tous les abattoirs d’Île-de-France pratiquaient massivement l’abattage halal. Première déclaration de Sarkozy à Rungis, où débarquent effectivement des carcasses provenant d’autres régions, il ne serait consommé que 2,5 % de viande casher et halal dans la région francilienne.
Pour qui avait fait de la rue d’Enghien, en 2007, son siège de campagne, cela démontre un léger défaut d’observation. En plein dixième arrondissement, mais aussi en banlieue, et dans d’autres coins de Paris, trouver une boucherie qui ne soit pas halal, c’est partir à la recherche d’une boucherie chevaline.

C’est idiot, mais comment Bruno Le Maire peut-il avancer par ailleurs qu’il aurait 14 % de viande halal vendue en France et seulement 2,5 % en région parisienne ? Il faudrait croire qu’à Lyon ou Marseille, ou Lille et leurs régions, il n’y a que de la viande halal à être consommée ?  Ou alors, bien sûr, on peut jouer sur les mots, cumuler viandes de porcs, volailles, etc., et soustraire les viandes ovines pour enfouir la bovine sous un monceau d’autres morceaux. Ou encore, prendre en compte le fait que, quand le rabbin ou l’imam a le dos tourné, on abat à sa guise, ce qui est fort probable.
Mais effectivement, cela vaut-il le coup « de faire une polémique pour ça ? ». Balancer ainsi des chiffres à cinq décimales près, c’est à coup sûr l’entretenir. Plus cocasse, faire croire que la viande « francilienne » (consommée en IDF) provient majoritairement de Rungis, comme le soutient Le Maire. On voit qu’il ne mange qu’au Fouquet’s ou chez lui, ou dans son ministère, jamais une boîte de conserve ouverte et réchauffée sur un chantier, un plat cuisiné passé au micro-ondes du bureau, &c. Ajoutons que, comme en Grèce, tous les « gyros » proviennent à présent de grossistes.

Confusions

Selon Thréard, François Hollande aurait confondu son impression « composée à la lumière des médias, avec la réalité de l’électorat. ». Ce n’est quand même pas des médias « qui comptent », soit TF1 et la presse pipeule, ou Ouest-France et tant d’autres régionaux, auxquels Thréard fait ainsi allusion ? Mais il a peut-être raison, cette réalité, c’est sans doute une formidable masse d’abstentionnistes, qui vont sans doute voir Nicolas Sarkozy partout, chaque jour, et n’en seront pas forcément portés à voter François Hollande. Tant qu’à faire, par réaction, elles et ils pourraient bien ressentir des velléités de voter n’importe qui d’autre, ou n’importe quoi, sans forcément passer à l’acte de se déplacer.

François Hollande, tout autre, n’a guère besoin de « l’adhésion du pays réel ». La non-adhésion à son adversaire peut largement lui suffire. Et Thréard pourrait y contribuer.

Mais ce que ne comprend sans pas Thréard et quelques stratèges sarkozystes, après cinq ans d’effacement de Fillon, de ministres aux ordres et ne véhiculant que des éléments de langage, c’est que, si Sarkozy omniprésent est seul, Hollande n’est pas que Hollande. Entre une diva entourée de faire-valoir et un candidat entouré d’une équipe, qui devient moins cacophonique, il y a effectivement une autre dimension. Que serait Sarkozy-bis ? Fillon-bis, MAM-bis, Woerth-bis ?

Nicolas Sarkozy a tout intérêt à personnaliser à l’extrême la campagne. Hormis sa personne, nul n’existe. Le Figaro l’aide d’ailleurs bien à se renforcer dans cette image. Ce qui dévalorise un entourage qui prend place au premier rang des grands rassemblements mais dont l’assise locale, hors de quelques villes ou régions, vacille.

Oh, certes, « le paysage a changé ». Charlie « Wally » Sarkozy est partout. Bien en évidence. Mais cela fait-il bouger les autres personnages ? Selon le nouveau baromètre Ipsos, non, « Nicolas Sarkozy ne tire aucun profit de son entrée en campagne ». Car le personnage Sarkozy, lui, ne change pas, même s’il dissimule ses garde-temps ou traîne Carla Bruni en pull Tati, chaussée Halle à la Chaussure. Ce qui est plus grave, c’est que même les lectrices et lecteurs de Thréard croient beaucoup moins à la victoire de Nicolas Sarkozy que d’un autre candidat. Car elles et eux aussi fréquentent peut-être Rungis, et entendent ce qui se dit autour d’eux. Tout comme les journalistes du Figaro peuvent très bien concevoir que l’exemplaire contenant le grand entretien de Nicolas Sarkozy annonçant des référendums ait pu très bien se vendre, sans que pour autant le contenu en ait été approuvé. Marianne se vend aussi très bien avec Sarkozy en couverture…

Souverainisme et européanisme

Ce qui pourrait faire bouger les choses, mais on ne sait au profit de qui, dépendra sans doute aussi de ce qui se produira en Europe, ces prochaines semaines et mois. Tout comme François Hollande a sans doute fait une erreur en s’en prenant – à la Sarkozy de naguère – au monde de la finance avant d’aller pêcher des voix dans le Square Mile des Français de Londres, Nicolas Sarkozy ne peut pas être à la fois européen à l’Angela Merkel et à la David Cameron.

Pour le moment, c’est le sarkocirque à Rungis, avec des amuse-gueules, comme cette histoire de viande halal. Si le débat se déplaçait sur l’emploi, avec des polémiques un peu étayés de vrais chiffres sur les qualités et défauts de modèles nationaux, la question du souverainisme pourrait réchauffer les débats de campagne. Sans qu’on sache trop qui paraîtrait le plus crédible.

On retrouve, sur le site de l’Élysée, ce jour encore : « le Président de la République s’est engagé à libérer le travail (…) de permettre à ceux qui le souhaitent de travailler davantage afin d’augmenter leur pouvoir d’achat (…) ». Il se félicite aussi d’avoir « libéré le cumul-emploi retraite » qui n’a pas vraiment réduit le chômage (plus de 40 %) des plus de 55 ans. Ce paysage n’a pas changé, le modèle, calqué surtout sur le britannique, non plus.

Changer ou se renier ?

Ce n’est pas en candidat qu’après Rungis, Nicolas Sarkozy se rend aux Boucholeurs, en Charente-Maritime, localité sinistrée par le passage de la tempête Xynthia. En tant que président, il avait interdit toute construction en zone inondable. Un certain nombre d’habitants s’y oppose. Que verra-t-on, le président-candidat ou le candidat-président ?
De même, c’est bien en chef de l’État que Nicolas Sarkozy inaugurera le salon de l’Agriculture. Le site officiel de l’Élysée en fait foi encore ce jour.

Qu’un « prédécesseur » (peut-être de lui-même) reçoive des chefs d’États étrangers ou s’entretienne avec eux, soit. Qu’il sollicite leur appui pour sa candidature, c’est pour le moins peu élégant. Qu’il continue de mélanger les genres ne l’avantagera pas peut-être pas tant que cela.
Le paysage, contrairement à ce que pense ou veut feindre de penser la direction du Figaro, est plutôt stable. C’est un jour ceci, un autre cela, un troisième son contraire. Un jour, il sollicite le Qatar (actionnaire Veolia), l’autre il dément totalement être intervenu pour caser Borloo chez Veolia, le troisième, ce jour même, alors que Borloo a démenti lui aussi, Europe 1 affirme que ce dernier « ce week-end encore confiait à un proche que c’était à 50-50 ».
Soit à sept voix contre sept, et trois ne se prononçant pas encore dont… le représentant du Qatar.

Non, décidément, quoi qu’on puisse lire, on constate toujours : il ne changera pas. 

P.-S. – sur l’affaire Véolia, le nez de Gérard Longuet s’est encore allongé : « François Hollande a amplifié, accepté et endossé une rumeur. Nous avons le devoir de dénoncer cette manipulation… ». Pauvre, pauvre Alain Juppé, obligé de faire semblant de s’exclamer que François Hollande, sur Borloo, transformerait « en une affirmation ce qui n’est qu’une rumeur sans fondement ». C’est du Éric Woerth dans le texte ?

Dès que des chiffres de diverses sources ont minoré l’effet de l’introduction de la TVA sociale sur l’emploi, faisant le parallèle avec la réduction de la TVA dans la restauration, Valérie Pécresse a rajouté, à la louche, 20 000 emplois de plus à ses premières estimations fantaisistes, du jour au lendemain. C’est un peu comme si Hollande soutenait, comme cela, que les emplois créés à l’Éducation nationale, en allaient induire 20 000, dérivés, dans le privé, automatiquement. Or, évidemment, tout emploi réellement créé peut en induire un autre (au moins des heures d’emploi, en services notamment), mais quant à chiffrer… Le sarkozysme déteint vraiment sur des gens que d’aucuns auraient pu estimer honorables (Pécresse n’avait de gamelles avant d’entrer au gouvernement).