Nous vous avions entretenus récemment des Offshoreleaks, soit de la base de données et de l’interface (publics) de consultation, sous forme d’organigrammes, de sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux et de leurs ramifications. Sur le nouveau site Infodujour (.fr), son fondateur, Denis Robert, celui de l’affaire Clearstream I, divulgue, sous forme de tableau Excel, le fameux listing de Clearstream Banking. L’original, celui où ne figurent pas les noms de dénommés Sarkozy, Plenel, ou Chevènement. Peu captivant à consulter, sauf, sans doute, pour les initiés.
Cela se présente sous la forme d’un tableau Excel de plus de 33 340 lignes et de colonnes de A à Z et AA à AI. En B21497, un certain Bernard L. Madoff. Peu de noms d’autres particuliers, beaucoup de sociétés, les banques dominant largement, figurent.
Dont Euroclear, l’autre établissement financier dit chambre de compensation.
Il s’agit du listing Clearstream établi en 2001-2005 (2005 étant l’année de la mise à jour).
Clearstream Banking est établie au Luxembourg, nous ne revenons pas sur les deux volets de l’affaire (ou des affaires) homonymes, Clearstream I & II.
Pour Clearstream I, Denis Robert a publié des livres, des articles (et même « raconté la finance » aux – grands – enfants sous forme d’albums BD chez Dargault).
Le tout, soit le tableau, est librement téléchargeable sur le nouveau site d’informations générales, régionales et locales, Infodujour, que Come4News a déjà évoqué.
Bien sûr, depuis 2001 ou 2005, certains comptes ont pu évoluer, disparaître, renaître sous d’autres intitulés, comme ceux de Dexia (dont Français et Belges n’ont pas fini d’éponger la déconfiture). Lehman Brothers (Londres) n’est plus, et ses divers comptes ont été liquidés. Enfin, peut-être pas ceux de la famille Lehman.
Comme l’indique (fort peu) Denis Robert sur Infodujour, sous le titre « Clearstreamleaks, mode d’emploi », à l’aide d’exemples, il est possible encore de tirer certains enseignements de ce listing.
Le profane comprend bien que le compte JB Morgan, ouvert chez Euroclear Bruxelles en 1998 était non publié (mention unpublished en colonne E). De même que la colonne J indique des localisations telles les Bahamas, Singapour, &c. On trouve aussi des sociétés anonymes localisées à Paris, bien sûr, mais aussi Lille ou Nancy et Lyon avec ou non des précisions telle « titres clients ». Beaucoup de banques régionales françaises, publiques, comme La Poste, à Limoges, ou plus privées, comme banque Laydernier (Annecy), figurent. Ce qui est tout à fait normal. Ou pas si normal, au fond.
« Vous allez vous promener de Georgetown à Nauru, de Turk and Caicos à Caracas, de Paris à Man ou Taipei, » indique Denis Robert. Si fait, les pays sont mentionnés (on se demande pourquoi la Corée apparaît sous la forme simple Korea ou Korea, Republic of), les villes aussi, et via Edition >Rechercher, on peut faire quelques découvertes.
Mais difficile, sans être initié, d’abonder dans le sens de l’auteur : « comme un vieux bordeaux, ce listing vieillit bien ». Je le crois assurément sur parole. Il y aurait près de 7 000 comptes ouverts dans des paradis fiscaux (42 au total sur ce listing). « Des centaines de filiales de banques françaises étaient ouvertes dans ces ailleurs aux lois faites sur mesure pour les fraudeurs… ». Naguère, alors que Denis Robert se dépatouillait dans ce gigantesque fouillis, le gouverneur de la Banque de France lui avait tout simplement confirmé la teneur de cette phrase.
« Toujours les mêmes noms, les mêmes circuits, le même aveuglement des politiques à Bruxelles comme à Paris. (…) Placer les chambres de compensation internationales (…) sous le contrôle des États et des peuples… Voilà l’unique solution à la dilapidation de nos richesses. C’est d’une telle évidence pour qui fréquente ces milieux. ». Là encore, on peut se fier, même si on ne comprend pas tout, à Denis Robert.
Prolongeons « pour les nuls » et pour raconter aux enfants : l’évidence n’est nullement une révélation pour la plupart des décideurs politiques. Jérôme Cahuzac, mais aussi Pierre Moscovici, leurs prédécesseurs, évidemment Christine Lagarde, l’ancienne ministre des finances et avocate d’affaires tout comme Nicolas Sarkozy, en conviendraient bien volontiers en privé. Ce n’est pas non plus une découverte pour le moindre haut fonctionnaire, le moindre cadre A (voire B, car de nombreux diplômés en économie passent des concours d’un niveau inférieur), de Bercy ou d’autres ministères.
Que dire aussi des journalistes spécialisés en finance, épargne, placements, &c. Aucun ne peut décemment ignorer les livres de Denis Robert ou, au minimum, leur teneur, ou une phrase similaire à celle citée supra. Aucune ! Nul ! Personne dans les desks des agences de presse, personne dans les services spécialisés des rédactions, même de la presse régionale…
Surtout pas celles et ceux des titres de presse détenus par la caisse centrale du Crédit mutuel et diverses caisses régionales (voir, sur Infodujour, l’article consacré au Crédit mutuel). Même s’ils ne traitent « que » du judiciaire ou des faits divers.
Il faut des titres tels Siné Mensuel (ou Infodujour) pour tenter de couvrir l’actualité des Prud’hommes et celle des tribunaux de commerce. Deux domaines pas trop folichons, j’admets, tout comme j’admets que le directeur départemental d’un quotidien de province n’a guère d’effectifs à consacrer à ces domaines.
En ce qui se rapporte à la finance, l’opacité tient à une omerta de fait : pratiquement toute la presse d’information générale ou régionale dépend des banques.
Quand j’étais à L’Alsace, détenue alors principalement par le Crédit mutuel régional, le moindre article, même de petite locale, pouvant mettre en cause même une banque concurrente, remontait au directeur des rédactions qui consultait le contrôleur de gestion et directeur général, issu de la banque Rotschild.
Chacune, chacun le savait, il en est sans doute de même à présent.
Les OffshoreLeaks, ce fameux listing, permettent de mieux cartographier « le trou noir de la finance mondiale », devenu plus gris, plus gris clair, mais il reste énormément à faire. On verra demain si le fondateur et éditorialiste du nouveau quotidien libéral L’Opinion fera état d’Infodujour et de cette liste toujours en très large partie d’actualité. Nicolas Baytout, de L’Opinion, « connaît les solutions » pour les retraites ; pour l’évasion fiscale, assurément, tout autant, voire encore mieux.
Des noms, un système
Jérôme Cahuzac va, paraît-il, « balancer », et « du lourd », dans un livre à paraître. Balancer quoi ? La liste des noms obtenus par Bercy et dont il a eu connaissance ? Marianne assure qu’il détient la copie de la liste des 3 000 évadés fiscaux français épinglés chez HSBC.
Bernard Tapie va lui aussi « publier très rapidement ». Le détail de ses comptes offshore ou en Belgique ? Le titre de Tapie chez Plon sera Un scandale d’État, oui, mais pas celui qu’ils vous racontent. Mediapart et d’autres apprécieront : ils nous auraient donc menti, ainsi que Slate qui décrypte tout autrement l’affaire de la reprise d’Adidas ? On est prié de les croire, comme Depardieu, sur parole… On a été aussi très longtemps prié de ne pas croire Denis Robert…
Cahuzac nous confirmera sans doute, comme l’écrit aujourd’hui Sud-Ouest, que, dès 2001, deux agents du fisc savaient. Il s’agit de Patrick Richard, de la brigade d’intervention de Bordeaux. De feu l’inspecteur Mangier. Denis Robert a été réhabilité, pour l’inspecteur Rémy Garnier, on attend.
Dans un rapport, le député Yann Galut (PS) souligne : « face au pillage de notre épargne par la Suisse, le citoyen a pris le dessus sur le banquier ». Le journaliste Antoine Peillon, de La Croix, indique qu’un actuel membre du gouvernement (attendons…), est en ligne de mire, ainsi que des hommes politiques de gauche, et plus nombreux, de droite.
Mais il ne s’agit plus que de faire des exemples. Denis Robert, s’il n’avait pas craint pour lui-même et sa famille, aurait sans doute pu en faire, Infodujour le fera, mais non point pour simplement attirer le chaland, mais l’éclairer sur un vaste système.
Si, à présent, le procureur de Paris, François Molin, critique Bercy, son successeur le pourra tout autant : Bercy, soit le ministre des Finances, tient à préserver l’opacité de l’administration qu’il est censé autant servir dans l’intérêt du peuple français qu’il la dirige.
Aristocrates promus, hobereaux déchus
L’aristocratie politico-industrielle-financière, les plus riches « pipeules », l’UMPSFN (pour résumer, mais on pourrait étendre), la haute fonction publique, universitaire et autre, une partie du troisième pouvoir, la magistrature, savent parfaitement ce qu’il en est, ce qu’il en rentre et ressort, pourrait-on écrire. La France n’est pas, de ce point de vue, un microcosme étanche. Berlusconi et Sarkozy se congratulaient, paradaient avec un pape et une curie romaine, dirigeants d’une multinationale qui est aussi une – fragile – puissance financière. Qu’on se rassure, Domenico Dolce et Stafano Gabbana, de Soldé & Chabadabada, n’iront pas en détention, en dépit de leur condamnation à de l’emprisonnement. Le banquier luxembourgeois de leur filiale, Gado, ne sera pas inquiété, il ne risque pas d’être poursuivi pour recel.
Il y aura bien encore d’autres suicides en raison d’impossibles remboursements de trop-perçus à Pôle Emploi ou des caisses d’allocations diverses, et oui, j’assume mon populisme à ce propos. Mais il ne s’agit plus de faire valser des têtes comme autant de quilles sur un stand de foire. L’empoigne doit viser un système.
Mediapart a fort raison de poursuivre son dossier sur la famille Tabarot, l’enrichissant d’un nouveau volet, le quatrième. C’est instructif… J’y reviendrai ailleurs, par après… Des pressions ont été exercées, des témoins ont fait part de leurs craintes. Mais il ne s’agit pas que de faire en sorte que la peur change de camp. Ni de souligner incidemment que les titres de presse de Bernard Tapie, dont Nice-Matin, reprennent mollement les informations, s’attachent à publier des démentis (dont celui de Michel Mouillot, ancien maire de Cannes, ce jour), à donner la parole à Philippe Tabarot, &c. Var-Matin reprend avec complaisance les dires de Michèle Tabarot, secrétaire générale de l’UMP, sans chercher à savoir si oui ou non, deux non-lieux ont été prononcés par la justice espagnole, ni leur teneur (Mediapart réfute).
Les nuls se rebiffent
Mediapart, comme Infodujour, tentent, vont sans doute réussir au moins un temps, à impulser un type de journalisme qui n’a fondamentalement rien de nouveau. Il se trouve que toutes celles et ceux qui s’y sont essayés ont fini par se casser les dents, à l’exception parfois douteuse du Canard enchaîné (qui sait taire autant que révéler, mais il a l’excuse recevable de devoir préserver sa pérennité), ou se sont retrouvés marginalisés.
L’histoire de la fraude, de la presse d’investigation plus soucieuse d’éclairer que de « vendre du papier », est un long fleuve tumultueux. Le lectorat n’est pas – n’est plus – qu’assoupi ou réveillé par éclipses. La donne a changé. Ce n’est plus seulement le bas de l’échelle, notamment celles et ceux qui ne peuvent plus lire une presse devenue trop coûteuse, qui est fragilisé.
Sur Infodujour, en accès libre jusqu’à l’automne (après, ce sera six euros du mois), lisez aussi l’article de Thierry Gadault, spécialiste de l’économie : « Un G8 en mode offshore ». Vous y trouverez l’exposé d’un jeune élève liégeois d’alors neuf ans.
S’il a tout compris, c’est bien que, vous aussi, vous pouvez. L’argent provient « de l’effort et du travail des citoyens ». Puis peut disparaître sur « un compte que personne ne peut connaître » (jusqu’à un certain moment). L’entreprise, le pays, peuvent s’effondrer. Mais les bénéficiaires, beaucoup moins nombreux, continuer à prospérer.
« Une véritable lutte mondiale contre l’argent sale et l’évasion fiscale ne pourra pas faire l’économie d’une mise sous contrôle de Clearstream, d’Euroclear et de Swift, » indique Th. Gadault. Transmettez à Harlem Désir, Jean-François Copé, Marine Le Pen, Borloo… Ne vous inquiétez pas, vous ne leur apprendrez rien, inutile de joindre la petite présentation d’Antoine, neuf ans. La seule véritable différence, c’est qu’à présent, elles et ils savent que vous savez…
Je n’ai pas encore localisé dans l’article une seconde illustration. Il s’agit de [i]Shoot the bank[/i], de Denis Robert (encore détenu par la galerie parisienne W). Elle illustre, moments de détente inclus (ceux pendant lesquels on réfléchi ou s’abstrait en faisant des gribouillages), le squelette d’un article sur AIG. Vous y trouvez les noms de Kissinger, de la division Asset Management, de Pinebridge Invest, de Richard Li et de son fils (de Singapour). Visualisez plus large sur [i]Infodujour[/i].
[i] »les noms de Kissinger… »[/i]
arrete de m’envoyer de la gégène, Jef !
dès que j’entends le nom de Kissinger,
je reçois une décharge !!!!!!!!!!!