Pauv’ Polanski

Et l’affaire Polanski ?

 Prendre des pincettes. Reconnaître que c’est compliqué.

Mon premier sentiment ? Tristesse et compassion : voir un homme de 76 ans que j’admire, un homme brillant, irrésistiblement attachant, qui s’est échappé il y a un demi-siècle du ghetto de Cracovie, être traqué comme s’il s’agissait d’un criminel de guerre… Un traquenard lui a bien été tendu : l’invitation d’un Festival s’est transformée, à l’insu des organisateurs, en interpellation surprise – Roman n’est pas fan des apparitions publiques, il aurait dû se passer de celle-là… Enfermement, mise au secret dans une cellule « rudimentaire », selon le quotidien suisse Le Matin : ce n’est pas parce qu’il a fait de grands films qu’il est regrettable de le savoir en prison, tout créateur est un citoyen justiciable quel que soit son talent, mais, parce qu’il n’émane de lui nulle dangerosité, la manière est choquante, bien sûr, et il y avait sûrement d’autres façons de clore cette affaire.

Ensuite, on n’empêchera pas les interprétations de diverger sur le fond du problème : les relations sexuelles que Roman Polanski a eues en 1977 avec une mineure de 13 ans. Le récit des faits peut d’autant plus choquer que ce type de fait divers est, d’une certaine façon, devenu le tabou absolu. Mais connaître l’histoire plus en détail, comme le permet, par exemple, le documentaire de Marina Zenovich, Roman Polanski : wanted and desired, de nouveau à l’affiche à Paris au Reflet Médicis, aide à mieux l’appréhender, et à la recontextualiser : l’absence de viol à peu près reconnue par tous, une autre époque qui induit d’autre mœurs, la personnalité complexe et meurtrie de l’accusé et, surtout, les errements inacceptables de la justice américaine.

On rappelle que Roman Polanski a accepté à l’époque de faire de la prison, se soumettant à une batterie de tests pour établir qu’il n’était pas un « pervers sexuel », et qu’il a été clairement victime de l’ambition d’un juge, Laurence Rittenband, cherchant à épingler une célébrité. C’était d’ailleursi un mode de vie que l’Amérique de la fin des années libertaires cherchait à abattre : tant de rumeurs injustes, odieuses, avaient déjà entouré la mort atroce de Sharon Tate, l’épouse du cinéaste, comme le montre ci-dessous un extrait du documentaire. Alors, le cinéaste a fui, et sans doute d’avoir croisé au cours de sa vie d’autres autorités arbitraires, Allemagne nazie ou Pologne communiste, y a contribué. Son œuvre est imprégnée d’une forte paranoïa, généralement justifiée, dont Le Pianiste a tardivement donné la clé.

Le bon-sens voudrait que cette affaire soit aujourd’hui classée : sans aller jusqu’à dire que Polanski a purgé sa peine par son exil, rappelons que la plaignante a retiré sa plainte, demandé elle-même la fin des poursuites, et que des vices de procédure ont été établis. Le fait est que bon-sens ne fait pas loi : en mai dernier, un juge américain a refusé de classer l’affaire parce que Roman Polanski ne s’était pas rendu à l’audience. Il est dommage qu’il n’y ait pas eu à ce moment-là une nouvelle proposition de transaction susceptible de l’y inciter, satisfaisant, avec des garanties de part et d’autre, juge et prévenu.

Car rien ne justifie la sévérité nouvelle du parquet américain, qui a diligenté l’arrestation ; mais rien ne justifie non plus que Roman Polanski échappe à la loi – dans l’espoir d’un non-lieu définitif. Pour sortir de l’impasse, il aurait sans doute fallu une volonté des deux parties, un arrangement, des tractations qui n’ont pas eu lieu, ou pas abouti. Et aussi beaucoup de discrétion. Pas sûr que les bruyants défenseurs du cinéaste agissent réellement en sa faveur. Je pense à la déclaration maladroite – il y en a eu d’autres – du cinéaste polonais Krzysztof Zanussi : « Si Polanski n’était pas un personnage célèbre, le fait d’avoir profité il y a plus de 30 ans à Los Angeles, ville connue pour la liberté des moeurs, des services d’une prostituée mineure n’aurait eu aucune suite aujourd’hui. »

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