Koh-Lanta : Quand la téléréalité devient un enfer

         Soutenue par sa famille, cette mère et grand-mère déjà servie tout au long d’une vie pleine et variée par les joies et les peines, a réussi à être sélectionnée, après de longs mois de castings mettant aux prises cent mille candidats à une émission télévisée d’aventure, jusqu’à être considérée par ceux qui l’ont choisie comme une favorite.Suite à un simulacre de participation à des milliers de kilomètres de chez elle, elle se trouve au fond du trou.

Tombée dans un traquenard,  elle va vivre, de désillusions en désillusions, un véritable enfer.Trompée, humiliée, déconsidérée jusqu’à être jetée  dans un long courrier la ramenant d’Asie de façon indigne et pitoyable,  n’ayant ni dormi ni quasiment mangé pendant une semaine, elle est rentrée sans avoir réellement commencé le jeu pour lequel elle était partie. Elle en revient  profondément blessée psychologiquement : son aventure exaltante a tourné au désastre. Elle est prête à tomber au champ du déshonneur.

 

Moi Joëlle, à présent soixante trois ans, ayant été la « dix huitième candidate » d’une émission de téléréalité de grande audience, J’ai dû lutter avec ma famille durant cinq mois afin que mon image et celle de ma famille  soient enlevées, zappées lors de la diffusion de l’émission fin août 2009.

Après un casting sévère étalé sur trois mois, mettant au prise cent mille candidats (m’a-t-on écrit) et dont je suis sortie vainqueur, puis un reportage sur deux jours filmé chez moi, à Pollestres (Pyrénées Orientales), au milieu de ma famille (douze personnes dont six petits enfants), me voilà emmenée à Palau, à l’autre bout du monde. Je  vais vivre en six jours (voyages compris), non pas l’aventure promise et exaltante, mais une véritable mascarade, un enfer …

Contrairement à ce qui se pratiquait lors de toutes les éditions précédentes et malgré les assurances qui m’avaient été faites, je me suis vu infligée deux éliminations successives suite à des règles du jeu inattendues, au milieu de dix huit candidats au lieu de seize. Les organisateurs ont donné une prime immédiate à la force musculaire, donc à la jeunesse. Ils m’ont refusé la chance de montrer mes capacités à survivre en milieu hostile et à vivre en communauté.  Ils m’ont éjectée avant la constitution des équipes après « le naufrage », sans aucun respect de la parité hommes-femmes. Il était trop tard lorsque le constat de  duperie m’a sauté aux yeux. J’ai alors pris immédiatement la décision de ne pas cautionner ce traquenard, et m’y suis tenue.

Suivirent deux nuits d’isolement sur l’île des éliminés (« la clinique »), deux autres nuits dans un hôtel en compagnie parcimonieuse de la responsable de casting. Celle-ci profitant de ma faiblesse et de mon désarroi a su nous manipuler, mon mari et moi-même ainsi que mes enfants, en conseillant vivement un voyage à Miami : destination de rêve à son sens, voyage de cauchemar en ce qui me concerne mais permettant de m’éloigner au moment stratégique du tournage et, par la même occasion, de mieux me museler.

Je n’oublie pas non plus mon voyage retour insensé Manille-Amsterdam : treize heures au paroxysme de  l’épuisement physique, au terme de plusieurs nuits sans dormir, parquée au fond de l’avion sur un siège non inclinable et jouxtant les toilettes. Etre confrontée à cela à soixante deux ans !

J’ai essayé, au retour, de me remettre de mon mal être dans mon appartement d’Espagne, écrivant à la Société de Production, espérant qu’elle m’aiderait, me comprendrait ! Non : elle ne voulait rien entendre. J’avais été une candidate valeureuse, n’ayant pas eu de chance. Mon image allait donc paraître ! Me sentant totalement trahie, j’ai alors  failli accomplir l’irrémédiable du haut de quatre étages. Heureusement, les appels téléphoniques empressés de mon mari et de mes enfants, ayant eux aussi reçu le  même courrier de la Production d’une maladresse assassine sont parvenus, sans le savoir, à me détourner de mon macabre objectif.

Bien … tout en me culpabilisant, on voulait me parler, discuter, me voir, m’envoyer la psychologue pour mieux me manipuler et aboutir à un  séjour psychiatrique comme cela serait déjà arrivé à d’autres candidats. Mais à soixante deux ans, on ne se laisse pas faire !

J’ai alors continué la lutte et mon image, après report de la diffusion de l’émission, n’a pas paru. Sauf … bavure : télé 7 jours, avec pour conséquences une émission télévisée sur Direct 8. Puis d’autres médias ont pris le relai et, bien entendu,  internet (vous pouvez encore m’y voir). On «révéla ». On supputa. On inventa. Le fond du problème, bien entendu, ne fut pas abordé.

Et maintenant ? L’émission a été diffusée. Le casting 2010 bat son plein. Et, oh miracle ! Nous entrevoyons une lueur d’humanité provenant de la Production (ou de la chaîne ?) : sélection automatique de la candidate blessée, évocation de la réinsertion des héros dans la vie courante.

Bravo ! Grand bravo ! Ma famille et moi-même, par nos actions répétées aurions-nous provoqué ce sursaut ? Fallait-il aller jusqu’au risque avéré de suicide pour en arriver à ce résultat ?

En tous les cas : voilà jusqu’où peut mener une émission de téléréalité.