Le cas d’Aurore Martin, cette militante du mouvement basque Batasuna, extradée vers l’Espagne, ne me laisse pas indifférent. Soutien (passif, mettons « moral ») de mouvements autonomistes bretons, je n’en considère pas moins que si la justice, présumée indépendante, d’un pays demande une extradition, il est difficile d’en faire fi sans risque de s’exposer à ce que la réciproque handicape la justice française. Pourtant, pourtant… j’étais opposé à ce que les « repentis » italiens soient livrés à la justice italienne. Outre ces contradictions sur le fond, voici que des versions opposées des faits cohabitent : pour les uns, Aurore Martin aurait été piégée, pour les autres, son interpellation aurait été fortuite.

Il est toujours très difficile de « dire le droit » et même de l’appliquer. Les cas d’Aurore Martin, de Battisti, d’autres, peuvent inciter à la clémence, et je comprends fort bien que de très nombreuses personnes (dont moi-même dans celui de Cesare Battisti) s’émeuvent de l’extradition d’Aurore Martin, protestent, mobilisent.
D’un autre côté, je suis l’actualité britannique, et constate que le Royaume-Uni, ses magistrats, décideurs politiques, son opinion, sont divisés à propos de diverses extraditions (vers les États-Unis, vers et depuis d’autres pays européens), de la nécessité ou non de se conformer à des décisions de la cour européenne de Strasbourg sur divers points.
Le cas de Julian Assange, dont la Suède demandait l’extradition, reste encore dans les mémoires.
La question de la réciprocité ne se pose pas, dans le cas d’Aurore Martin, qu’entre la France et l’Espagne, mais aussi entre ces deux pays et de très nombreux autres.

C’est aussi ainsi qu’il faut envisager la décision du parquet de Pau dont il est dit à présent qu’elle aurait reçu l’aval de la garde des Sceaux et même de l’Élysée. Ce qui reste sûr, c’est qu’Aurore Martin était placée sous le coup d’un mandat d’arrêt européen et qu’elle avait épuisé tous ses recours.

Piégée ou non ?

Selon Le Canard enchaîné,  Aurore Martin aurait été arrêtée fortuitement. En tout cas, les gendarmes qui l’ont contrôlée ne l’auraient pas d’emblée reconnue et « n’avaient aucune consigne particulière la concernant : ni détourner la tête, ni lui  passer les bracelets. ». Ont-ils été placés sur l’un de ses éventuels parcours ou simplement sur une voie où des contrôles d’alcoolémie (ou d’autre nature) avaient été projetés depuis longtemps ?

Selon Karl Laske, de Mediapart, et une ou de mystérieuses sources élyséennes, l’arrestation d’Aurore Martin n’aurait pas été fortuite et François Hollande en personne aurait « validé » son extradition. Cette validation aurait donné lieu à « des consultations au plus haut niveau ». 

Reste à savoir s’il était vraiment possible de donner des instructions au parquet de Pau à partir du moment où il était connu en Espagne que l’interpellation avait eu lieu. La cour d’appel de Pau s’était prononcée en novembre… 2010. La question est la suivante : François Hollande qui, dépourvu de pouvoirs décisionnaires de toute façon en matière d’application des lois et décisions judiciaires, s’était prononcé avant son élection pour la clémence, pouvait-il enfreindre, une fois élu, le principe de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire ?

Aurore Martin considère qu’il s’agit de « choix politiques, des États français et espagnol ». On la comprend, mais pas que… Au début de l’été dernier, elle admettait : « La France, le système judiciaire français et les courants politiques français ont dit oui. » (à son extradition). C’était déjà le cas en juin 2011, avant l’élection présidentielle.

D’autres sources (rapportées par Sud-Ouest) auraient indiqué que les contrôles d’alcoolémie auraient en fait été couplés à « un dispositif monté pour une opération de recherches de stupéfiants » (soit un convoyage passant par de petites routes à bord d’une petite et banale voiture de tourisme).

Cas complexes

Un militant kurde, bénéficiant du droit d’asile en France depuis 2004, Metin Aydin, a été arrêté en Suisse fin juillet 2011, incarcéré à la centrale suisse de Bellizone, puis, à l’issue d’une grève de la faim, extradé vers l’Allemagne, d’où il risque d’être expulsé et remis à la Turquie.

Des militants kurdes ont manifesté à Nantes (fin d’une grève de la faim de trois jours ce soir).

Dans ce cas encore, des militants autonomistes bretons se sont joints à une pétition. Breizhistance Dizalc’hiezh ha Sokialouriezh (Independance & Socialisme) s’était prononcée « Breizh kengred gant Aurore Martin ». Avec des arguments un peu tirés par les cheveux : « nous dénonçons cette extradition que le pouvoir sarkozyste n’avait lui-même pas oser exécuter. ». En fait, en cas de réélection de Nicolas Sarkozy, ce n’aurait été que partie remise, une interpellation ayant déjà été ordonnée en juin 2011. Le SLB, Skoazell Vreizh et les comités bretons de solidarité avec le peuple basque, ont appuyé l’initiative. Ils sont dans leur rôle, que je ne désavoue pas.

Mais il convient à présent de laisser retomber la polémique franco-française. Il n’y  a malheureusement que la presse basque d’outre-Pyrénées (en tout cas ces tout derniers jours) pour informer, en espagnol (ce point est le plus important), l’opinion publique espagnole.

Outre les éventuelles démarches diplomatiques (mais pas plus que la française, la justice espagnole n’est soumise à l’exécutif), la meilleure façon de soutenir Aurore Martin, qui, même en Espagne, n’est réellement « coupable » – sauf preuve du contraire, qui n’est pas du tout établie – que d’un « délit » d’opinion, est sans doute de tenter d’alerter au moins la presse espagnole hispanophone et la catalane, celle de Galice, &c., sur son cas.

Peut-être serait-il judicieux de traduire vers l’espagnol la tribune libre du Monde du Syndicat de la magistrature (français). « Il n’y a strictement rien d’autre dans le dossier : ni arme, ni contact avec ETA, ni appel à la violence, ni quoi que ce soit pouvant entrer dans la définition française – pourtant très large – du terrorisme. ». Aussi de dire et écrire que le titre d’El Pais, « La detencion y entrega de Aurore Martin a España indigna al Pais Vasco frances », est pour le moins partial, sinon partiel. Et peu, ou moins, importe, ce que relève Jean-Luc Mélenchon : « El Partido Socialista ha cambiado de bando. ». La suite de l’article d’El Pais contredit d’ailleurs le titre : « es un asunto nacional, ya no regional. ». Demandons plutôt « el regreso inmediato a territorio francés de Aurore Martin » que son « retour immédiat en France ».

« Amis » de Breizhistance (nous ne nous connaissons pas, je n’emploierai pas « camarades ») et d’autres groupes ou organisations, merci, pour Aurore Martin, de prêter attention à cette suggestion. Mettre l’accent sur les différends franco-français est peut-être utile à usage interne, mais pour elle, on ne voit plus trop l’intérêt.