À la suite des trois attentats ayant visé des bâtiments et locaux officiels du régime syrien à Alep (ville plus ou moins loyaliste), la commission générale de la Révolution syrienne (CGRS) fait état d’une « nouvelle mise en scène réalisée par le régime ». Tout comme l’attaque contre des journalistes qui s’est soldée par la mort de Gilles Jacquier. Rien ne peut être exclu. Même pas que la fameuse commission contrôle strictement les opérations des milices fondamentalistes ou les brigades de Misrata qui, financées par le Qatar, opèrent en Syrie.

Les brigades ou milices libyennes font un peu ce qu’elles veulent en Libye, et pour certaines, peut-être même en Syrie. Un ministre du CNT, lequel vient de renvoyer chez eux les diplomates syriens en Libye, s’est prononcé sur le sujet : « on ne peut empêcher des gens de partir combattre en Syrie… ». D’autant qu’ils sont moins dangereux, au moins jusqu’à leur retour, en Syrie qu’en Libye. Il y a eu encore de nouveaux accrochages entre miliciens la semaine dernière en Libye, aussi sans doute des tortures de détenus divers, et les villes ex-kadhafistes sont laissées à l’abandon.

Dommage que Kadhafi ait soutenu Bachar el-Assad… Si cela avait été l’inverse, le Qatar recruterait parmi ses ex-partisans en leur promettant des soldes en Syrie et le CNT se verrait tirer une mauvaise épine du pied.

C’est quand même étrange. Quand les pro-kadhafistes se réfugiaient dans des quartiers habités, ils utilisaient des boucliers humains. Quand des insurgés syriens font de même, ce sont des partisans qui défendent la population.

Je n’ai jamais mis en doute les aspirations démocratiques de nombreux libyens, ni la nocivité du régime du clan kadhafi, je ne mets pas plus en doute les aspirations d’une large partie du peuple syrien, ni la volonté de Bachar el-Assad de se maintenir coûte que coûte au pouvoir. Là n’est pas vraiment la question, ou plutôt, ici, mon propos.

Je me prononce peu sur la question syrienne, essentiellement pour deux raisons. Mes courts séjours en Syrie remontent au siècle dernier. J’entends, en France, tant des partisans, non point du régime, mais d’une sorte d’attentisme et du refus des interventions étrangères, que d’autres, tout aussi sincères, qui attendent plus et mieux de la « communauté internationale » (des Occidentaux, appelons-nous ainsi…). Et puis, surtout, je constate en Syrie les mêmes ressorts qu’en Libye lorsqu’il s’agit, pour la presse, de traiter les informations.

Voilà que William Hague veut le départ immédiat d’Assad. Juppé n’est pas loin de faire de même, après le retrait des plénipotentiaires français de Damas. Et ensuite, ils font quoi, Hague et Juppé ? Que feront-ils de mieux qu’à Benghazi, Tripoli, Misrata, Bani Walid, Syrte ou dans le djebel Nefoussa berbérophone ?

Sont-ils autant que cela rassurés par les Turcs, dont les volontés hégémoniques ne sont pas très affirmées mais déjà décelables en Bosnie ? Que faire au juste ? Un, des référendums ?
L’opinion française serait, selon des sondages, favorable (à une courte majorité) à une intervention en Syrie. Mais qu’elle intervienne donc elle-même : le Qatar ne recrute pas que des combattants vraiment aguerris, mais aussi des révolutionnaires libyens de la dernière heure.

Que font Hague et Juppé pour les réfugiés syriens au Liban ? La même chose que pour les libyens en Tunisie ? Il serait peut-être temps d’en rabattre. La guerre civile se généralise en Syrie. Sans direction politique ni même militaire unifiée, peut-être même de part et d’autre. Car il fait bon proclamer que Bachar el-Assad contrôle toutes ses troupes. Mais qu’en sait-on vraiment ?

Mohamed Abu-Nasr, d’Alep, assure que le régime a lui-même provoqué les attentats pour empêcher une manifestation de masse ce vendredi, après les prières dans les mosquées. Il représente qui, Mohamed Abu-Nasr ? Je n’en sais rien, et d’ailleurs, lui-même…

L’Armée syrienne libre ne tuerait aucun civil ? De sang-froid, admettons. Mais c’est comme les frappes chirurgicales, depuis bien avant les opérations aériennes en Libye, on sait ce qu’il faut en penser. On les minore toujours, on augmente sans cesse la duplicité du camp d’en face. Je m’attends donc à ce qu’on nous dise que les attentats d’Alep sont le fait des services secrets iraniens en Syrie, car effectivement, ils sont bels et bien présents. Un plus un fait toujours deux… sauf quand cela dérange.

Bachar va-t-il bafouer les Russes ?

Il n’est effectivement pas exclu que Bachar puisse dire aux Russes : j’ai promis un référendum, j’ai promis une nouvelle constitution concertée, j’ai promis des élections, mais voyez la situation, c’est impossible à organiser actuellement.

Les Russes n’avaient pas d’ailleurs imposé cette solution à Kadhafi qui proclamait qu’il était ouvert au dialogue un jour, qu’il réprimerait durement son opposition le lendemain, puis se ravisait le surlendemain, &c.

Il n’est pas d’ailleurs exclu que les Russes sachent à quoi s’en tenir. En fait, Alexei Pushkov, le président de la commission des Affaires étrangères de la Douma, a clairement indiqué que la majorité parlementaire russe était « opposée à invoquer des raisons humanitaires pour changer le régime » en place en Syrie. Le régime leur semble plus propice que d’autres pour maintenir la « présence et influence » de la Russie au Moyen-Orient.

Ce qui est clair, c’est qu’environ 10 000 soldats convergeraient en ce vendredi après-midi vers Homs et que les Russes ne font rien pour stopper cette offensive. Ni celle qui se déroule à Banias, ou à Lakatia, deux ports où étaient prévus des manifestations. L’opposition indique que le régime serait prêt à utiliser des armes chimiques à Homs. Les Russes laisseront-ils faire ? Ou s’agit-il d’une opération de propagande de la part des insurgés ? Les soldats loyalistes se verraient, disent-ils, distribuer des masques à gaz. La réalité est – peut-être – qu’Homs est une ville industrielle, avec beaucoup d’usines chimiques, et que des « bavures » ne sont pas forcément à exclure.

Quid du Hezbollah ?

Où les partisans de Bachar al-Assad se replieraient-ils si le régime tombait ? Selon l’Israélien Ehud Barak, dans les fiefs du Hezbollah au Liban. Avec bagages, et armes… dont des armes lourdes, des missiles.

Je veux bien que Nicolas Sarkozy et Alain Juppé soient de très grands tacticiens et de formidables stratèges, mais ils ne nous feront pas avaler n’importe quoi. Avant les attentats d’Alep, il y en avait eu de similaires à Damas (70 morts en décembre et janvier). Personne n’avait alors soutenu que c’était du fait du régime. Personne n’est capable vraiment de dire ce que la situation en Libye pourra impliquer pour les pays du Sahel, qui peut dire ce que l’évolution de la Syrie impliquera pour l’Irak, le Liban, la Jordanie ?

On veut à présent que des responsables ou dignitaires syriens puissent être traînés devant la Cour internationale de justice. Pour véritablement les juger ou favoriser les défections, les départs de ceux auxquels ont garantira de fait, comme pour le Libyen Moussa Koussa, l’immunité ? Ce dont on peut être sûr c’est qu’une majorité de Syriennes et Syriens attendent de voir qui l’emportera en espérant ne pas devoir être poussés dans un camp ou un autre. Ou se retrouver, à l’issue du conflit, déclarés à leur insu dans le camp des vaincus (et soumis à des représailles). 

Selon al-Jazeera, toujours suspecte de partialité à l’égard de son employeur, le Qatar, des Alaouites et des chrétiens, proches ou membres par alliances de la famille d’Assad auraient fait dissidence, et ils l’accusent de menées sectaires, visant à désigner tous les sunnites en tant qu’ennemis, ou cinquième colonne. De l’autre côté, un mystérieux mouvement contre l’expansion du chiisme avait kidnappé sept techniciens du pétrole iraniens en Syrie. Ils viendraient d’être libérés par l’armée ou la police syrienne. Les Alaouites sont des chiites.

La contestation ouverte du régime avait débuté en mars 2011. Dès lors, quel type de « concertation » s’est-il ouvert entre le régime et la diplomatie « occidentale » ? Était-ce du genre comptez sur nous pour favoriser une évolution pacifique ou du style laissez tomber les Russes et les Iraniens, sinon… Le très choyé Kadhafi avait cru au soutien des puissances occidentales auxquelles il avait fait des concessions. Assad n’a pas la mémoire courte.

Il profiterait des attentats pour liquider des opposants à Alep : six selon le comité local de coordination de l’opposition. C’est fort possible. Mais la Pravda n’est pas plus, ni moins, crédible que Fox News sur les événements en Syrie… Nous sommes devant un cas de « il (le régime) dit », « elle (l’opposition) dit ».

Boycott arabe des produits russes et chinois

Commentaire de l’éléphantesque Vladimir Poutine (en Tchétchénie) : « Bien sûr, nous condamnons la violence d’où qu’elle vienne mais cela n’autorise pas à se comporter tel un éléphant dans un magasin de porcelaine… ». Pour une fois, ce n’est guère controversé. Réplique des Frères musulmans : « tout Arabe qui achète un produit russe ou chinois trempe ses mains dans le sang des frères syriens ». L’Union des intellectuels arabes déclare une guerre économique totale à l’ours russe et au dragon chinois.  Mauvais pour la vodka et le litchi, plutôt bon pour le whisky et le cognac. De pauvres gosses syriens se voient obligés de jeter publiquement au feu des poupées et des jouets chinois : allez en trouver d’autres que chinois au bazar, en Syrie. C’est bon aussi pour Nokia qui produit à présent des téléphones au Vietnam. Mais surtout, on est désormais sûrs que les Émirats et l’Arabie vont cesser tout approvisionnement en pétrole de la Chine (un tiers de leurs exportations). Les prix de l’essence et du diésel vont baisser dès demain en France, c’est sûr.

Tiens, si l’opinion française boycottait le gaz russe ? Avec l’Allemagne de Schroëder lui emboîtant immédiatement le pas, comme pour la taxe sur les transactions financières. Ou alors, on pourrait se contenter de boycotter 0,1 % de la production russe. Ce serait un premier pas.

Arrêtons l’hypocrisie. L’Occident (enfin, sa majeure partie) a tout intérêt immédiat à ce que cette guerre civile perdure le plus longtemps possible et c’est pourquoi Israël et d’autres arment l’opposition. Les sanctions économiques font que l’Iran s’appauvrit en ressources pétrolières et monétaires en ravitaillant la Syrie. Parmi les États dits arabes, la Syrie n’est pas le seul client de l’industrie de l’armement russe, loin de là. Et le retour sur investissement libyen tarde.

De son côté, le pouvoir russe veut pouvoir éventuellement réprimer des manifestations de rue à sa guise. Qu’il se rassure. L’Occident avait bien laissé tomber les insurgés hongrois en 1956. Mais, par principe, la Russie s’oppose à toute déstabilisation des régimes en place sous couvert des Nations Unies.

Bien évidemment, tout ce qui précède est fort réducteur. Comment réellement savoir ? Tenez, un exemple. Deux réfugiés syriens en Turquie viennent d’être remis aux services syriens alors que la Turquie s’oppose verbalement à la Syrie. Ils ont été accusés d’espionnage. Au profit des Kurdes ? On ne sait. Chaque pays a ses « bons » insurgés syriens, et ses moins bons. Allez donc démêler tout cela…

Pour en revenir aux événements de ce jour, les attentats à Alep auraient fait 28 morts et au moins 235 blessés. En fait, certains présument que le régime minorerait le nombre des morts, estimé par ailleurs à 60. Car il ne serait pas si content de son « bon coup » dont le crédite l’opposition ou parce qu’il n’est pour rien dans ces attentats et ne veut pas démoraliser ses partisans ? Sarkozy va-t-il demander à ce que « toute la lumière soit faite sur ces attentats » présumés par l’opposition imputables au régime ? Attendons, mais ne nous prononçons pas.

Ce qui semble se profiler, c’est une « libanisation », avec des contingents étrangers rejoignant des factions, ainsi des yéménites avec tel groupe, d’autres milices venant d’autres pays appuyant tel autre groupe. Et peut-être des renforts affiliés avec l’Iran, appuyés par des « conseillers militaires » russes confortant le régime. Aussi, beaucoup de gens pris entre deux feux et voulant fuir… ou devant se résigner à opter pour l’un ou l’autre camp…