"Le Drakkar, c’est l’Iran et le Hezbollah. Demandez à tous ceux qui s’intéressent à cette question, ils vous feront la même réponse" : cette phrase, citée dans une dépêche Reuters, émane d’une "source proche de la présidence", qui parle même d’ "erreur historique". L’affirmation est osée et parfaitement gratuite.

L’attentat perpétré en 1983 à Beyrouth, qui a causé la mort de 58 parachutistes français, avait en effet été revendiqué par un groupuscule islamiste inconnu derrière lequel les spécialistes ont toujours vu les mains conjointes de l’Iran, du Hezbollah et de la Syrie. Mais exonérer Damas de toute responsabilité est évidemment commode, au moment où l’armée française va défiler sur les Champs-Elysées devant une tribune présidentielle occupée par le chef de l’Etat syrien, Bachar al-Assad.

L’invention de l’innocence syrienne est si soudaine que le ministre de la Défense, Hervé Morin, n’était pas au courant mercredi ! Au président de l’association internationale des soldats de la paix (Casques bleus), Laurent Attar-Bayrou, qui qualifiait la présence d’Assad de "scandale" et d’ "atteinte à la mémoire" des soldats français tués au Liban en 1983, il n’avait absolument pas répondu que les Syriens n’y étaient pour rien : "Tout cela je le comprends humainement, personnellement", avouait-il, avant de préciser : "Mais s’il fallait que les relations d’Etat à Etat, que les relations diplomatiques ne soient liées qu’aux moments de drames, d’incompréhensions, de malheurs, on ne changerait jamais les relations diplomatiques entre pays. Avec ce genre de raisonnement, on continuerait à être l’ennemi de l’Allemagne. On connaît le passé de Bachar al-Assad, on sait quelle a été l’influence de la Syrie sur toute une série d’évènements dans cette partie du monde, mais de là à ne pas tenter de faire en sorte que la Syrie puisse revenir dans le jeu diplomatique..." On le voit très bien : le mercredi, pour le ministre de la Défense, Damas est bien responsable de l’attentat du Drakkar mais il appelle à tourner la page. Et le dimanche, l’Elysée blanchit la Syrie. Plus c’est gros, plus ça passe !

onu.jpgEn attendant, le défilé du 14 juillet s’est déroulé sans incident. Mais il faut préciser que les citoyens qui voulaient manifester contre la présence d’Assad ont été arrêtés ! Ce sont ainsi une dizaine de militants de Reporters sans frontières qui ont été interpellés et conduits au commissariat "pour vérification d’identité", précise sans rire la la préfecture de police : histoire d’être sûr qu’il n’y avait pas de sans-papier dans le lot ? "On n’est pas contre la présence de Bachar al-Assad à Paris, mais contre le fait qu’il soit reçu à la tribune présidentielle", a expliqué à l’AFP Vincent Brossel, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. C’est quand même le 14 juillet, la prise de la Bastille symbole de la lutte contre l’autoritarisme et on retrouve un des pires dictateurs du Moyen Orient à la tribune célébré comme si c’était un démocrate !" Une quinzaine de militants d’Act-up, eux aussi, se sont retrouvés au poste, au motif qu’ils voulaient manifester devant l’ambassade de Syrie à Paris, "pour dénoncer l’homophobie régnant dans ce pays", suivant le communiqué de l’association. Ils comptaient ensuite se rendre dans les ambassades de "la plupart des États de l’Euroméditerrannée invités au défilé du 14 juillet". Mais c’est ainsi en Sarkozie : on n’a pas le droit de manifester contre Sarkozy quand il se rend quelque part (voir l’exemple de Vienne, dans l’Isère), ni de protester sur le passage de la flamme olympique, les policiers français jouant alors le rôle de supplétifs des autorités chinoises, ni donc contre la réception du dictateur syrien dans la tribune du défilé de la fête nationale, célébrant la victoire du peuple sur la tyrannie symbolisée par la prise de la Bastille… Quelle étrange démocratie est-ce là ?