Après Marianne, Mediapart : Hollande roulé dans la sciure syrienne

J’ai acheté et lu (et relu) le dernier Marianne, et franchement, je ne le regrette pas du tout : « dira-t-on plus tard que (…) Hollande brada [l’honneur français] au Qatar ? ». Chapeau l’artiste. Mérite les salutations légèrement envieuses du compère (confrère et pair) que je reste. J’ai accès à Mediapart (merci), et là, je viens de lire Plenel : il a dû relire Marianne. « Guerre de puissance et gauche de progrès ont toujours fait mauvais ménage », rappelle-t-il, après s’en être pris à « la pathologie du “je” présidentiel ». Belle construction à la Beuve-Méry, entamée par un Kant bien envoyé, conclue par un appel à « renoncer à sa hautaine solitude guerrière pour rejoindre notre ordinaire humanité ». Là, je ne ressens aucune jalousie, mais je n’adresse pas moins mes sincères applaudissements. Sauf que…  

Très franchement, je suis réticent, limite hostile, à une intervention militaire française en Syrie. Sauf que… je peux me tromper. J’ai évoqué la question avec une proche, franco-syrienne, sans trop débattre : elle non plus, d’ailleurs. Dans sa famille ou parentèle restée en Syrie (ou réfugiée sur le pourtour), il y a des pro-Bachar par défaut et des anti-Assad idem. Aux tout débuts des manifestations, tout le monde était très circonspect. Ensuite… Ensuite tout dépend d’où vous résidez (ou résidiez) et de multiples facteurs.

Malgré l’excellent édito d’Érik Emptaz dans Le Canard enchaîné, j’en reste à ma confusion, ne sachant trop me prononcer définitivement. Emptaz relève fort justement « que ne rien faire alors que des armes de destruction massive ont été employées c’est, bien sûr, donner carte blanche [à qui les utilise]. Après les gaz (…) quoi ? ». Oui, peut-être les virus. Même si, selon le Spiegel, le sarin aurait été « mal dosé », soit trop fortement, par erreur, il s’agit bien d’ADM… Certes, faisant largement moins de victimes que les bombardements de Dresde, qui ont aussi liquidé beaucoup de prisonniers des armées alliées, et nombre de membres du STO français.

Je suis « loin d’une vision narcissiquement occidentale du monde », comme la qualifie Edwy Plenel. Ce dernier, qu’il m’est arrivé de rencontrer, que je connais aussi par oui-dire et pour le lire régulièrement, n’est nullement arrogant. Le journalisme vous enseigne cela, notamment les faits-divers et la chronique judiciaire : on peut se tromper, parfois lourdement, qu’on l’ait été par les unes ou les autres, parfois par le grégarisme journalistique, ou très bêtement, niaisement, même. Mais Plenel n’est pas exempt de bouffées d’arrogance. La preuve, ce titre « la faute de François Hollande ». 

Les arguments de Plenel sont solides, étayés, et bien sûr habilement agencés. Sauf que je ne suis pas sûr que « l’urgence et l’émotion » aient prédominé. Sauf que, effectivement, soit on ne disait et faisait rien, soit il fallait le faire rapidement et le dire clairement. La faute de François Hollande découle sans doute notre incapacité à agir seuls, en Syrie, comme ce fut aussi le cas au Mali… Au Mali, nous n’étions pas seuls, quoi qu’aient pu en dire une partie vociférante, irréfléchie, de l’opposition. Le problème y reste plus entier que véritablement entamé, mais la revanche que les islamistes préparent se heurtera peut-être aussi aux Tunisiens, Algériens, Marocains qui ne se prêteront pas plus aux jeux des Qataris qu’à ceux des Saoudiens.

Plenel qualifie d’action « de police sans solution politique » la guerre au Mali. C’est une façon de voir. Les djihadistes refont leurs forces dans le sud libyen, en toute impunité, peut-être aussi dans le sud algérien, où ils s’exposent à quelques risques. Cela découle de la faute d’appréciation de Nicolas Sarkozy, qui avait préparé la guerre de Libye (bien avant les premières manifestations), mais qui, tout comme son prédécesseur étasunien, avait été berné par une opposition aussi faible que l’irakienne. Il avait fortement (et même béatement, tel un crétin satisfait de lui-même) préjugé de la suite, et comme en Irak, on constate le résultat.

Bien évidemment, si François Hollande avait pu donner l’ordre aux pilotes des Rafales de Djibouti de se livrer à des frappes symboliques sans risque de lourdes pertes, sa faute s’apprécierait fort différemment. À présent, son pédalo-mitrailleur est à la dérive en haute-mer, sans le moindre esquif des sauveteurs américains en vue. C’est très gênant. Au moins, Cameron, qui n’avait pas plus les moyens d’agir que Hollande, s’en tire bien avec l’opportun camouflet que lui a infligé une partie de sa formation conservatrice et une autre de ses alliés libéraux.

Plenel peut donc camper Hollande en piteux vantard, admettons. Où il dérape complètement, c’est avec « cet activisme militaire s’accompagnant, en France même, d’une stigmatisation de ceux-là que l’on prétend défendre au loin – les musulmans, entendus au sens large d’origine, de culture ou de religion ». C"est aussi stupide que de réinventer les Français en chrétiens. En Syrie, les musulmans étaient avant tout une fiction secondaire. Certes, tout comme aux Pays-Bas existe un parti protestant fondamentaliste, extrémiste, ultra-religieux, il y avait bien des Syriennes, des Syriens, pour trouver que le régime n’était pas assez religieux.  Mais parmi la multitude mahométane (ou non, et ou autre, voire athée) syrienne, fort peu se préoccupaient vraiment de la question palestinienne ou turque en termes religieux… La question de l’eau était et reste autrement préoccupante.

Plenel dénonce les « socialistes foncièrement atlantistes » avec des accents à la Pelletier (Droite forte, UMP) qui prône un nouveau pacte franco-russe (peut-être espère-t-il lancer un emprunt français en Russie ?) impliquant un délitement des relations avec les États-Unis. Allez donc dire cela aux Ukrainiens, Moldaves ou Géorgiennes voulant quitter le club. Il vise qui, ainsi ? Fabius ? En fonction de sa compréhension, à lui, Plenel, « des réalités concernées – peuples, sociétés, cultures, religions… ». Ou Moscovici, selon les mêmes critères ? Dray et Assouline aussi ? Plus religieux et cultureux que véritablement français ? Oh, où va-t-on, là ? Je sais, ce « reproche » imbécile est quelque peu forcé, mais si ce n’est pas la lecture que je fais, d’autres s’en chargent à ma place.
Et puis, cela m’étonnerait que Serge Dassault soit si atlantiste. Il fourguerait volontiers son Rafale à la Chine autant qu’aux Émirats.

J’ai parfois l’impression que tout cela reflète surtout le dépit ressenti par Edwy Plenel ou Jean-François Kahn de n’être pas suffisamment consultés à leur gré par François Hollande. C’est vrai que Sarkozy fournissait plus de quoi noircir des pages. Kahn, qui s’en prend à Natalie Nougayrède, beaucoup plus longuement blanchi sous le harnois journalistique que l’encore jeune Plenel, lance à l’adversaire, la directrice du Monde, « si ce que vous recommandez permet de pacifier la région, je vous rendrai hommage ».
Certes, c’est hypocrite. Rien, vraiment rien, ne permettra de pacifier réellement la région avant longtemps (en tout cas, trop longtemps pour les morts, mutilées, exilés, traumatisées, des divers camps, car il n’en est pas que deux, ni en Syrie, ni en Jordanie ou au Liban, pays les plus couverts d’autres camps). Quant à espérer que, réellement, Russie, Chine, Iran aient la même appréhension de la situation, la même analyse, les mêmes préconisations, c’est totalement illusoire. Tout autant que de penser que Qatar et Arabie sont sur la même ligne parce que majoritairement sunnites, comme si cela suffisait.

Croit-on vraiment que l’UMP soit unanime sur la question et suive le mot d’ordre du pape François ? Je veux bien que François Hollande soit aussi socialiste que je serais chevalier du christ ultra-nationaliste, fasciste et père de 26 enfants âgés de neuf mois à 20 ans (et bientôt d’une ou d’un autre). Je veux bien aussi que la question soit tellement clivante qu’aucune majorité ne soit possible dans aucun parti (hors, peut-être, Front national, tellement imprégné de la culture du ou de la chef·fe que… même si pas d’accord, il faut se déclarer tel).

Cela étant, tout le monde a bien dit et redit que l’usage du gaz sarin (ou d’autres), c’était un point de rupture, non ? Même la Russie l’a dit. Doit-on attendre le G20 de Saint-Petersbourg pour espérer se mettre de nouveau d’accord ? De toute façon, tout le monde ment, un peu, beaucoup, ou effrontément. Y compris la Chine qui se fournit en barils de brut iranien mais prédit une hausse importante des produits pétroliers en cas de frappes sur la Syrie.

Quand Plenel résume en disant que Bachar al-Assad mène « un assaut contre son propre peuple », de fait, il ment. Tout le peuple syrien n’est pas opposé au régime. Lequel peuple profite plus largement que ne le faisait le libyen d’un système en de nombreux points similaires. D’ailleurs, si le peuple chilien avait été uni derrière Allende, on se demande comment Pinochet, même avec un appui accru des États-Unis et du Vatican, aurait pu tenir longtemps…

Que François Hollande n’ait pas considéré le risque que la Corée du Nord attaque celle du sud avec des armes chimiques pendant que marine et aviation étasuniennes s’en prendront à la Syrie, je veux bien l’admettre : qui, d’ailleurs, peut vraiment savoir, prévoir ?

Ce qui peut être présumé diversement, c’est l’impact propagandiste d’une intervention, vu et considéré par chacune des diverses parties. Déjà, personne dans la presse ne semble pouvoir décrire la nature exacte de l’intervention étudiée (je ne parle pas évidemment, des objectifs précis). Alors, les retombées… Cela peut profiter au régime syrien, ou le desservir… Comment exactement ? Bien malin qui pourrait le prédire.

L’évolution des médias, en général, de Marianne ou de Mediapart en particulier, fait qu’après un Sarkozy, la personnalisation du pouvoir semble une évidence. Je doute très fort que Sarkozy, tout seul, ait pris la décision d’appuyer Benghazi et les régions berbères (à Tripoli, tout le monde n’est pas descendu dans la rue, ni totalement par peur, ni totalement par enthousiasme débordant pour ou contre Kadhafi). De forcer un peu la main, avec l’assentiment de Cameron, donc le consentement d’Obama, d’accord. Je sais, il faudrait écrire « et de leurs entourages respectifs ».

Mais laisser supposer que Hollande n’ait été mu que par la perspective de gratter un ou deux points dans les sondages, c’est limite malhonnête. Il était assez prévisible, après les résultats libyens, que l’opinion ne soit pas très chaude, en France, « musulmans et assimilés bêtement » inclus, pour envoyer des militaires à l’approche des côtes et frontières syriennes. Même alors qu’il s’agit d’un ancien protectorat français. 
Qu’un caricaturiste le suggère, d’accord. Un animateur, passe encore. Pour le moment, très peu de journalistes s’y sont risqués. Ainsi Christian Barbier (L’Express), qui laisse penser que la motivation essentielle est d’échapper « aux soucis de politique intérieure par un puissant épisode international ».

Frédéric Lefebvre (UMP, Français d’Am.-Nord), approuve totalement la décision française, en dépit du fait qu’elle soit énoncée par François Hollande. Comme quoi… Certes on peut penser qu’il ne visait qu’à faire parler de lui. D’autres font la promotion des exécutions sommaires de soldats (ou de concurrents rebelles, allez savoir…) syriens par… et au fait, et si c’était de la propagande du régime ? Allez savoir. En tout cas, les rebelles rejouant un Oradour miniature seraient ceux de Jound Al Cham, proches des Frères musulmans. Comme l’écrit Régis Soubrouillard, de Marianne, cela « démontre rappelle (sic) toute la complexité et la brutalité d’un (re-sic) conflit ». En fait, outre la coquille, peu gênante, c’est l’emploi du pluriel à conflit qui s’imposait. Il en est plusieurs en Syrie.

Effectivement, tout peut se discuter. Toute prise de position (même si, en France, les journalistes et les commentatrices, animateurs, &c., ne risquent quand même pas le goulag) est dangereuse, comme il est dangereux de manger, et même respirer ou dormir, de vivre, quoi.

Je pressens confusément que la position française aura des répercussions fâcheuses. Mais outre l’avantage très accessoire de retourner légèrement l’opinion des (touristes) Américaines et Américains (une majorité considère toujours que nous les « haïssons »), ce qu’énonce Hollande, qu’approuve sans doute Fabius et d’autres, y compris dans l’opposition, n’est pas si stupide.
Si le régime syrien, avec ou sans les al-Assad encore au premier plan, l’emporte, des accommodements ultérieurs resteront sans doute possible. Certes, quand une cheffe d’État européenne devra poser devant une statue de Mirage ou de Rafale abattu, ce qui avait été le cas de Sarkozy devant une réplique d’un jet américain à  Tripoli, « nous » aurons l’air fin. Mais si le régime s’en prenait un peu trop au Liban, on saurait aussi remémorer que cela représenterait un risque.
Si des et non les rebelles l’emportaient, en fonction de leur nature et de leurs actes, il sera toujours possible de tenter de les raisonner en avançant que la France n’est pas forcément, d’emblée, totalement hostile à leur existence même (et peut-être obtiendrait-on que les hôtes de certains rebelles ne soient pas refoulés à proximité du Mali).

Évidemment, à ces avantages s’opposent des inconvénients. La Russie, voyant l’Union européenne empiéter sur ses marches (Ukraine, Moldavie), pourrait jouer un très sale tour de rétorsion, sans doute sournois. Un futur magasin Super-Tati pourrait exploser (souvenons-nous de l’ancien de la rue de Rennes). Bon, autant ne pas tout passer en revue, la liste serait trop longue.

Le pire, pas davantage que le meilleur, n’est jamais sûr d’avance.

Quant à l’attitude de François Hollande, eh bien, pardonnez mon indécision, mon manque de documentation, mon « journalisme » si vous voulez, mais, je suis bien en peine de la qualifier, surtout bornée entre bénéfique et néfaste (ou inversement). Bravo Plenel, bravo Kahn, mais, même redchef, sous la casquette, je suis resté « p’tit journaliste » (une parodie du Parachutiste de Maxime Le Forestier sur ce thème était reprise parfois en chœur au Cuej de Strasbourg). Eh oui, sous l’uniforme, restons des travailleurs, pas des Nostradamus.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Après Marianne, Mediapart : Hollande roulé dans la sciure syrienne »

  1. Rien de neuf : la III République colonialiste était bien de gauche ?
    C’est pour cela que la gauche donne des leçons de morale, elle sait de quoi elle parle !

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