Vieille lune… Calligraphie, apprentissage de l’écriture, et « polices de cahier » destinées aux écoles primaires (ou centres d’alphabétisation, d’ergothérapie, &c.). Ayant autrefois commis quelques articles sur le sujet (cherchez, “polices de cahier”+“plus de simplicité” via un moteur, c’est en accès libre), j’ai été « rattrapé » par Francis Ribano qui me vante sa méthode facilecriture (en attente d’un site homonyme). J’en fais part à la communauté typographique, et aussitôt, Olivier Randier me signale « si on en parle, pub pour ma boîte : SG-éducation ». Sujet ô combien catilleux et polémique, que je vais ici me contenter d’effleurer : quel est le type de police de caractères le plus apte à faire progresser dans l’apprentissage de l’écriture ?

Allez, je me lance direct, en oubliant tout ce que j’ai pu déjà écrire ailleurs (facile : ma mémoire flanche). D’Olivier Randier (créateur du pack de neuf polices SG-éducation), ce petit message : « ce sont celles qu’utilisent tous les éditeurs ou presque. Disponibles en OpenType avec toutes les ligatures contextuelles… ».
Elles ont donc fait leurs preuves.
Mais vous en trouverez d’autres, gratuites, sans doute moins raffinées (format TTF, comme celles de Francis Ribano, et non OpenType ; plus ou moins abouties, mais cela est à mon sens secondaire), et même d’autres se prétendant destinées aux dyslexiques (et convenant aussi, à mon humble avis, aux autres… à la rigueur, ou à personne).

Le ministère de l’Éducation avait même lancé un concours et primé trois types de polices, d’auteur·e·s différent·e·s, particulièrement élégantes : eh, le jury était présidé par l’éminent créateur de polices, l’ami Jean-François Porchez, et faisait la part belle à la profession. Le ministre d’alors (Jack Lang ?) céda son portefeuille, son successeur laissa la poussière s’entasser sur le projet, au fond d’un classeur. Dommage pour les lauréat·e·s, peut-être pour « les enfants des écoles ». J’en avais rendu compte dans Création numérique et le mensuel La Classe ; ce doit être traçable.

Éducateurs (associés à des éditeurs de manuels) et créateurs de polices, le plus souvent formés à la calligraphie, dominant le ductus (séquençage du tracé des glyphes, ou représentations graphiques d’un caractère), sont les principaux fournisseurs, souvent associés, de ce type de polices d’apprentissage scolaire de l’écriture. C’est un peu spécifique à nos nations utilisant l’alphabet dit romain (et dérivés), peut-être à la sphère du cyrillique ; j’ignore en tout cas si de telles polices existent pour l’arabe ou des écritures asiatiques.

Franchement, je ne saurais plus vraiment départager ces polices (enfin, les bonnes à mes yeux ; pour les « mauvaises », toujours subjectivement ou me fondant sur des critères présumés objectifs, je suis peut-être influencé par mon biais perfectionniste, de compositeur). Peut-être, selon la progression de l’habilité de l’apprenant, sont-elles trop ou trop peu adéquatement formées, simplifiées ou étendues.

On peut aussi estimer que des polices d’origines « anglosaxones » (ou autres que françaises) seraient moins adaptées aux francophones : cela tient à la distribution des caractères, à la fréquence des ligatures (pour « écrire attaché »), à divers facteurs techniques dont je vous épargne le détail (approches de paires, notamment, voir ce terme).

Mais le fameux cas des frakturs (décrétées arbitrairement judenlettern ou judenschrift du jour au lendemain par le régime nazi) devrait faire réfléchir, par extension. Les petits écoliers « germains » d’antan étaient-ils handicapés par les frakturs dans leur processus d’apprentissage ? Ach, gross grattage de tête. L’abandon de ces « gothiques » (qui, selon les terminologies, n’en sont pas…), à présent réservées aux enseignes alsaciennes et autres, a-t-il fait progresser en maîtrise ; et de quoi au juste, soit de l’art de copier ou de celui d’écrire en saisissant le sens, la signification, et non plus seulement reproduire ?

Simplification et réglure

Voyez les r des polices Douteau-Ribano et ceux de l’ami Randier. La boucle supérieure est inexistante ou à peine esquissée. Les jadis réglementaires pleins et déliés de l’écriture cursive réalisée à la baveuse plume sergent-major, dont l’emploi succédait à celui du « crayon de bois », sont très simplifiés, les lettres épurées des fioritures de la calligraphie scolaire du temps des « hussards noirs »  (et frères ou sœurs des écoles chrétiennes).
Bien sûr, SG-éducation et Francis Ribano proposent aussi des « polices bâton » (script ; le terme étant aussi employé pour des calligraphiques), mais n’entrons pas dans ce débat…

Ce qui me séduit dans la méthode Ribano (voir sur le site des éditions Loiseaulire, ou encore la présentation en diaporama), ce n’est pas vraiment la qualité intrinsèque des polices (auxquelles je n’ai rien à reprocher), mais son accompagnement.

Pour des raisons pratiques, commerciales, &c., SG-éducation se conforme aux réglures Seyès (deux tailles de quadrillage) ou au « registre » (terme de mise en pages) à deux lignes parallèles. D’autres types de « rails » sont proposés par divers éditeurs. Ribano exagère-t-il les inconvénients de ces réglures, de ces guides hérités de la tradition (papetière et autres) ? Difficile de trancher, mais j’admets bien volontiers être séduit par la sienne. Laquelle est automatiquement générée par des polices correspondantes (à celles en étant dépourvues).

Sous MSWORD, des « macros » permettent de s’en affranchir (en employant des touches rarement utilisés, comme $, _, °) pour créer vos propres exercices…

C’est là, pour les parents (ou enseignants admettant d’y consacrer du temps), le moyen de personnaliser les exercices, notamment en fonction des intérêts des enfants. Les gamins seront sans doute plus motivés de pouvoir écrire le prénom de la ou du meilleur ami·e qu’un autre, d’un parent, ou d’écrire que papa ou maman va à la pêche, ou fait du vélo, si c’est le cas, qu’autre chose… Cela vaut pour toutes les polices. Ribano attache plus d’importance à l’usage de la couleur qu’au ductus.

Le ductus se transcrit généralement (voir des méthodes de calligraphie) par de petites flèches indiquant la manière de former les hampes ou hastes (jambages), boucles, obliques, &c.

Ribano propose de le transcrire – j’oserais translittérer graphiquement – de manière colorée pour indiquer le « lever de crayon ». En réduisant le nombre de ces levers. Progressivement, les variations de couleurs s’étendent et permettent de distinguer des « kinégrammes ».
Pour lui, « fleur » peut être formé d’un seul kinégramme (sans lever de crayon) ; « cile » aussi (hors point sur le i), tandis que « fa » en exige deux (f et a).
Cela vaut pour les exemples (l’apprenant n’ayant pas à reproduire les couleurs, sauf si cela lui chante, ce ne sont que des indicateurs visuels)

Cette manière de procéder faciliterait « l’approche gestuelle ». Par la suite, soit en fonction de la progression, peut-être serait-il indiqué d’en venir au ductus (pour se rapprocher de la calligraphie plus élégante : pour les capitales « bâtons », rudimentaires, recherchez la police Single Stroke, qui propose un ductus de formation, mais il en est d’autres…).

C’est cohérent, dans la mesure où l’auteur de la méthode Facilecture emploie la couleur et n’est autre que celui de la méthode Facilécriture. L’emploi de la couleur est aussi appliqué à l’acquisition de l’orthographe.

Dérouter ou varier ?

L’académie de Poitiers recommande les méthodes de Francis Ribano, il est possible (je n’ai pas vérifié) que d’autres en privilégient de  différentes. Lesquelles bénéficient sans doute, comme la sienne, de témoignages très favorables de directeurs d’écoles, de pédagogues.

Je ne crois pas que, pour des parents, des enfants, utiliser une méthode d’apprentissage de l’écriture « entre soi » différente de celle employée à l’école soit si déstabilisant. Un enfant avide d’apprendre apprécie sans doute la diversité et je ne vois pas trop où se nicherait un antagonisme fondamental.

Alain Naturel, enseignant émérite, considère que la méthode Ribano ne ralentit pas l’adaptation aisée aux lignages traditionnels par la suite. Réciproquement aussi, peut-on estimer au jugé.

De toute manière, vers la préadolescence, l’apprenant fera évoluer son écriture, sciemment ou non, la prise frénétique de notes entraînera ou non une « écriture de cochon » (tous mes cours étaient très lisibles, d’une écriture élégante, sur quadrillé 5×5, le journalisme détériora fortement la lisibilité par des tiers, ce bel ordonnancement).

N’en déplaise aux uns, aux autres, je ne me risquerai pas à conclure. Francis Ribano s’est attelé à élaborer un site dédié pour expliciter davantage sa méthode. Attendons peut-être sereinement avant de se lancer dans une disputatio. Mais le débat peut être relancé. Je ne me sens plus les capacités de l’arbitrer.

Traitant autrefois plus longuement de ces polices de cahier, je m’en étais sorti par une pirouette : « souvent considérées marginales, négligées, voire ignorées, elles pourraient (…) gagner en notoriété. ».

Un « dernier mot » quand même… Francis Ribano aura fait évoluer ma réflexion, ainsi que, peut-être, celle de son « coauteur » (pour les polices) Jean-Marie Douteau. Polices « de cahier » et polices « d’apprentissage de l’écriture » ne sont peut-être plus de parfaits synonymes. Jean-Marie Douteau propose toujours ses polices Écolier (court, lignée, CP). Elles simplifiaient la formation des glyphes pour une copie à la plume. Vous les trouverez, ainsi que d’autres, sur le site cursivecole (.fr), et bien d’autres. La variante « court » est peut-être désormais plus utile aux graphistes qu’aux instituteurs. Ce qui se discute, évidemment.

Voyez aussi les ressources disponibles sur le site de l’académie d’Amiens. Ou d’autres académies…

L’histotypograph (pardon my English) considérera peut-être qu’il s’est produit une rupture entre l’attachement à la calligraphie, rendue non pas obsolète mais moins indispensable avec l’avènement de la dactylographie (et dérivés), et une approche plus pédagogique et plus globale, liant l’usage d’une police à des visées d’apprentissage (progressif, de la lecture, de l’écriture, conjointement). De ce fait, les critères de perception ont évolué. La notion de gratification (sanctionnée par la note chiffrée ou la lettre de D à A) de l’apprenant, fier de bien reproduire les formes et d’en obtenir un compliment, est assurément passée au second plan. Le temps n’est plus ou des copistes, des compositeurs, des typotes ne sachant pas lire (si, si… relire par exemple Pierre-Joseph Proud’hon), trouvaient à s’employer et tiraient fierté de leur art. Mettons que… la police n’a plus tout à fait la même assurance.