Alexandre
Il est clair que votre niveau d’écriture traduit une belle culture générale, aucun doute… J’aurais aimé vous avoir comme élève (on aurait pu discuter à égalité, le rêve des profs qui ne se la jouent pas). Rassurez-vous, je n’ai pas passé beaucoup de temps à écrire ces articulets, la preuve en est que je n’ai pas même pris le temps de me concentrer sur la re – lecture et… que j’en ai eu vraiment honte ! J’ai même pensé, en vous lisant, que vous ne pouviez pas être élève de terminale (donc un peu vieil imposteur), tant actuellement les formations sont nulles. (J’assume mes propos et suis prête à conseiller Chatel, même si nous n’avons pas les mêmes options politiques. Je m’obligerai même à utiliser un vocabulaire à son niveau. Mais mes conseils seront payants, il y a des situations difficiles, non mais !).
Pourquoi pas prof’ de philo ? Vous touchez là un de mes grands regrets qui n’en est pas un puisqu’il m’aurait fallu des "classes idéales"… Dans la file d’attente des inscriptions à la Fac’, en première année, je me demandais encore : "Français" : non, pas envie de continuer le Latin et on ne "fait pas" Lettres modernes, la honte, "Histoire" ? À l’époque c’était géographie obligatoire et ayant été "torturée" par des profs qui pensaient que leur matière était la meilleure pour tous, (quant à moi, c’était : je ne veux pas être géographe et les cartes étant régulièrement dessinées par des gens que ça passionne, laissons-les entre eux, lisons-les.) Je retombais dans le circuit école élémentaire – lycée, où on allait encore m’enquiquiner. Philo ? Aïe, LA grande question ! Mais avais-je le droit d’influencer la pensée de jeunes esprits en formation (la pensée, car je sais être persuasive), à l’esprit si malléable. J’étais une passionnée, capable de s’asseoir sur des programmes déplaisants – Luc Ferry n’a jamais brillé dans cette conception-là – (enfin, bref !) et qu’ils se retrouvent tous avec un 3/20 de faveur à l’examen. (Ceci étant, j’ai enseigné l’allemand aux terminales et aux prépas, je leur donnais les textes obligatoires du programme, avec traductions et nous consacrions deux à trois heures à "défendre" les traductions, puis nous passions à l’apprentissage de la langue). Finalement, au fur et à mesure que la file avançait, je laissais mon choix se porter sur l’apprentissage de la culture allemande (vaste sujet, d’autant avec ce malade de Hitler), complété par celui de l’Italien (j’avais passé trois mois en Italie, "ça devait pouvoir la faire" – hum, la tête du prof’ !).
On me dit, trop souvent que je suis très courageuse. Les médecins, les infirmières, mes ami(e)s. À la maison, c’est interdit, je n’ai pas eu besoin de le dire : on ne se plaint pas, on va aux urgences… Je réponds généralement, aux laudateurs de mon « courage » : "mais quelle différence faites-vous entre le courage et l’inconscience ?" (Bon sujet de dissert’ !), il n’y a jamais de réponse mais… je suis mieux entourée par les "soignants" qui me trouvent bizarre et assez marante, d’autant que les femmes de ménage sont mes « potesses » , allez comprendre… : je suis leur « princesse », elles sont mes « comtesses ». J’ai suivi des études passionnantes. Poussin, dès la première année, d’un directeur d’institut, nous le nommerons, ce type aussi formidable que décrié (normal, ça va ensemble), Pierre Bertaux, qui entendait inculquer aussi l’économie et le droit de langue allemande à ses élèves de 3 e année, ceux qui voulaient s’y inscrire, bien sûr. Vaste horizon, passionnant. À côté, l’Italien m’apportait tous les plaisirs que cette très belle civilisation peut procurer, m’apprenait, aussi, le phénomène Mussolini, complètement dépassé par ce viandard de Hitler et qui trouvait qu’il exagérait, ce dingue. Dans les assistants ou maîtres de conférences, il y avait des gens assez intelligents pour ne pas heurter, en m’enquiquinant un directeur qui… dirigeait leurs thèses d’État, cela me faisait rire, moi la petite première année, quand même mal à l’aise quand le « patron » gueulait sur mes profs… Quand "la bande" me vit, seule étudiante, invitée à la maison de campagne du "patron", ils surent que ma parole prévaudrait toujours (j’ai mis beaucoup de temps à le comprendre – cela me paraissait faire partie des normes – donc, je n’ai même pas fait la "pute universitaire" -. Il est vrai que Bertaux et moi avions un gros point commun : très mauvais caractère (on dit cela pour rassurer ceux qui s’y frottent. En réalité, c’est avoir DU caractère, du genre : "tu m’attaques ? Je réponds, qui que tu sois".D’ailleurs, nous nous étions affrontés en public et il avait fini par présenter ses excuses. Ce qui peut coûter cher !)
Je suis restée un an et demi (léger), prof d’Allemand. J’aurais préféré l’Italien, mais les places étaient vraiment chères… Puis, après une bonne déprime : on n’aime pas se fourvoyer, après que Bertaux m’ait conseillé de postuler dans sa Fac’, pour commencer, en tant que lectrice, je lui annonçais que les problèmes rencontrés au lycée (étudiants comme relations avec le corps enseignant) seraient les mêmes en Fac’. Donc, je me tournais vers un métier neuf et passionnant, où il fallait conquérir – d’autant en tant que femme – ouille ! : la communication. Inconsciente et sans un fifrelin, c’était mon style. Mais « j’avais ma place partout, n’est-ce pas ? »
Il a fallu ramer et collectionner la bouffe « lentilles – boîtes de sardines », au grand dam de ma mère qui ne cessait de me dire : « je t’ai aidée à finir tes études, tu peux quand même venir dîner tous les jours ». Non. C’était un autre choix, qui l’avait hautement perturbée (toute sa petite famille était issue de la fac’ et enseignait) et j’estimais, jusqu’aux lentilles sans beurre ! – être responsable de mes choix à l’époque vacillants.
Plus tard, beaucoup plus tard, lorsque mon fichier de clients commença à faire de moi une « personnalité » sur la place de Paris, un copain, directeur à son tour à la Fac’, me proposa de venir enseigner cette matière en 3 e cycle et je me dis que c’était l’opportunité de rendre à l’université ce qu’elle m’avait apporté. Pendant douze ou quinze ans, j’en fus, quatre heures par semaine. C’était un métier qui me convenait bien (pas toujours aux autres… car j’étais très rigoureuse), d’autant que je le pratiquais à petites doses.
Aujourd’hui, après avoir accompli plus de trente ans dans la communication informative, c’est-à-dire non publicitaire, passionnant (car il demande un pouvoir de conviction et est, finalement, très didactique), je continue, mais exclusivement tournée vers l’Art (où il y a autant de c… qu’ailleurs, qui adoubent d’autres c…, il ne faut pas qu’une tête dépasse : comme dans une classe, on n’est pas payé pour ça). Prof’ ? Non, ce n’est plus possible et depuis longtemps, sauf à la maternelle où il y a le ravissement de l’éveil. La culture, la recherche sont des aspects majoritairement méprisés dans nos sociétés malgré leur grande utilité. Car il est plus facile de mépriser ce que l’on ne connaît pas (je ne parle pas de compréhension, à la portée PROGRESSIVE de toutes et tous), que de l’apprendre, avec patience, pas à pas. Visiblement, Chatel n’a pas eu le temps. Ma mère disait – suprême mépris – "oui, elle / il a décroché sa peau d’âne, par régurgitation qui est oubliée dès l’examen obtenu". J’avoue avoir fait "coller" deux étudiants de troisième cycle qui, visiblement, pensaient qu’il suffisait d’avoir passé la sélection (25 sur 200 à 400 dossiers et tous auditionnés : quelle poisse pour les enseignants !) pour leur démontrer le processus d’apprentissage et… la liberté d’esprit. (Éviter de pomper les conneries des autres). Puis-je me permettre un conseil ? Continuez. Continuez à vous poser des questions. Sur tout. Dîtes-vous qu’un professeur est là pour vous guider, autant que vos tournures d’esprit peuvent correspondre et que, même à force d’engueulades "sacrées", vous vous mesurez entre Hommes (ou femmes, si je ne l’écris pas, j’aurai des ennuis mais pour moi, ce n’est jamais que de l’être humain). Pas forcément à culture ni expériences égales, mais je me souviens (bien jeune) d’un prof’ de philo avec qui nous nous engueulions chaque jour, sur la promenade de Menton où nous passions nos vacances. Notre véhémence à tous deux aurait largement mérité qu’on appelât les flics mais c’était une époque où on respectait fortement l’engueulade intellectuelle, où on la comprenait. D’ailleurs, marrant, nous finîmes par avoir un public, au grand plaisir du bistrot, même si nous finissions par commander un verre d’eau avec trois pailles… (Allez essayer, aujourd’hui…) Comme par hasard, c’était Sartre qui se trouvait sur la sellette, c’était un jeune prof" nourri à ce lait-là par ses bons maîtres : il fallait s’en souvenir avant d’aller s’inscrire en philo… certaine d’y mourir d’ennui ou d’y flanquer le boxon…
Mais, voyez-vous, Alexandre, vous qui avez un prénom de conquérant et qui prouvez, par votre façon d’écrire, que vous en êtes un (si vous tenez bon), la philo s’applique à tout. Je vous ai écrit qu’on en fait l’apprentissage dès le premier "pourquoi ?", émis par "gueule d’amour – le bambin" et je maintiens. De quoi soit faite votre proche carrière, n’oubliez pas cette dimension. Et je crois bien que, ce qui forme le plus l’avenir du bambin, c’est de savoir dire "parce que" et la suite, de façon qu’un jour, quand son tour sera venu (cela peut être plus ou moins long, en fonction de son esprit et de l’ouverture que vous lui aurez donnée), il transmette ces "parce que" qui sont le fondement, osons, de notre civilisation.`
Nul (lle) d’entre nous n’a la vérité révélée (sauf les religieux mais ça les réconforte dans leur martyre), mais chacun d’entre nous peut accéder à la, à sa vérité. C’est fou ce qu’on vit mieux, même si, en admettant que vous preniez la peine de lire mes autres articles, vous vous apercevrez très vite que je suis une… gueularde…
Je conclurai (c’est pas une dissert’…) en vous écrivant qu’il faut garder votre liberté d’esprit. Pour avoir la paix avec les profs’ à qui vous apportez la contradiction, une astuce : citer les "autres", les grands écrivains, ceux qui ne peuvent, en aucun cas être mis en doute par quiconque et, particulièrement, qui ont été tellement prolixes, que pour retrouver la citation (qui, si vous avez assez de toupet, n’existe pas) se tortureront à relire l’auteur pendant des mois (petite vengeance…) et ne trouveront rien (Hugo, Voltaire et plein d’autres vous apporteront la matière première). C’est une chose que j’ai essayée en conférence (et je ne suis pas la seule…) et qui marche du "feu de dieu". Vous voilà classé au rang des érudits… Certes, vous êtes seul à en rire (il faut se taire) mais quelle jouissance intellectuelle, particulièrement quand le prof’ reprend la citation de X dans un cours (défense de rire : vaut mieux faire un malaise et aller se gondoler à l’infirmerie). "J’ai lu tous les livres et tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien". Ou à peu près. Mais l’exacte citation et le nom de l’auteur doivent être "trouvables" : c’est une vraie "scie", pire que Madonna.
@ plus, comme on écrit chez les internautes (quelle plaie !).
Encore une fois je ne sais que répondre, je trouve cependant votre cursus passionnant. Quand aux plusieurs lectures que j’ai faites de votre article, je ne saurai quoi y ajouter …
Vous m’avez aidé à ouvrir les yeux. La rentrée arrive à grands pas, mon professeur de philosophie a du souci à se faire car je compte bien me faire entendre ! Après tout vous avez raison, il n’y a pas de raison que je me taise. Il n’aura qu’à me coller une punition avec pour motif « pense mal », je pourrai l’encadrer ! Mais je vais chercher les réponses aux « pourquoi », cette fois j’y suis résolu. J’espère être à la hauteur de votre enseignement !
Amicalement et en espérant avoir un jour une autre conversation avec vous,
Alexandre Nassar
Alexandre, pas Prof. Non.
Simple communicante passionnée par ce métier qui rend la vie humaine.
J’espère que vous savez où ce genre de choses s’affichent ?
Très généralement et en toutes simplicité, aux gogues…
Nous aurons d’autres conversations par C4N. Ils semblent plutôt sympa, ici.