Alain-Georges Leduc : des arts au roman « sulfureux »

J’ai peut-être une photo d’Alain Georges Leduc (vous trouverez sur Google en catégories images) à Timisoara – où nous nous étions vus assez fréquemment car il y encadre des échanges d’étudiants en arts – mais j’aurais du mal à la retrouver. Et lors de nos occasionnelles bamboches à Paris, je ne pense jamais à me munir de mon appareil… j’y songerai. « Portrait » donc très partiel, un peu partial, d’un singulier personnage.

Non seulement me manque la « plaque » (la photo) mais aussi maints détails sur homme plutôt avares en confidences très personnelles. Mais parfois, nous évoquons des femmes, connues de lui après sa séparation à l’amiable d’avec sa compagne, ou que nous serions prompts à connaître si elles nous en offraient l’occasion. Moins, beaucoup moins, de jeunes filles : c’est bien lointain, et puis j’ai cru comprendre qu’il affectionnait par prédilection des femmes un peu plus « mures » que ses étudiantes. Lesquelles seront sans doute aussi étonnées que je le fus récemment moi-même de le voir signataire d’un Vanina Hesse aux éditions de La Musardine.

Ces éditions, comme la librairie homonyme, sont très spécialisées… Dans les ouvrages sérieux, de sociologie portant sur le genre ou le sexe, les essais érudits, mais aussi dans les reprises de titres érotiques célèbres, dans des pochades parfois salaces mais d’assez bon ton, ou des essais plutôt lestes, comme ceux de mon ami Étienne Liebig (voir ce nom sur Come4News).

Jusqu’à présent, nous avions plutôt conversé édition de livres d’art, les siens comme ceux d’artistes roumains et autres qu’il lance ou conforte dans leur notoriété, du Banat, dont nous nous partageons de bonnes adresses de visites ou gastronomiques (mici graisseux inclus), et des airs du et des temps.

Quelque peu à l’étroit

Homme de forte stature, le personnage semble un peu à l’étroit dans le monde actuel. D’ailleurs, en son intérieur, du moins la partie la plus accessible aux visiteurs, cette impression est d’autant plus forte que le local est exigu ou en donne l’impression en raison des toiles et statues parfois volumineuses qui s’y succèdent. Son franc-parler n’a sans doute d’égal que sa pudeur… L’intérieur est riche mais bien peu aisé, le for l’est immensément, riche assurément, mais malaisé parfois en dépit de l’assurance et de la faconde, à le lire comme à l’entendre.

Ce n’est que très récemment qu’évoquant le regretté Michel Doury (auteur prix Nimier 1968, la pire année pour le recevoir) qu’il m’a confié avoir inauguré le prix littéraire Roger-Vailland dès… 1991. C’était pourLes Chevaliers de Rocourt (chez Messidor, alors encore en haut du faubourg Poissonnière, maison de, aussi, Miroir du cyclisme et Pif le Chien). Je consigne l’adresse car nous pérégrinons assez fréquemment, à Timi ou Paris, en évoquant les quartiers populaires, parisiens ou d’autres villes, que nous affectionnons.

Puis, j’ai eu la curiosité de consulter sa copieuse page surWikipedia. Mazette ! Mâtin ! Tant de nouvelles, poèmes, essais, de littérature « de voyage », et même des reportages (chez Syros, notamment). Cela m’a permis de découvrir que La Musardine republiait pour la seconde fois ce Vanessa Hesse (premier tirage au Temps des Cerises, puis à l’Atelier des Brisants). Ah donc !

De quelques mois mon cadet, il a sans doute voyagé autant, si ce n’est davantage que moi-même, noircissant autant de carnets de notes, mais pour d’autres raisons que de publier le nième roman de journaliste (généralement, les journalistes produisent de la médiocre littérature, et j’ai d’autant plus facilement renoncé que la concurrence est sévère).

Or donc, Vanina Hesse, dédié à une certaine Évelyne W., qui ne s’y reconnaîtra que partiellement, est « un personnage composite », selon son auteur. Je m’en tiendrai à cette confidence avant de lire l’ouvrage. Il est sans doute des femmes qui suffisent à leur compagnon (et l’on pense à l’Elsa d’Aragon, à la Lula de Rezvani…), mais la plupart, pour l’inspiration romanesque, n’y parviennent guère, c’est ainsi. À l’étroit en compagnie d’une seule, sur plusieurs décennies, c’est souvent le lieu commun et la destinée banale… ou insolite, cocasse, voire, à l’occasion, sublime, mais peu fréquemment. Au plus large ou plus resserré des autres, l’autrui, si différente ou si même, de nous ou d’entre elles, savent faire que nos vies nous étonnent, de surprise en surprises.

Curieux dans la ville

Alain-Georges déplore fréquemment le manque de curiosité des jeunes générations (il est de notre âge d’en parler sur un mode convenu, vaguement désabusé), ne comprenant peut-être plus qu’elle s’exerce en des domaines qui, faute d’y être initiés, nous échappent. Il suffirait sans doute d’une rencontre pour qu’il s’enthousiasme : la curiosité partagée est tellement supérieure, quoi qu’on dise, à la solitaire. L’écrivain, en dépit d’un large relationnel, se doit de l’être, de concéder à une forte astreinte. Il est membre d’une foultitude de sociétés dites « savantes », comme celle consacrée à Octave Mirbeau, que je devrais visiter à Angers si son siège n’est pas qu’une boîte postale. Mais longuement seul devant la page.

D’aucuns le savent moins, ce chantre du Nord et des Nordistes fut d’abord archéologue et anthropologue. Les hasards d’une mise au placard qui frappèrent tout le personnel d’un musée à présent révolu, réaffecté, l’ont porté à exercer de multiples boulots avant de vivre surtout de l’enseignement en l’histoire de l’art. En cornac ou à sa traîne, nous vagabondons aussi en ethnologues de bistrots. Il en reste d’intéressants, animés, et la précarité des jeunes ou plus âgés intellectuels – pas forcément passés par d’autres universités que celles du chanteur Philippe Clay, celles des ruelles, du pavé ou des landes et des flots – en forme le meilleur du personnel et de la clientèle.

Or donc, c’est aussi moins connu, après un dictionnaire Les mots de la peinture (Belin, 2002), il planche sur un vocable dont je ne sais s’il sera de l’érotisme ou des mots crus, mais que j’imagine clouté d’évocations littéraires. Y retrouvait-on la fameuse lettre « pour lire au lit » de Marie Dorval à Vigny ? Peut-être réinventera-t-il cet écrit détruit.

Peu publient des livres vraiment osés sous leur patronyme, si, peut-être, on excepte Sollers qui mêle les genres, ou encore Gabriel Matzneff, auteurs qu’Alain-Georges fréquente bien sûr. Le genre a ses noblesses (et même ses aristocrates vulgaires, aux écrits souvent trop médiocres, se cantonnant dans l’égrillard ou l’attendu). Ses outrances, aussi, de pur divertissement, qui peuvent vous tomber vite des mains (sans que la main s’égare sur le vit). J’ai pratiqué aussi en besogneux rémunéré, en nègre que je n’ose qualifier de littéraire, enchaînant les corvées alimentaires, m’en détachant dès la moindre issue de secours décelée. Il en subsiste parfois pourtant l’émotion de passer du plus tendrement émouvant au plus sordide – et retour.

Aussi nous arrive-t-il de flâner vers de lieux délicats et touchants et d’en revenir à d’autres, déplorables, plus misérables que miséreux, mais nous paraissant encore insolites ; voire de nous perdre dans l’attente de plus sinistres encore. Au risque de tomber sur des voyous qui n’ont rien de l’altière fierté contenue des gibiers de zonzon avec lesquels il nous arrive d’échanger des propos qui ne sont pas que de résignation. Son Vanina Hesse, me glisse-t-il, se ressent d’intromissions de ce type, de diverses natures, en divers univers, précieux ou bassement vulgaires.

Franc du collier

J’attends donc de le lire, redoutant malgré tout quelques déceptions largement compensées par d’autres considérations dont sa vaste conversation se relève fréquemment. Le récit BDSM, qui allie et alterne braise et glace, s’il ne se cantonne pas aux plus belles pages des Jean de Berg (de la langue ciselée de Catherine Robbe-Grillet), n’est pas que catilleux, mais franchement périlleux à mener à son terme.

J’avoue l’attendre davantage sur un ouvrage sur la guerre d’Espagne (ma référence reste Orwell mieux que Malraux), paraît-il en longue gestation. Nous finirons peut-être par entonner Puente de los Franceses, au (al) Papi Chulo – rue des Petites-Écuries, 10e ar.  –, sans rien savoir du passé ou des opinions des patrons. Éventuellement par nous contredire sans nous fâcher durablement. Ou par diverger en butant tous deux sur un mot devenu rare trompant notre mémoire. Mais je ne saurais renier quelqu’un qui « y va franco » (sans réel jeu de mots).

Sans doute ferons-nous un site, ne serait-ce que pour signaler ses conférences et interventions, son calendrier. Pas forcement une page Facebook (il y figure, non point de son fait).

J’enchaînerai le Vanina avec Art morbide ? Morbid Art (eds Le Temps des Cerises) présenté ainsi : « des pulsions morbides hantent l’art contemporain, qui n’est plus pour l’essentiel qu’un jeu de guignols manipulés par l’idéologie et l’argent (…) provende d’un marché friand de sang neuf… ». Sur le fond, nous sommes d’accord, sur la forme, voila de quoi nourrir de sympathiques petites querelles intestines.

Il est des personnes d’exception avec lesquelles il est attrayant (et fécond) de se chamailler. Alain (Georges) Leduc en est, éminemment. Tiens, pour commencer, sur le Vanina, signalons-lui l’impression quelque peu rapide à mon sens (j’ai retrouvé ailleurs de chaleureux éloges, on verra), d’un certain Yael sur Toutelaculture (.com) : « un texte trop référencé, trop précieux et trop peu imbibé de désir charnel pour être véritablement érotique. Une curiosité au style suranné où l’on découvrira la bibliothèque d’un homme et presque en annexe la liste de perversions qu’il invente en espérant se désennuyer. ». Ben, en tout cas, pour l’auteur et ce livre, je ne sais déjà, mais il m’a été confié à l’oreille quelques appréciations reçues de lectrices qui m’ont ardemment donné envie de les rencontrer (voire connaître, une fois ou l’autre, peut-être…).

Tant que nous ne deviendrons pas des barbons au baron (formidable de bière), de vieux birbes, pas forcément libidineux, nous irons cheminant… et vous aussi peut-être, de par l’intimité de la lecture. Ah oui, en ce moment, il recommande Sollers, ou Andreï Kourvov ou même Édouard Limonov, mais nous n’avons pas tourné la page et le linceul – tout juste la bière – sur Charles Bukowski. À la prochaine rencontre, nous boirons à la mémoire de Claude Faraldo, cinéaste… Compañero, ¡salud!

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Alain-Georges Leduc : des arts au roman « sulfureux » »

  1. Le BDSM sujet peu couru sur Come4news, on se demande bien pourquoi?

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  2. Voui, Liberti(n)us.
    Mais mettons que la tonalité générale du site est davantage « familiale », non ?
    La photo d’Alain-Georges (trouvée via Google j’imagine), est assez fidèle et récente.
    J’attends de prendre la mienne, sous peu (Alain est prof à Metz et revient à Paris en fin de semaine, quand il n’est pas par monts et vaux), pour chroniquer le bouquin.

  3. A part ‘j’ai 3 ans’…….., l’âge moyen de la « famille » devrait être assez élevée…..

    Pas un seul article sur les femmes couguars! Sans doute que le sujet est trop conventionnel…????Il n’y a pas que l’âge qui est élevé, le conformisme aussi….hélas

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