Il y a fort à parier que les « pièces à conviction » que constituaient les Airbus 350 et 380 n’atterriront pas, vendredi prochain, devant la 11e chambre correctionnelle de Paris. D’autant que la défense entend bien les expédier ad eternam dans les limbes de l’affaire EADS, un cas de délit présumé d’initiés que l’AMF (Autorité des marchés financiers), avait absous, et cela « définitivement » cette fois. Oui, mais depuis lors, la CDC (Caisse de dépôts et consignations), s’est réveillée…
Difficile de résumer l’affaire EADS dont l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel couvre 160 pages ; ce d’autant que diverses turbulences n’y sont mentionnées qu’allusivement. Le patron de presse Arnaud Lagardère et sa société éditrice de médias, l’État même y sont impliqués. En gros, Airbus – et donc EADS et d’autres sociétés — avait, en 2005-2006, été mis en difficultés du fait de lourds retards dans les programmes des A-350 et A-380, ce qui impliquait de dédommager les compagnies aériennes ayant passé commandes. Conséquence, le cours boursier en serait affecté dès cette mauvaise passe connue des investisseurs.
Mais, à les en croire, des actionnaires majoritaires n’auraient rien vu venir et, en avril 2006, ils se défaussaient de 7,5 % du capital sur la CDC, donc, en définitive, sur le contribuable. Au passage, des cadres très supérieurs se gavaient avant que le cours en bourse dévisse de plus d’un tiers en quelques séances.
On se souvient bien sûr du « responsable mais non coupable » de l’affaire du sang contaminé, mais, et c’est à cela qu’on le reconnaît, Arnaud Lagardère saura surenchérir avec le fameux « entre passer pour quelqu’un de malhonnête ou d’incompétent, j’assume cette seconde version ». Depuis, avec l’affaire Bygmalion, on a certes fait mieux : rien vu, rien entendu, donc rien à en dire… On en vient à se demander si l’ami Nicolas n’avait pas soufflé la formule à l’oreille du compère Arnaud…
Certains ne l’entendaient pas de cette oreille, notamment de petits (tout est relatif) adhérents de l’Association syndicale des actionnaires représentés par Me Frédérik-Karel Canoy. Lequel déposait une plainte contre x qui aurait pu être, entre divers, nul autre que l’ancien ministre des Finances, Thierry Breton. Ce dernier, un peu comme plus tard Christine Lagarde dans l’affaire Tapie, ou un Cahuzac entendu par les parlementaires, un Woerth dans l’affaire de l’hippodrome de Compiègne, ont déploré d’avoir été abusés par des apparences trompeuses relayées par une mauvaise presse.
Arnaud Lagardère ne sachant rien ne pouvait confier des craintes inconnues à ses amis de Bercy et de l’Élysée. Ce qui amena François Fillon à déclarer, solennel, que « l’État ne s’est prêté à aucune manœuvre ». Même le sénateur UMP Philippe Marini avait émis des réserves, estimant n’être pas convaincu de la nature « des relations entre l’État et la Caisse des dépôts… ».
C’était « par la presse », disait-il, que Thierry Breton avait appris que la CDC, sans rien dire à personne, avait sauvé la mise d’Arnaud Lagardère, en perdant à son profit 126 millions d’euros.
Il n’empêche que le même Thierry Breton allait ensuite intervenir pour que l’un des impliqués dans l’affaire, Noël Forgeard (co-président d’EADS ayant cédé à temps des actions), soit viré muni d’une partie du montant de son « parachute doré » sous la forme d’une clause de non-concurrence. Le candidat Sarkozy s’en était déclaré choqué. Depuis, son parachute lui a été – et lui sera de nouveau sans doute – fourni par l’UMP.
Comme dans l’affaire Tapie, des divergences étaient apparues entre membres des diverses instances ayant eu à connaître des tractations. Ainsi, à l’époque, Jean-Pierre Jouyet, pourtant président de l’AMF, avait regretté que sa commission des sanctions ait en quelque sorte blanchi les protagonistes. Nommé par la suite à la tête de la CDC, il n’a assurément pas changé de conviction.
En dépit d’un arrêt de la Cour d’appel, d’un autre de la Cour de cassation, la défense va arguer que nul ne peut être condamné deux fois pour les mêmes faits. Le non bis in idem (pas deux fois pour l’identique) a été réaffirmé par la Cour européenne des droits de l’Homme. Problème : l’AMF n’a pas condamné, ni le moins du monde sanctionné financièrement ou autrement.
Comme dans l’affaire Tapie, il se trouve d’éminents juristes pour estimer que, même si sur le fond il pourrait y avoir matière à discussion, la forme prime.
Mais outre les quelques dizaines d’actionnaires lésés représentés par Me Canoy, ont trouve parmi les plaignants des pointures tels Generali, Natixis (impliquée dans une autre affaire de cours boursiers), Groupama ou le Crédit mutuel… Bref, l’argent des contribuables, mais aussi celui des déposants ou des assurés avait été mobilisé. Nul doute qu’ils puissent souhaiter des sanctions, même s’ils ne sont pas du tout sûrs d’en bénéficier concrètement le moins du monde (mais de hauts fonctionnaires, des dirigeants peuvent espérer une prime).
Par ailleurs, dans l’affaire dite Pechinay II (Opa sur Alcan), le 26 septembre dernier, le tribunal correctionnel de Paris a condamné quatre personnes déjà sanctionnées par l’AMF.
Pour les actionnaires individuels, il est encore possible de se constituer partie civile jusqu’à la veille des réquisitions, prévues, sauf aléa et report, le 19 octobre prochain.
Une petite citation tirée de l’instruction menée par le juge Serge Tournaire et figurant dans l’ordonnance de renvoi mérite d’être relevée : « c’est le principe de l’École des fans, tout le monde a dix et un gros cadeau à la fin de l’année », quoi qu’il advienne… Ce principe, tout le monde (au sommet) se l’applique et tout va bien tant que les acquéreurs ou consommateurs acquiescent tacitement, s’ils sont livrés et satisfaits ; quand il ne suffisent plus, il faut bien se tourner vers les contribuables ou les épargnants.
Que le tribunal entre en voie de condamnation ne mettra pas sans doute pas un terme définitif à l’affaire : on peut faire confiance aux sociétés Daimler et Lagardère pour explorer et actionner toutes les voies de recours. Les greffes sont encombrés, les juges croulent sous les dossiers, mais on ne s’offusque que lorsque de petits délinquants bénéficient, parfois même malgré eux, de cette situation. D’autres savent l’entretenir…
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