Les agences de notation pourraient donner un triple A plus à la France… pour son ratio de militaires tués en Afghanistan. Avec 74 militaires morts depuis 2001, soit sans doute trois fois plus d’estropiés ou d’invalides, la France bat désormais le record de mortalité de l’ISAF (International Security Assistance Force), au moins en valeur relative (pertes par rapport à l’effectif engagé). Encore un effort, et le ludion malfaisant de l’Élysée pourra pavoiser. Du moins l’espère-t-il.

Je le prends un peu avec des pincettes, car quelques pays manquent à l’appel dans le tableau que publie Giselle Sanchez sur Rue89. La Roumanie par exemple. En sus, cela change tout le temps, chaque jour, et ce n’est pas moins de cinq militaires étasuniens, tous du même bataillon, qui sont morts le 11 août dernier. Mais avec 74 soldats, gradés et officiers subalternes morts, la France vient sans doute de passer en tête du peloton des corps expéditionnaires les plus touchés par rapport aux effectifs engagés.

Les raisons sont multiples. Certaines provinces sont plus exposées que d’autres, certains contingents plus actifs, les équipements varient, et le fait que les officiers supérieurs se claquemurent ou non à Kaboul ou dans des bunkers retranchés influe aussi sans doute sur les pertes.
Et puis, et puis, il y a aussi la pression mise par les ministres et les chefs d’États sur les états-majors. L’Italie, remplacée par la France en Kapisa, y faisait plus ou moins de la figuration (39 morts quand même).

Ce n’est qu’un indicateur. Un autre serait le ratio des morts militaires (Afghans inclus) par rapport à celles des civils victimes des uns et des autres.
Notamment des uns (les pertes civiles provoquées par les opérations des militaires de la coalition). Bien sûr, contrairement à ce qui se produit au Royaume-Uni, la presse française évoque peu le sort des mutilés et des blessés graves.
La Suède fait état de ses blessés (dernier en date, un blessé par tir à la jambe, le 12 août).

Quoi qu’il en soit, Nicolas Sarkozy peut se targuer d’être un chef de guerre, en Libye comme en Afghanistan.
Et non des moindres. Avec, si cela continue ainsi, près de 5 % de l’effectif engagé mort (très majoritairement au combat), la France devance l’Australie, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Pologne pour le premier semestre 2011, surclassant tous ses « concurrents ».
Elle n’était qu’en cinquième position pour la période 2001-2010. Fulgurante progression !

« On » n’a pas obtenu les Jeux Olympiques, mais on se rattrape. Qu’on ne se méprenne pas. L’ironie – amère – ne doit pas être confondue avec de l’humour, ici totalement déplacé. Mais quand « on » (les Américains, les Canadiens et les Britanniques, en particulier) allait devoir voir ce qu’on allait voir, on a vu. C’est gênant, relève aussi le père d’un soldat sur Rue89, les militaires s’équipent aussi à leurs frais de petites caméras vidéo. Ce qui peut conduire à mettre en cause le déroulement des opérations, voire le commandement.

Ce ne sont pas que des graphiques. Ce n’est pas qu’une comptabilité qui a des répercussions budgétaires, notamment, à court, moyen, long terme. Mais il y a aussi un bilan d’« étape ». La démocratie a-t-elle progressé (toutes choses égales par ailleurs, le secteur privé prédominait en Afghanistan et lier « étatisme » et démographie est un peu court) ? L’Afghanistan peut-il se passer de la culture des stupéfiants ? La condition des femmes a-t-elle été sensiblement améliorée hors des plus grandes villes ? &c. En quoi gagne-t-on « les esprits et les cœurs », selon la formule ronflante de Nicolas Sarkozy ? Et pour l’énoncer crument, à qui cette guerre profite-t-elle ?

Ah oui, Hervé Morin a obtenu quelques photos publiées : il posait ce dimanche en compagnie de la veuve de Thomas Rousselle, du 3e Rima, à Damgan. Le Parti socialiste réclame – enfin – un retrait plus rapide. Et voilà que Nicolas Sarkozy veut fanfaronner : n’ayant pu obtenir la chute du régime de Kadhafi pour le 14 juillet, il veut, exige, une accélération des offensives en Libye. Histoire de brûler une fois de plus la politesse à ceux qui plaident pour d’intenses négociations diplomatiques assorties, dans un premier temps, d’une réduction des frappes aériennes (qui ont, selon le porte-parole de l’Otan, atteint leur objectif de protection des civils, les forces loyalistes étant désormais incapables de mener des opérations d’envergure). On peut l’écrire sans ambages : que les fils Sarkozy prennent leur part et donnent l’exemple en Afghanistan et en Libye… Ou au moins en Côte d’Ivoire…