Affligeant : quand « nos Maliens » s’en prennent à « nos (futurs) Rroms »

Affligeant, et c’est une litote : l’article de Sue Reid sur les Rroms d’Île-de-France et de Neukolin, dans la banlieue de Berlin, est propre (« sur lui ») à coller la honte à un peu tout le monde (je m’inclus bien sûr) tout en confortant les plus endurcis à l’endroit des romanichels hongrois, bulgares et roumains dans leur volonté de se montrer encore plus impitoyables.
Cela me navre d’autant plus qu’à la place de Sue Reid, j’aurais sans doute fait de même, soit ce grand écart – très probablement impossible à réussir – consistant à ne pas trop fâcher les diverses composantes d’un même lectorat.
Elle a certes omis un léger aspect de la question Rrom : pas question de trop relever à quel point, largement sortis de la misère, ils ressemblent si fort à celles et ceux d’entre nous que nous valorisons le plus…
 

Et voilà, « nos » Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais… – pas toutes et tous, et je songe en particulier à Bernard Stasi ou à Raymond Forni – ont rejoint l’électorat du Front national, même si la plupart déplorent que « leurs » Arabes soient remplacés par des « Chinois » (ou Laotiens ou autres), notamment dans les bars-tabacs-Pmu des ex-bougnats auvergnats.

Je n’y peux rien, ce qui m’a le plus frappé dans le reportage de Sue Reid sur les Rroms en France et en Allemagne, c’est cette incidente : « I watched in horror as one African [tried to] knock Victor and Alin off their bicycles », soit que peut-être l’un de « nos » Maliens tente, d’un coup de volant, près de la porte de Montreuil, de faire chuter deux Rroms circulant à vélo.
Horreur, stupeur, tremblement, la consœur, qui a sympathisé avec les jeunes Victor et Alin Rostas (un patronyme aussi roumano-moldave que Rosca ou Craciun), leurs parents, leur fratrie, &c., fait dans « le social, le vivant, l’humain » comme on le lui a appris à l’école de journalisme ou lors de ses stages.

Avec les Rostas, ceux de la porte de Montreuil, qui s’entassent à onze dans trois carcasses de voitures (Renault, Citroën et Suzuki), Sue Reid avait ses bons Rroms, pauvres et hélas ne pouvant tout à fait rester aussi dignes que les lectrices et lecteurs du Daily Mail le souhaiteraient. Pour bien faire, aux photos de David Crump à Montreuil et Paris ont été ajoutées des images d’agences ou d’archives prises à Triel-sur-Seine.
Le Daily Mail est sans doute, tout en s’en défendant, tout en sachant faire pleurer sur le sort des Asians et autres allogènes pauvres, mais dignes, le titre le plus xénophobe de la grande presse britannique.

Je ne sais si, en 1896, le Mail, voulu et conçu pour être acheté par les « office boys » (les petit·e·s employé·e·s) et la lower-lower-middle-class, s’en prenait à ces Juifs forcément pouilleux, odorants, incultes, &c., réfugiés d’Europe de l’Est, qui venaient prendre le pain des épiciers ou merciers ou ferblantiers, droguistes, bien Britanniques. Ils n’étaient, pour beaucoup, pas plus propres sur eux que des Rroms (enfin, certains), tout aussi dépourvus de lieux d’aisance, &c.

Cela étant, une partie de l’opinion composant le lectorat était tout aussi émue qu’à présent le sont celles et ceux qui, en France, souhaitent le meilleur ou le moins pire pour Leonarda et sa fratrie (en tout cas, au moins aussi sa mère, voire aussi son compagnon), et les journalistes du Mail d’alors devaient en tenir compte. 

Heinz Buschkowsky, maire de Neukolin, auteur d’un livre intitulé quelque chose (en allemand) signifiant « Neukolin est partout », passe pour un raciste, en tout cas un anti-Rrom. Il est vrai que l’invasion de sa commune par des Rroms, entrant chez lui avec leur funeste cortège d’incivilités (pour certaines et certains, pas forcément pour toutes et tous), lui fournit des anecdotes croustillantes. C’est gratiné. Le maire, élu SPD, spécialiste du multiculturalisme (Multiculti ist geischeitert), a dérangé un peu tout le monde, à droite comme à gauche, avec son Neukölln ist überall. C’était l’an dernier. Il n’empêche que ce « raciste » (la distanciation s’impose) a fait sans doute davantage que la maire de Montreuil pour tenter de faciliter la vie de divers·e·s Rroms de tous âges.
Il y a presque 36 écoles de Neukolin qui développent des programmes pour les enfants rroms (soit juste un peu plus que la moitié des établissements). Il est vraiment tenté de vraiment permettre à qui le désire de se sédentariser. Qu’on le veuille ou non, en dépit du folklore et des clichés, en Roumanie même, de très nombreuses, de très nombreux Rroms sont sédentarisés (et revendiquent ou non, voire pas du tout, leur appartenance à la « communauté » tsigane).

Mais, évidemment, si après les Italiens, Polonais, Espagnols, « Arabes » et autres, « nos » Rroms venaient manger le pain de « nos » Maliens, ce qui se produit en banlieue de Berlin, cela générerait des frictions.

Le problème, c’est aussi que la « communauté » tsigane rrom est un mythe commode. La succession du prétendu « roi » des Rroms de Roumanie et au-delà (surtout des deux pays voisins, Hongrie et Bulgarie) tourne à la foire d’empoigne. Les Rroms de la classe moyenne, celles et ceux que l’on rencontre dans des restaurants populaires roumains  considèrent que les plus riches (celles et ceux capables de réserver tout un restaurant un peu huppé pour être tranquilles à moins d’une dizaine au total) pourraient se préoccuper du problème.

En fait, ils le pourraient, ces riches, très riches, parfois richissimes Rroms. Sauf qu’ils se comportent tels des Gérard Depardieu, ou de très grands capitaines d’industries françaises (ou multinationales) : payer le moins d’impôt possible, éviter toutes les taxes, courtiser les politiciennes et les politiciens pour obtenir des régimes dérogatoires, &c.

Bref, ils se comportent de la même manière que celles et ceux d’entre les Françaises et Français les plus valorisés, notamment par la presse de droite, jamais en reste pour vanter leurs comportements, les donner en exemple.

Au moins, le très populiste Daily Mail se distingue de la presse française : dès qu’un abus est le fait des classes (politiques et autres) dirigeantes, son, ses auteurs sont véritablement conspués, traînés dans leur glèbe dorée. Traité(s) de la même manière que les voyous et caïds rroms, les plus en vue et les plus puissants en prennent pour leur grade. En revanche, il n’est jamais dénoncé que la normalité les favorise et que leurs abus sont d’autant plus outranciers qu’ils sont choyés, exonérés de multiples charges incombant aux classes moyennes supérieures à inférieures, et même aux classes les moins favorisées en Angleterre et Galles.

L’article du Mail se dispense de réelle conclusion. L’Union européenne va favoriser l’invasion massive des Rroms en Allemagne, au Royaume-Uni, en France, &c. Mais il serait dommage que des Rostas qui se débrouillent comme ils le peuvent soient traités comme la police française les traite. Tandis que d’autres… méritent amplement d’être combattus, emprisonnés, &c.

C’est bien sûr d’une grande hypocrisie. Un peu comme cette histoire d’établir un camp de Rroms dans le XVIe arrondissement parisien. Bien évidemment, les résidents renâclent, et leurs élus les y encouragent. Tout en espérant peut-être que cela se fasse, et qu’ils pourront acquérir à plus bas prix des immeubles alentours, pour les revendre beaucoup plus cher ensuite, après avoir obtenu le déplacement du camp, sous les applaudissements des riverains dont les biens immobiliers intéressaient moins.

Bien évidemment, les plus de deux-cents commentaires suscités par l’article vont pratiquement tous dans le même sens : oublié, le sort des Rostas, il faut bouter les étrangers hors de la Grande-Bretagne. Tout juste est-il rappelé que l’Espagne pourrait aussi bouter hors de son sol les nombreux Britanniques tombés en pauvreté après avoir profité en Espagne de la bonne tenue de la livre sterling.

Les commentaires, même mesurés, les moins défavorables aux Rroms, ont reçu jusqu’à près de deux milliers d’avis défavorables.

Il faut dire que le Mail a aussi trouvé en Grèce une « Maddy » (Maddie McCann), soit une blondinette kidnappée vraisemblablement par des Rroms. C’est à Farsala. La gamine, une goldilocks de quatre ans, serait prénommée Maria par la famille rrom disant l’avoir recueillie. Dans le camp, les origines d’une dizaine de gamines ou gamins semblent suspectes aux policiers grecs. La famille qu’on n’ose dire d’accueil s’occupe plus ou moins bien (ou moins mal) de quatorze enfants.
Le camp, qui ressemble aux baraquements français construits à la fin de la dernière guerre pour abriter des gens du voyage (dont des rescapés des camps nazis), présente un confort relatif largement supérieur à celui des épaves automobiles dans lesquelles les Rostas vivent à Montreuil.

L’histoire de la Greek Maddie a fait longuement la tête de la page d’accueil du site du Mail, reléguant les Rostas plus loin dans le classement hiérarchique (journalistique). C’est vrai qu’une blondinette, avec des tresses, c’est encore plus social, vivant, humain… The Independent a fait de même.

Le Telegraph a préféré titrer sur une mystérieuse jeune Somalienne (aucun détail n’est donné) qui aurait été amenée clandestinement au Royaume-Uni pour y commercialiser ses organes. Là, il ne doit pas s’agir de médecins Rroms. Dommage ? Pas même des médecins Juifs ! Décevant ???
Bizarrement, les rapines des Rroms semblent traitées de manière plus spectaculaire que ce type de trafic choquant. Ou serais-je le dernier à trouver encore cela « bizarre » ?
Ah oui, des rapines, tous les lecteurs et lectrices sont présumés victimes. Tandis que des transplantations d’organes, certaines ou certains pourraient être bénéficiaires. Les mêmes bénéficiaires seraient-ils favorables à renvoyer sur pied les organes des Rroms dans leurs pays d’origines présumées respectifs ?

Bien sûr, la décision de (enfin, annoncée par…) François Hollande de laisser le loisir à Leonarda de venir poursuivre sa scolarité en pensionnat ou famille d’accueil en France (ce qui permettrait de l’expulser plus tard) a été conspuée par un peu tout le monde (hors cœur du PS). Y compris par François Fillon, qui ne pouvait pas s’abstenir, et s’en tenir à une déclaration intéressante : « Cette affaire illustre la nécessité de réduire à six mois le délai d’examen de demande d’asile… ».

D’emblée, cela semble une mesure de bon sens. Sauf que… En raison de la complexité des dossiers, cela peut signifier que des gens risquant vraiment leur vie (des chrétiens syriens ou irakiens par exemple) risquent d’être très rapidement refoulés, car il leur sera difficile de fournir rapidement des preuves suffisantes des risques auxquels ils sont personnellement exposés.

Dans de telles affaires, toute décision est critiquable, toute mesure, ainsi que toute mesure inverse, comporte des effets pervers. Presque tout et son contraire peut être soutenu. Quant à dégager un consensus… même les Rroms, pour la succession de leur prétendu roi, n’y parviennent pas. Alors, pensez, les Françaises et les Français…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Affligeant : quand « nos Maliens » s’en prennent à « nos (futurs) Rroms » »

  1. [b]Légendes urbaines, même pas…[/b]

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  2. Jef,
    les roms sont catholiques ou orthodoxes en principe (certains athées) les maliens majoritairement musulmans, peut-être ceci explique-t-il cela, non ?

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