Ne revenons sur les détails de l’affaire Tapie-Guéant-Sarkozy, largement développée sur Come4News, sauf pour saluer le talent du dessinateur (de BD et caricaturiste) Pétillon qui, une fois de plus, fait preuve d’un humour et d’un à-propos que lui envie – et non jalouse – l’ami Cabu. Mais interrogeons-nous, à cette occasion, sur le devenir de la mare des canetons, bientôt centenaire…

Longtemps, le Canard, c’était le lièvre, et les tortues de la presse le coiffaient rarement sur le poteau. Selon Presse News, les éditions Maréchal (du nom du fondateur qui avait lancé le titre en 1915), auraient du souci à se faire. En dépit d’un gros trésor de guerre, dû aux fidèles canetons, et souvent mis en réserve pour régler des frais procéduriers.
Je suis un très fidèle caneton, consentant parfois à surpayer lourdement le volatile quand je me trouve à l’étranger. Je lui suis vraiment gré d’avoir, lors du passage du franc à l’euro, très légèrement baissé son prix (1,20 euros) au lieu de l’augmenter de quelques cents. Merci.
Ce prix est resté stable, et comparativement, « populaire » (seul France Soir, un temps, avait fait mieux, au prix de lancement de 50 cents).

En dépit de très maigres ressources, je resterai fidèle. Mais j’admets qu’il est peut-être temps de songer à un changement de formule. Non pas de la maquette, qui vaut ce qu’elle vaut, mais de l’approche éditoriale. 

D’une part, quand presque tout le monde a compris que les politiques se suivent et ne changent fondamentalement que peu, les petites phrases du microcosme paraissent dérisoires.
Le sempiternel éditorial de la première page est plaisant, mais n’apporte plus de valeur informative ajoutée. Cela est dû à une réelle concurrence, à l’immédiateté de la circulation de l’information, aux efforts de Mediapart (et bientôt d’Infodujour), d’autres, que le Ouaibe a réveillés. 

Question « lièvres », à soulever, Le Canard réserve quand même chaque semaine son lot d’exclusivités. Mais de moins en moins cruciales. J’en viens parfois à ne trouver ma pitance que dans les pages culturelles qui, du fait de l’absence de publicité et d’une réelle indépendance d’esprit, réservent de réelles surprises inattendues, non convenues.

Prenons l’affaire Tapie. Certes, en oreillette droite, Le Canard promet « la preuve que l’arbitre Estoup était en affaires avec Tapie ». Comme s’il n’en était qu’une et non de multiples, comme si, même cruciale, elle pouvait faire basculer les idées reçues, assimilées, car la cause est désormais entendue.

Finalement, ce qui importe à présent davantage, c’est ce que résume Hervé Martin, du Canard, au micro de France Info. En aucun cas, Bernard Tapie, qui avait « fixé le prix » de la cession d’Adidas, ne peut d’aucune façon soutenir « qu’il a été roulé ». Nous avons déjà consacré trois articles au sujet, ici, sur Come4News, davantage aidés par Mediapart (et d’autres) que par Le Canard (même si… mais je n’ai pas numériser tous les numéros…). Je sais, c’est de l’information pompée, siphonnée. Comme si la plupart des titres ne faisaient pas de même, alimentés par l’AFP ou Reuters, s’en contentant trop souvent en négligeant les autres agences, les étrangères en particulier (dont la suisse, AP, tant d’autres, en particulier les hispanophones).

En revanche, la verve du Canard, et surtout les dessins de presse, confèrent encore une très forte originalité à la production de « ces Messieurs ». Pétillon ne m’en voudra pas, j’espère, de reproduire graphiquement cette case montrant un Nanard fort à l’aise s’adressant à un enquêteur pour l’inviter à tenter de mener avec lui un entretien. Asseyez-vous, tombez la cravate, Nanard va répondre à vos questions et vous aider à rédiger votre rapport, et vous relira votre procès-verbal.

Ce qui laisse penser que le même Nanard, à l’Élysée, convoquait Sarkozy, Guéant, et consorts, pour qu’ils prennent en note les grandes lignes de sa stratégie et de sa tactique. Allez, rompez, exécution, et que cela me rapporte du pognon, vous ne serez pas oubliés… En quelques traits de plume (ou fusain), un petit phylactère, on a tout compris.

Le Canard reste inappréciable, pour de multiples raisons, et toujours apprécié. Mais force est de constater que son avance, sur l’affaire Bettencourt, le financement libyen de Sarkozy, les magouilles de Tapie, n’est plus ce qu’elle fut. J’avais, pour ma part, sur l’affaire Lamblin-ElMaleh, non pas devancé le volatile (sur l’intitulé de la société genevoise, GPA SA, et Sexecolo), mais franchi en même temps la ligne d’arrivée (au prix de nuits blanches). Aucune gloriole : c’est tout simplement que Le Canard n’arrive dans les rédactions que le mardi soir. Alors que Come4News est « ouvert » dès le lundi et en permanence.

Cela peut paraître (très, hénaurmément) présomptueux. De fait… Il y a quelque outrancière cuistrerie de ma part à mentionner cet exceptionnel exemple (qu’il m’adviendra peut-être fort rarement de reproduire). Mais c’est le nœud du problème de l’attractivité du Canard.

Quelle solution ? Au dernier salon du livre de Paris, j’ai échangé quelques furtifs mots avec Jean-François Kahn, qui dispenserait à présent des conseils aux entreprises de presse. Peut-être les mêmes que les sociétés de (rédactrices et) rédacteurs tentaient de faire valoir aux patrons de presse du temps de L’Événement du jeudi… Assortis d’un jargon « technologique et gai », comme le vantait Actuel. Franchement, je ne me vois pas dans le rôle d’un faiseur : je n’ai aucune piste fiable, en dépit d’une pratique de l’informatique remontant à 1980, d’un accès à l’Internet datant de 1993-1994.
Il ne s’agit nullement d’une fallacieuse offre de services : n’est pas Tapie qui veut et peut s’affranchir de l’obligation de moyens sans se lier par celle de résultat.

Ce qui me semble sûr, c’est que Le Canard doit négocier un virage sur une palme. Celle d’une nouvelle excellence tenant compte des contraintes de notre temps. En tout cas, qu’il reste, comme le narrait Lamoureux, longtemps vivant !

P.-S. – vérification faite ce mercredi matin, le témoin en question, dans l’affaire Tapie, est Daniel Cornardeau, contacté selon lui par Estoup, « envoyé par Tapie », pour l’influencer, lui et son association de petits porteurs, en faveur de l’arbitrage… quatre ans avant qu’il intervienne.
Nous avions repris, sur Come4News, cette information, qui avait été divulguée par BFMTV, quelques minutes après qu’elles soit apparue sur les écrans. Daniel Cornardeau a réitéré son témoignage pour un journaliste du Canard enchaîné.