L’existence d’un compte à l’étranger dont les fonds proviendraient de la fortune personnelle de Jérôme Cahuzac ou du couple qu’il formait avec son épouse et cogérante de sa clinique n’est toujours pas assurément, formellement établie mais Mediapart poursuit ses révélations en publiant l’intégralité du rapport, communiqué à la justice administrative, de l’ex-inspecteur des impôts Rémy Garnier. Ce mémoire confirme que l’inspection fiscale a bien demandé des précisions à Jérôme Cahuzac, comme l’avait révélé Mediapart, et fait état d’un prêt familial qui pourrait être fictif et « destiné à blanchir des fonds d’origine douteuse ». 

Comme l’avait voici quelques jours révélé Sud-Ouest, Rémy Garnier a pu se procurer (on ne sait comment) un courriel émanant de l’expert-comptable de Jérôme Cahuzac, Gérard Ranchon, qui expliquait à son client les précisions que le fisc lui demande d’apporter.

Mediapart publie ce courriel aujourd’hui, sans expliquer comment il a pu parvenir à Rémy Garnier, et il en ressortirait que, sauf explications circonstanciées fournies, le ministre pourrait faire l’objet d’un redressement fiscal. L’expert préconise en effet d’adresser des déclarations rectificatives aux impôts. Selon Rémy Garnier, le fisc pourrait réclamer entre 60 000 et 72 000 euros (selon les années prises en compte non couvertes par la prescription, et des modalités sans doute négociables).

Finalement, au regard des revenus de Jérôme Cahuzac, toute l’affaire accoucherait d’une souris : même empêtré dans un divorce impliquant un partage de biens, le ministre n’ira pas coucher sous les ponts. D’ailleurs, il réside dans un 140 m² rue Pierre-1er-de-Serbie, largement de quoi sous-louer. D’autant que le ministre disposerait aussi d’une sorte de pied-à-terre de fonction rue Barbet-de-Jouy, avec pour voisin Bernard Arnault (et anciennement Romy Schneider ou l’archevêque de Paris).

Glissons sur les détails, dont un apport non justifié de 120 000 euros pour acheter un « petit » appartement supplémentaire avenue de Breteuil qui ne valait « que&bnsp;» 400 000 euros. Ce n’est guère onéreux pour une garçonnière à cet emplacement.

Plus gênant est le montage avancé par J. Cahuzac pour expliquer l’achat de l’appartement du 35, av. de Breteuil pour un montant, en octobre 1994, de 6,2 MF. Rémy Garnier se fourvoie en s’interrogeant sur la manière de libeller les sommes en « FF » (franc français) : FF est au franc ce que l’USD est au dollar, et l’usage de la double F capitale était alors totalement courant ; cela n’implique nullement que les sommes ainsi indiquées découleraient de conversions depuis les francs suisses.

Mais il est vrai que, composés au long, « francs français », tels que l’acte le mentionne, peut intriguer. Dans le montage figure un prêt du père de J. Cahuzac, pour 1,5 MF, lequel n’aurait pas été déclaré lors de sa succession et que, peut-être, par erreur, l’associé de Gérard Ranchon aurait saucissonné dans les déclarations fiscales pour obtenir un dégrèvement dû au paiements d’intérêts de remboursement de ce prêt. On peut facilement admettre que J. Cahuzac s’en soit, comme tant d’autres, trop d’autres qui se retrouvent ensuite poursuivis par le fisc sans avoir eu l’intention de le gruger, s’en soit remis aveuglément à son cabinet comptable.
Par contrat, le prêt devait être remboursé assorti d’intérêts de 9 % l’an, ce qui se concevait en 1994.

prêt fictif

Mais Rémy Garnier évoque l’hypothèse « d’un prêt fictif destiné à blanchir des fonds d’origine douteuse [selon une] opération d’abus de droit ».

L’acquisition de l’appartement fut aussi faite grâce à l’apport de la revente d’un autre. Mais cette vente a été postérieure alors que les fonds devaient être intégralement remis au vendeur. Qu’un acquéreur apporte une somme pour sécuriser une promesse de vente, soit. Qu’il signe un chèque (de banque ?) pour l’intégralité avant de passer chez le notaire surprend.

Le plan de financement tel que communiqué publiquement (son blogue, peu après le 4 déc. 2012 et le premier article de Mediapart), omet les divers frais pour environ 600 000 FF.

Le ministre avait aussi omis de déclarer la possession de montres Rolex, Jeager-Lecoutre, Boucheron et Chaumet. Le fisc, de son côté, ne semble pas s’être aperçu de la valeur actuelle de l’appartement dont le prix moyen serait de 15 000 euros du m². Pour l’administration fiscale, une valeur inférieure d’un tiers en 2012 est passée telle lettre à la poste, et elle considère que le prix actuel ne serait que de 11 000 euros par m².

Traitement de faveur ?

Rémy Garnier signale au passage qu’il aurait été accusé par son administration d’avoir majoré d’un seul euro un remboursement de frais et qu’il avait subi de ce fait une « procédure acharnée » de plusieurs années.
Il y a effectivement comme une disparité de traitement entre deux contribuables. Laxisme d’un côté, sévérité qu’on peut estimer excessive, enfin, à première vue selon le sens commun, de l’autre.

Ajoutons qu’en sa qualité de maire et président de syndicat, Jérôme Cahuzac percevait environ un peu moins de 43 000 euros par an (35 000 euros du mois circa 2005), dont l’imposition aurait été retenue à la source.

Comme l’a exprimé Didier Maïsto, de Lyon Capitale, Jérôme Cahuzac a estimé que puisqu’il était toujours en poste, c’est qu’il n’avait absolument rien à se reprocher fiscalement. Mais à propos du compte à l’étranger, si « le document helvétique se borne  à indiquer que M. Cahuzac n’a pas fermé de compte en Suisse en février 2010, ni même avant, c’est-à-dire jusqu’en 2006 (plus loin, il y a prescription) (…) alors la réponse ne sera guère convaincante, parce que jouant une fois encore sur les mots. On attend désormais avec impatience les révélations de la justice française. ».

Conclusion de Geoffroy Le Guilcher, des Inrocks : « Il reste qu’un membre du gouvernement et ami de Jérôme Cahuzac a entamé des procédures sans que la justice ne lui en fasse la demande. Procédures qui, pour le moment, “sembleraient” bénéficier à Jérôme Cahuzac. ».

Pour sa part, l’intéressé à déclaré à BFM TV « je plains Pierre Moscovici qui connait la vérité mais qui, au nom du secret fiscal, ne peut la dire. ». 

Quant aux possibles irrégularités (involontaires, on veut le croire) et omissions dans les déclarations fiscales, on verra ce que le ministre Moscovici en dira après avoir reçu les rapports de Janine Pécha, administratrice générale, de Pascal Pavy. M. Bonal, qui avait traité, dans le Lot, l’affaire Prunes franches, qui avait donné lieu à une intervention de J. Cahuzac, puis avait été promu, se retrouve chargé du dossier fiscal du ministre du Budget. Singulière coïncidence…