Alors que l’opposition semble être en hibernation intellectuelle, elle ferait bien d’écouter les petites voix universitaires de la philosophie politique qui ont pour nom Serge Audier, Monique Canto-Sperber, Nadia Urbinati, et qui cherchent à rendre justice à une tradition intellectuelle occultée : celle du socialisme libéral.

Ce courant disparate, qui n’a donné lieu qu’à d’éphémères constructions partisanes (en Italie), ne doit pas se confondre avec le social-libéralisme. Ce dernier, genre de « troisième voie » à la mode blairiste, s’est révélé n’être qu’un compagnon de route complaisant du néolibéralisme, et a contribué à brouiller les repères politiques. Le ralliement à notre prince-président de J.M. Bockel, le blairiste assumé du PS, en est une bonne illustration.

Le socialisme libéral est un courant intellectuel né de la jonction entre des socialistes non marxistes et les nouveaux libéraux, vers la fin du 19ème siècle. Il se manifeste chez des radicaux-socialistes en France, des auteurs anglais comme Mill ou Hobhouse, et italiens comme Rosselli et Calogero, ces deux derniers ayant construit leurs thèses dans le contexte d’un engagement antifasciste.

Ce qui semble être l’alliance de la carpe et du lapin a été possible grâce à un double refus : celui du socialisme absolu, comme du libéralisme absolu. Le premier, par la collectivisation des moyens de production et un égalitarisme niveleur, laisserait la porte ouverte à un césarisme et un autoritarisme destructeurs des libertés fondamentales. Son but d’émancipation serait manqué. Le second, par son occultation de la question sociale, se contenterait de proclamer des droits qui ne seraient que des fictions juridiques, incapables de garantir les hommes contre la misère et la précarité engendrées par le libre jeu d’un marché idéalisé. Il laisserait alors se constituer des monopoles et des situations de rente contraires à sa philosophie première, et l’individu, au lieu d’être écrasé par un absolutisme étatique, le serait par le marché. Ratage sur toute la ligne. L’idée, c’est de prévenir la transformation dogmatique de deux principes, qui peuvent se compléter de façon remarquable.

Le socialisme libéral est ainsi à la fois individualiste et étatiste, mais « d’un étatisme qui n’est pas plus tyrannique et global que son individualisme est intransigeant et atomique » (P.Gaultier). Continuation et accomplissement du libéralisme, il définit « le droit de l’individu en termes de bien commun et ceux de la communauté en termes de bien-être individuel » (Hobhouse). « Le libéralisme, nous dit Bernstein, avait pour mission historique de renverser les barrières que l’économie et les institutions du Moyen Age opposaient au développement économique. Peu importe qu’il ait d’abord adopté la forme du libéralisme bourgeois : il représente un principe d’une portée beaucoup plus universelle dont l’aboutissement est le socialisme », puisque celui-ci cherche à éliminer la « servitude économique ».