À la Mémoire de Casablanca

Depuis sa création, Casa Mémoire fait de la préservation du patrimoine de la ville blanche son leitmotiv. Et malgré le manque de moyens et un engagement hésitant des autorités publiques, l’association a réussi quelques jolis succès.

SOS patrimoine
“Ils ont été les premiers à se battre pour le Lincoln, et c’est leur acharnement qui a finalement payé”, confirme le collectionneur casablancais Mohamed Tangi. “Ils”, ce sont les membres de Casa Mémoire, association créée en 1994 par une poignée d’architectes amoureux de la ville blanche, rassemblés autour de Jacqueline Aluchon (architecte française installée de longue date au Maroc) et dont le leitmotiv est simple : militer pour la sauvegarde des rares vestiges de l’âge d’or urbanistique de Casablanca.

“Durant les années 70 et 80, un grand pan du patrimoine de notre ville a été sauvagement rasé, explique Tangi. Quelques individus essayaient tant bien que mal de s’y opposer, mais sans grands résultats. Alors, au lieu de rester chacun dans son coin à prêcher dans le désert, ils ont décidé de fédérer leurs voix pour mieux les faire entendre”. Au fil des années, l’association finit par développer une méthode éprouvée : chaque fois qu’un bâtiment historique est menacé d’effondrement ou de destruction, ses membres montent au créneau : “On s’active très rapidement pour alerter les responsables et l’opinion publique sur l’urgence de la situation.

En même temps, nous entamons auprès du ministère de la Culture les procédures nécessaires pour placer le bâtiment sur la liste des monuments inscrits au patrimoine national”, explique le président de Casa Mémoire, Abderrahim Kassou, architecte et urbaniste de profession. Une méthode qui a montré ses preuves : en collaboration avec l’Ordre des architectes, l’association a pu, nous dit-on, sauver pas moins d’une cinquantaine de bâtiments historiques. Un tableau de chasse flatteur qui a fait de Casa Mémoire une référence en la matière, qui n’hésite pas à faire bénéficier d’autres villes de “son expertise en lobbying”. “Actuellement, nous nous penchons sur le cas du casino de Mohammedia”, souffle le président de l’association.

 



À Casablanca, la Communauté urbaine va jusqu’à demander conseil à l’association, chaque fois qu’elle reçoit une demande d’aménagement ou de destruction d’un bâtiment historique. “Mais ce n’est pas une constante. Il y a des fois où ils tiennent compte de notre opinion, et d’autres où ils l’ignorent totalement”, regrette Abderrahim Kassou. Dernière illustration : le cas de l’immeuble Honegger, sis au Boulevard Zerktouni. L’édifice, qui date de 1952, a été détruit en 2006, malgré l’avis défavorable prononcé. “D’autre part, ajoute un membre de l’association, c’est toujours très délicat d’émettre des recommandations négatives, d’autant que les porteurs de ces projets sont des confrères, parfois des amis”.

Opération sensibilisation
“Sauver quelques bâtiments ici et là, c’est bien, mais il faut avant toute chose travailler en amont”. Abderrahim Kassou fait allusion au travail de sensibilisation et d’information, primordial aux yeux de l’association. “Nous souhaitons partager notre amour pour cette ville, explique ce dernier avec un brin de romantisme. Mais notre première finalité est de toucher les Casablancais, les convaincre de l’importance de préserver ce patrimoine et cette mémoire collective qui sont l’affaire de tous”. C’est dans cet esprit que Casa Mémoire va à la rencontre du public, en organisant conférences et expositions dans des écoles, des centres culturels et des galeries d’art. Petite originalité, l’association propose également des visites guidées dans le centre-ville, des excursions, semble-t-il, très prisées. “Ces trois heures de balade sont l’occasion pour les participants de découvrir leur ville avec un nouveau regard, argumente Abderrahim Kassou. Les gens passent par là tous les jours, en voiture ou à pied, sans se douter un seul instant que leur ville regorge d’un patrimoine aussi riche”. Tellement riche qu’il attire l’attention de spécialistes et d’amateurs du monde entier. “Il ne faut pas s’étonner que Casablanca soit étudiée dans les plus grandes écoles d’architecture. C’est une ville pavée de trésors architecturaux”, souligne, pas peu fier, le président de l’association. Justement, il y a quelques semaines, une centaine d’étudiants suisses et une trentaine de Hollandais, spécialisés en architecture, ont fait le déplacement pour faire connaissance de visu avec la ville. “Et ce n’est que lorsque des étrangers sont dans les parages que nos autorités sortent de leur léthargie”, déplore-t-il.

Casa Mémoire se penche également sur la recherche scientifique, en multipliant les séminaires et les conférences, tant au Maroc qu’à l’étranger , parce que “pour préserver notre patrimoine, il faudrait avant tout commencer par mieux le connaître et le comprendre”.

Projets ambitieux
Aujourd’hui, l’association veut relever un autre défi : inciter le gouvernement à demander l’inscription de Casablanca au patrimoine mondial. “Cela pourrait apporter énormément à la ville. Cette distinction ferait en sorte qu’on cesse de la voir uniquement comme la capitale économique du royaume”, argumente Abderrahim Kassou. “C’est bien de construire une marina, d’investir dans des industries, mais nous avons d’autres atouts, notamment culturels, à développer en matière de tourisme”, poursuit-il. Joignant le geste à la parole, Casa Mémoire est en train d’établir une carte détaillée de Casablanca, répertoriant une centaine de ses bâtiments historiques, et qui pourrait faire l’objet d’une diffusion auprès de touristes locaux et étrangers.

On l’aura compris, l’association déborde de projets… dont la réalisation reste cependant handicapée par le manque de moyens. Dépourvue de toute aide publique (hormis le prêt occasionnel de locaux pour des conférences ou des expositions), Casa Mémoire ne peut compter que sur ses membres, 100% bénévoles. Et toutes les bonnes volontés du monde sont parfois insuffisantes pour aller au bout de certaines ambitions. “À titre d’exemple, pour monter le dossier d’inscription au patrimoine mondial, nous aurions besoin d’embaucher deux personnes à plein temps pendant six mois, explique le président de l’association. Nous sommes loin d’avoir les ressources financières pour le faire. Mais nous ne baisserons pas les bras pour autant”. Car quand on aime, on ne compte pas.

3 réflexions sur « À la Mémoire de Casablanca »

  1. RZ44, votre article est très intéressant, mais puis-je me permettre une toute petite critique? Il aurait gagné encore par quelques belles photos de cette ville que vous chérissez.

    J’ai trouvé le site officiel de Casablanca, j’en dépose ici le lien: http://www.casablanca.ma/

    Je me félicite que des auteurs écrivent depuis l’autre coté de la Méditerranée, c’est ainsi qu’internet doit servir: être un vrai partage entre les peuples. Et puis nous avons le français en partage, et vous le maniez particulièrement bien.

    Bien cordialement

    Blaise

  2. bravo
    Excellent boulot de cette asso, c’est vrai que la tendance à casa est de raser pour faire du moderne.
    Pourtant ces immeubles sont une vrai richesse et devraient être préservés, mais surtout rénovés pour que le casablancais moyen soit un peu plus fier de ce patrimoine.

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