A chaque jour ne suffit pas son indignation, sa rage, en même temps qu'on est de plus en plus abasourdi : non, c'est impossible, mais ils osent décidément tout ? Qu'est-ce qui est pire, d'une mesure antisociale et provocatrice de plus, la franchise judiciaire, ou d'un pétage de plombs présidentiel dans le registre psycho-islamophobe ?
Commençons par l'amie Calamity. A défaut d'un imaginaire Master of Business Administration, elle progresse à pas de géant vers l'obtention d'un brillant diplôme en droit antisocial, mention décomplexé.
Ainsi, après avoir commencé à trancher dans le vif, de façon totalement arbitraire, pour réformer à la hache la carte judiciaire, après aussi avoir instauré les peines-planchers, pour coller au trou le récidiviste voleur de CD, ainsi qu'atténué l'excuse de minorité, pour l'envoyer bien jeune à l'école du crime, voilà la dernière de la Première favorite du Petit Néron : Rachida Dati envisage une franchise sur l'aide juridictionnelle, comme le titre L'Obs.com.
Pour mémoire, l'aide juridictionnelle est destinée aux gens ne disposant pas d'assez de ressources pour pouvoir s'offrir un avocat, par exemple. Beaucoup de gens, dont on imagine que, s'ils en sont là, ils ont forcément déjà bien d'autres problèmes que celui de ne pouvoir faire face à une dépense judiciaire – comme manger régulièrement de la viande, par exemple (ou bientôt se payer des pâtes).
Et voilà donc qu'Attila Dati projette de leur infliger une franchise : "une part de la dépense de justice liée à son affaire" serait supportée par le bénéficiaire de l'aide. On parle aussi de "ticket modérateur justice".
Chacun aurait toujours le droit à la justice, d'accord, mais il faudrait voir à mettre un peu la main à la poche. Parce que, vous comprenez, il faut responsabiliser le justiciable. Tous ces nécessiteux qui passent leur vie à engorger les tribunaux doivent comprendre qu'il commence à suffire.
Les procès pour un oui ou un non, c'est fini ! Comme pour les malades : qu'ils ne fassent pas comme si ce n'était pas un peu leur faute, d'être malades, alors il peuvent bien payer leur médicaments, et puis arrêter de consulter à tort et à travers !
La franchise : remède miracle d'un gouvernement aux abois financiers, du fait des largesses accordées aux privilégiés en cadeau de bienvenue. Précisons que les effectifs de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle sont passés de 348 000 personnes en 1991 à 904 000 en 2006, pour une inflation de 131 à 300 millions d'euros. Comment voulez-vous qu'on paye tout ça après le bouclier fiscal, les prêts immobiliers et l'exonération des droits de succession ? "La France est en faillite", souvenez-vous.
Donc pour résumer, il y a aujourd'hui en France presque un million d' "assistés judiciaires" : insupportable ! Qu'ils se débrouillent donc ! Si le nombre de pauvres augmente en France (12% aux dernières statistiques de l'Insee, autant qu'aux Etats-Unis !), le remède naturel de la droite est de leur couper les vivres. Logique puisque, trop nombreux, ils coûtent trop cher.
Il faut aller plus loin : la franchise judiciaire de la ministre de la Justice – qui fait heureusement un tollé de tous les diables tant l'idée est obscène – ne devrait pas concerner les bénéficiaires des minimas sociaux. Pourquoi cette mollesse ? Nicolas Sarkozy n'a-t-il pas été élu pour éliminer tous les assistés ? Mais on peut compter sur le gouvernement Fillon pour poursuivre dans la voie de ce nouvel ordre social d'inspiration reagano-thatchérienne : que les riches se goinfrent (bling-bling, répond l'écho), que les pauvres crèvent.
Dénoncez en Rachida Dati la zélée exécutante d'une politique qui, sous prétexte de "réforme", enfonce la France qui souffre dans la régression sociale et le recul des libertés démocratiques, et l'on vous accuse alors de racisme, plus ou moins larvé. Terrorisme intellectuel, calomnie honteuse !
Et la droite de mettre aussitôt en avant, pour se dédouaner, ses alibis ethniques : malgré le discours de Dakar et le sinistre ministère de l'Identité nationale et de la Persécution des étrangers, Nicolas Sarkozy ne peut être raciste, puisqu'il y a Rama Yade, Fadela Amara, Rachida Dati !
Autant dire que l'Islam est son ami – mais pas quand il fait égorger un mouton dans la baignoire, n'exagérons pas tout de même. Aussi imaginer qu'il vise une certaine catégorie de la population, quand il parle de nettoyer la racaille au kärcher, relève de la diabolisation, allons !
Voire. Le très respecté journaliste de Libération Jean Quatremer, correspondant permanent du quotidien auprès de l'Union européenne à Bruxelles depuis 1990, relate sur son blog l'ahurissant comportement du Président devant la délégation des Premiers ministres irlandais puis suédois, précisant le tenir de sources particulièrement fiables : "L’histoire se raconte dans les chancelleries européennes. Nicolas Sarkozy, recevant le Premier ministre irlandais, Bertie Ahern, le 21 septembre, puis suédois, Fredrik Reinfeldt, le 3 octobre, se serait livré à une véritable diatribe anti-musulmane devant ses invités.
Selon mes sources, le chef de l’Etat s’est lancé dans une diatribe confuse d’une vingtaine de minutes, «dans un langage très dur, très familier, choquant pour tout dire», contre le «trop grand nombre de musulmans présents en Europe» et leurs difficultés d’intégration. Il a aussi décrit de façon apocalyptique le «choc de civilisation» qui oppose les musulmans à l’occident.
Le tout, manifestement, pour justifier son opposition à l’adhésion de la Turquie à l’Union. Mais ses interlocuteurs, qui n’en sont toujours pas revenus, ne sont même pas sûrs de l’avoir bien compris, tant le discours était décousu et surtout hors de propos avec l'objet de ces rencontres, la préparation du Sommet de Lisbonne des 18 et 19 octobre. Ils en ont, en tout cas, retiré la désagréable sensation que Sarkozy, non seulement avait un sérieux problème avec les musulmans, mais avait du mal à maîtriser ses nerfs." Les commentateurs autorisés se tuent à nous expliquer, offusqués de la comparaison, que Sarko n'a rien à voir avec Le Pen.
Mais à la lecture de l'article de Quatremer, on peut tout de même se demander en quoi leurs discours diffèreraient-ils donc, tous deux en appelant de la même façon au spectre de l'islamisation ? Et puis il y a l'attitude : la confusion, l'exaltation, le langage choquant, la difficulté à maîtriser ses nerfs… Sarkozy perd complètement les pédales. Et ce n'est pas une bonne nouvelle pour la France.