Portée par des personnalités à la légitimité scientifique douteuse, laminée sur le fond par toutes les études sérieuses s’intéressant au sujet, la fronde anti-Linky commence-t-elle à s’épuiser ?

Des nouveaux compteurs qui font débat

Linky ne fait pas l’unanimité. Une minorité s’est lancée dans une véritable croisade contre la nouvelle génération de compteurs électriques, y voyant une technologie intrusive, portant atteinte au respect de la vie privée. Linky communique la consommation des ménages via une « courbe de charge », à partir de laquelle sera effectuée la facture, et qui permettra aux fournisseurs d’électricité de proposer des offres adaptées aux usagers. De quoi inquiéter la Commission nationale informatique et des libertés (CNIL), selon laquelle « une courbe de charge avec un pas de dix minutes permet de déduire de très nombreuses informations relatives à la vie privée ». Cet avis de la CNIL, daté de 2012, a été pris au sérieux par le gestionnaire du réseau Enedis, qui a décidé de recourir à un dispositif de sécurité particulièrement pointu, consistant à chiffrer tous les échanges.

Les données sont par ailleurs stockées sur des « modules de sécurité » dont le contenu sera automatiquement effacé en cas d’alerte. À titre de comparaison, ce standard est également utilisé dans l’informatique bancaire ou au sein des réseaux militaires (Critères Communs L4+). Le directeur territorial d’Enedis pour la Haute-Garonne, Léonard Dordolo, se veut donc rassurant : « on s’inquiète aussi de la sécurité des données qui transiteront par ces compteurs. Mais ces données sont chiffrées et toutes les garanties sont prises pour leur protection. » La très exigeante CNIL a d’ailleurs approuvé cette protection il y a plusieurs années (2012).

Il est vrai qu’une option permet de collecter des données payantes sur une durée de 5 mois, mais cela ne peut se faire sans le consentement de l’usager, qui peut choisir de revenir sur celui-ci à tout moment. Christian Buchel, président du directoire d’Enedis, précise que cette opération se fait « en toute transparence avec le consommateur, et seulement avec son accord, dans le respect de la CNIL et de la loi Lemaire (loi Lemaire pour une République numérique, créant « un cadre de confiance clair, garant des droits des utilisateurs et protecteurs des données personnelles », ndlr) ».

Mais le principal grief formulé à l’encontre de ces nouveaux compteurs concerne leur dangerosité supposée. La technologie du courant porteur en ligne (CPL) utilisée par Linky, qui permet de faire transiter les données directement sur le réseau électrique, serait émettrice d’ondes électromagnétiques à l’origine de cancers. L’association Robin des Toits soutient ainsi que le cumul des données envoyées par le compteur sur la fréquence électrique ferait « rayonner tout le réseau » en permanence.

Une étude approfondie réalisée par l’association 60 millions de consommateurs démontre toutefois que les affirmations des « anti », notamment celles de l’association Robin des Toits, n’ont jamais été appuyées d’études fiables, rigoureuses sur le plan scientifique. L’Agence nationale des fréquences (ANFR), en revanche, a fait des mesures et les a rendues publiques. Ces études révèlent un champ très faiblement supérieur lorsque le compteur communique, c’est à dire lorsqu’il transmet des informations au gestionnaire de réseau (à raison d’une minute par nuit à peine). Sa valeur relative est de l’ordre de 0,1 V/m à 20 cm de l’appareil. On ne le distingue plus à partir de 30 cm. Le Centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques (Criirem) présente les mêmes conclusions : « des champs électromagnétiques faibles ». L’ANFR a par ailleurs constaté que Linky « n’émet pas plus qu’un compteur classique ». Soit entre 150 et 350 fois en dessous de la limite réglementaire de 87 V/m. À titre de comparaison, cela représente 120 fois moins qu’un fer à repasser, 800 fois moins qu’un grille-pain et 150 fois moins qu’une ampoule basse consommation.

Des détracteurs pas très crédibles…

Ces faits sont néanmoins contestés par une poignée d’irréductibles qui continuent de voir en Linky un « mouchard » et un « assassin silencieux qui s’invite dans nos foyers ». Qui sont ces anti-Linky ? Parmi les opposants les plus actifs, on trouve Clotilde Duroux, une naturopathe qui vient de publier le livre « La vérité sur les nouveaux compteurs communicants – Écologie, économie, santé, législation… » paru aux éditions Chariot D’or. L’éditeur, qui est spécialisé dans la « Spiritualité orientale, le Tao et les techniques de bien-être », n’apparaît pas comme un gage de sérieux sur le sujet. Par ailleurs, selon les détenteurs de la collection « Les classiques de l’ésotérisme », le « talent de Clotilde Duroux» a permis de réimprimer l’ouvrage intitulé Jours caniculaires ou livre des divinations, paru aux éditions Trajectoires en 2007 et qui se présente comme « un reflet complet de la situation des arts divinatoires au XVIe siècle » – un domaine assez éloigné de la médecine ou de la science.

Afin d’afficher une légitimité scientifique, le livre sur les nouveaux compteurs communicants a vu sa préface rédigée par un membre du corps médical : Gérard Dieuzaide. L’expertise de ce chirurgien-dentiste en matière d’ondes électromagnétiques ne semble néanmoins pas pouvoir rivaliser avec celle de l’ ANFR. Son savoir-faire en posturologie – une méthode non conventionnelle d’étude de la posture – ne donne pas plus d’explications quant à sa récente prise de position dans un domaine ne relevant vraisemblablement pas de son champ de compétences. L’auteur de la préface a également publié des ouvrages dont les éditeurs appartiennent au groupe éditorial Piktos, tout comme les éditeurs des livres de Clotilde Duroux (Chariot D’or et Trajectoire). Autre fait intéressant, le nom de Dieuzaide a récemment été cité au côté de celui du cancérologue Henri Joyeux. Ce dernier, auteur de la postface du livre « Les maladies des ondes » écrit par Gérard Dieuzaide, a récemment été radié par l’ordre des médecins à la suite de propos polémiques sur la vaccination des enfants, une affaire qui a défrayé la chronique en juin 2015.

Un article de l’Express (Dr Joyeux, le Mister Hyde de la médecine) dressait d’ailleurs un portrait peu flatteur de celui-ci, le présentant comme un réactionnaire aux idées « bancales » qui s’exprime à tort et à travers sur des domaines « qui ne relèvent pas de son expertise » (de son opposition à la pilule contraceptive, à l’avortement et aux vaccins, aux ondes électromagnétiques). Il a également été fustigé par Daniel Floret, le président du Comité technique des vaccinations (CTV) au sein du Haut conseil de la Santé publique, ce dernier soulignant « qu’il n’avait aucune légitimité, n’ayant jamais publié de travaux sur le sujet ».

La fronde « Anti-Linky » n’apparaît pas comme étant véritablement légitime pour s’exprimer sur le sujet. Le manque de crédibilité scientifique de certains contestataires amène inévitablement à s’interroger sur la pertinence des arguments qu’ils avancent.
Nicolas Moinot