Réalisateur : Pedro Almodovar
Date de sortie : 18 mai 2016
Pays : Espagnol
Genre : drame
Durée : 97 minutes
Budget : 1 350 000 euros
Casting : Emma Suarez (Julieta à 50 ans), Adriana Ugarte (Julieta à 30 ans), Daniel Grao (Xoan), Inma Cuesta (Ava)
Julieta a tout d’une femme sûre d’elle. La cinquantaine, pimpante, intellectuelle, professeur de philosophie grecque, elle vit au coeur de Madrid avec un homme cultivé et ont le projet de déménager au Portugal. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cependant, alors qu’elle se promenait dans les rues de la capitale, Julieta fait la rencontre de Béa, l’ancienne meilleure amie de sa fille Antya disparue sans laisser de trace plusieurs années auparavant. Selon Béa, Antya croit sa mère toujours à Madrid. Cette brève altercation la bouleverse et ouvre la porte aux fantômes du passé tout en faisant réapparaître le fol espoir de revoir sa fille.
Pedro Almodovar filme ce qu’il sait faire de mieux : une histoire de femmes avec des femmes fortes au destin tragique. Le film est construit en parallèles, d’un côté l’histoire de Julieta à 50 ans et celle de Julieta à 25-30 ans, avec des passerelles entre les deux tout au long de la narration. Ce retour au passé se fait le biais d’un journal que rédige la femme d’âge mûr à destination de sa fille, comme une confession. Par ces lignes, elle tente d’exorciser ses souvenirs et permettre au spectateur de mieux comprendre ce qui a bien pu se passer. Le mystère se décante progressivement et ses mémoires apportent une lumière sur des événements très sombres. Tout commence dans les années 1980, Julieta rencontre Xoan, une beau jeune homme barbu, dans un train, à l’arrêt suite à un suicide.
Le destin les a fait se croiser mais Julieta est rongée par la culpabilité car si cet homme vient de se suicider c’est qu’elle n’a pas voulu lui parler alors qu’il était assis en face d’elle. Almodovar montre que le destin est fait de choix qu’il faut assumer. L’histoire avance par ellipses ce qui donne du rythme sans jamais lasser le spectateur. Et pourtant, il est bavard, ça parle beaucoup, l’espagnol est vraiment une langue charmante et chaleureuse à écouter. Bavard et pourtant il y a tellement de non dits dans les relations entre les protagonistes. C’est délicat, subtil, finement joué puis il y a cette idée du puzzle qui se complète sans encombre. La musique est une alliée de poids afin d’instaurer un climat sonore lent, mystérieux, feutré. Le tout sublimé par de très belles images découpées et maîtrisées. Certains plans ressemblent à des peintures dans la façon dont se place le personnage dans le décor. L’esthétisme a été soigné jusqu’à l’affiche, le rouge se conjugue au jaune et au noir. La jeune femme sereine de 30 ans tend une serviette à la femme de 50 ans, perturbée et fatiguée, il se dégage une dimension quasi-christique de cette mise en scène.
Julieta traite de façon un peu particulière du deuil, certes Antya n’est pas morte mais c’est tout comme. Cela fait des années qu’elle n’a pas donné signe de vie, disparue de la surface de la Terre du jour au lendemain. C’est là une des grandes interrogations du film, pourquoi ? [spoiler] Almodovar, un brin sadique n’apporte pas la réponse laissant dans le flou, autorisant l’imagination à toutes les théories possibles. La seule chose sûre c’est qu’elle est partie suite à une mise au vert dans les montagnes pyrénéennes. A-t-elle été fanatisée par cette communauté hippie amatrice de thé qui l’a accueillie? Son cerveau a-t-il été lavé pour qu’elle rejette sa vie d’avant ? Tout est spéculation, hypothèse, c’est troublant mais plaisant. [spoiler]
Un dernier mot sur les comédiennes, deux nouvelles dans l’univers d’Almodovar. Lui qui aime pourtant tourner avec ses acteurs fétiches. Adriana Ugarte tout comme Emma Suarez sont brillantes, attachantes, émouvantes. Le choix est juste car il y a entre elles une ressemblance, pas frappante, mais assez forte pour permettre le doute. Le réalisateur espagnol tisse un portrait d’une femme solide qui résiste aux affres de la vie (mort, disparition, éloignement, mensonge, parent malade, père qui s’accoquine d’une jeunette, les reproches de la femme de ménage (Rossy de Palma effrayante aussi bien physiquement qu’ humainement)) avec tact et brio. Elle n’est pas une simple mortelle, elle en devient l’héroïne de sa vie se rapprochant d’une référence récurrente du film, celle de la mer sous ses 3 aspects : calme et sereine, démontée et dangereuse et un chemin. La vie de Julieta c’est l’Odyssée d’Homère en quête d’Ithaque où se trouve son fils.