Réalisateur : Akira Kurosawa
Date de sortie : 15janvier 1957 (Japon)/ septembre 1967 (France)
Pays : Japon
Genre : Drame historique
Durée : 105 minutes
Budget : N.C
Casting : Toshiro Mifune (le général Taketoki Washizu), Isuzu Yamada (Asaji), Minoru Chiaki (Yoshiaki Miki), Akira Kubo (le fils de Miki), Takashi Shimura (Noriyasu Odagura)
Le temps a cette capacité assez inouïe de sélectionner ce qui passera à la postérité, une forme d’écrémage naturel. Ceci est vrai pour pas mal de choses et ça l’est pour le cinéma. Qui se souvient d’Extension du domaine de la lutte programmé malgré lui à la même date que Star Wars épisode I ou L’emprise des ténèbres qui a du faire face au raz de marée Le grand bleu ? Bref, il y a des films qui restent et d’autres non, ceux qui persistent deviennent des classiques que l’on peut redécouvrir avec joie, allégresse et curiosité bien placée. Une exploration du patrimoine immatériel rendue possible grâce aux salles de cinéma classées Art et Essai. Le fabuleux château de l’araignée fait partie de ce club très privé.
Ici pas besoin de lunettes 3D chaussées sur les oreilles, ni d’images de synthèse, d’effets spéciaux à outrance, ou d’image laser et autre prouesse technologique dénaturant le travail d’auteur. Il n’y a que du noir, du blanc, une image qui grésille, des musiques et des sons d’un lointain passé, de la VO sous titrée, rien de très engageant pour un jeune homme du début du XXIème siècle. L’affiche séduit malgré tout sur deux points et pas des moindre : Akira Kurosawa et Toshiro Mifune. Le film est hyper théâtralisé, une gageure pour un film dont l’histoire est inspirée de Mac Beth de Shakespeare. Le rythme est assez lent mais envoûtant, les dialogues sont nombreux et cadencés par des silences structurant leur teneur, les actions sont très séquencées, découpées, les expressions faciales sont un brin forcées, rapprochant l’oeuvre du théâtre No, les états d’âmes des protagonistes sont directement perceptibles.
Une performance rendue possible grâce à des acteurs formidables, notamment l’immense star internationale Toshiro Mifune, devenue à l’époque l’archétype même du japonais pour le monde entier. Paradoxalement doté d’une silhouette impressionnante pour un nippon, d’un air bourru, d’un regard profond, d’une élégance certaine, ne l’empêchant pas de jurer, un sang chaud coulant dans ses veines, il en garde néanmoins une certaine sagesse. Le duo Mifune-Kurosawa se connaît bien et aura collaboré 16 fois au long de leur carrière respective, donnant aux films comme Rashomon, Yojimbo, et Les 7 samouraïs le stade de mythes cinématographiques. A côté de lui, il y a Isuzu Yamada, d’une notoriété moindre, elle n’en demeure pas moins impressionnante. Son rôle est particulier, quasi fantomatique, un visage blanc, prononçant des phrases de façon très saccadée et ayant des gestes semblables à ceux d’un pantin. Elle agit comme l’instigatrice de toutes péripéties. C’est elle qui pousse son mari aux pires crimes pour accomplir sa destinée : devenir le seul et unique maître du château de l’Araignée. Faut-il y voir une forme de machisme sous-jacent montrant que les hommes commettent des ignominies à cause des femmes ? Un terrain glissant sur lequel il ne faut mieux pas s’aventurer.
Voilà un film bien ambitieux ! Les décors sont de toute beauté et d’un réalisme profond. Le château ayant été construit en entier au pied du Mont Fuji. Le reste des décors a été monté pièces par pièces dans les studios de la Toho. Les costumes font preuve de qualité et d’une grande diversité. Tout est fait pour plonger le spectateur dans le Japon médiéval. Il est d’ailleurs malin de la part du réalisateur d’avoir placé cette histoire au propos universel à une période historique où le pays était miné par des guerres intestines. Le meilleur moment pour exprimer la cupidité, l’arrivisme, l’infamie et mettre en place les pires coups bas. Washizu, brave guerrier méritant, se meut en un fou paranoïaque et crédule. Les 3 sorcières de Mac Beth sont remplacées par un esprit trouble, sage par son apparence de vieillard mais vil par son espièglerie. Sa première apparition est très symbolique, dans une maison de paille, il enroule un fil grâce à une machine en entonnant une chanson bien pessimiste sur la condition humaine. Le fil du destin, le fil de l’Araignée piégeant deux guerriers victorieux, de passage dans la forêt, dans sa toile afin de les dévorer. Par certains aspects Kurosawa amorce une réflexion écologique sur la Nature carnassière, celle qui peut faire et défaire les Hommes s’ils persistent à la maltraiter. Un grand film qui malgré les apparences reste d’actualité.