Il y a des sujets de société dont on parle peu, et pour cause, la chasse est un loisir ignoré par la majorité des français. C’est en assistant à une conférence le vendredi 26 septembre à Rambouillet (78) que j’ai pris conscience que ce sujet méritait une attention particulière. Deux amoureux de la nature,  Gaël Mange et Teddy Secq, à la fois apprentis conférenciers, cinéastes avertis et photographes animaliers, ont créé l’association Le Cerf Pirate afin de sensibiliser l’opinion publique à la gestion de la faune sauvage sur nos territoires.

 

La conférence du cerf pirate, organisée dans le cadre du festival FestiPhoto de Rambouillet qui a eu lieu du 26 au 28 septembre 2014, a permis au public de prendre la mesure de la beauté de la faune sauvage, et surtout de comprendre la « gestion » des animaux de nos forêts et nos campagnes. Après la diffusion de leurs magnifiques films (téléchargeables gratuitement sur www.lecerfpirate.fr), les deux naturalistes nous ont fait part de leurs observations, mais aussi de leur dégoût quant aux politiques de gestion de la faune sauvage en France. Totalement indépendants dans la production de leurs films, Gaël Mange et Teddy Secq, peuvent ainsi s’exprimer en toute objectivité. Un seul parti pris : la beauté de la nature et de sa faune, ainsi que la « richesse » qu’elle représente. A l’heure ou de nombreux pays ont intégré la préservation animale dans leur gestion, la France semble se placer dans une démarche de nature marchandisable.

Qu’est ce qu’un animal sauvage ? Contrairement à l’animal domestique qui est nourri et protégé par le soin de l’homme, l’animal sauvage ne jouit d’aucun statut juridique et est considéré comme n’appartenant à personne, sauf à celui qui le tue. Acteur de la biodiversité et du cycle biologique, dans un monde déformé par les activités humaines ; source de décompression et « antistress » pour de nombreux promeneurs, cyclistes, chasseurs, et chasseurs d’images, l’animal sauvage peut être aussi bien un oiseau, un cerf, un chevreuil, l’hermine ou encore le blaireau. On ne saurait faire la liste exhaustive des animaux sauvages en France, malgré l’existence d’institutions chargées de sa gestion.

Pourquoi gérer les animaux sauvages ? Parce que leur présence serait la cause de nombreux dégâts sur les cultures agricoles et sylvicoles. Elle est aussi le mobile d’accidents de la route parfois graves, aussi bien pour l’homme que pour l’animal. Sa régulation s’avérerait alors nécessaire aussi bien en zone rurale qu’en zone périurbaine afin de prévenir ces dommages.

Chassez cet animal que je ne saurais voir ! Pour résumer, l’Office Nationale de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS), établissement public sous la double tutelle des Ministères de l’Ecologie et de l’Agriculture, apporte un conseil technique aux parties prenantes, et a pour mission de contrôler les activités de chasse. Avec  ses 22 membres, le conseil d’administration de l’ONCFS se compose de 40% de représentants d’associations de chasse. Autrement dit, une belle collusion entre le législatif et l’exécutif, au sein de cet organisme.

Vous avez dit « régulation » ? Le discours des fédérations de chasse est alarmiste quant au nombre décroissant de chasseurs en France, tandis que des populations animales envahissent nos routes, nos campagnes et bientôt nos villes. Il faut dire que sans chasseurs, les fédérations n’ont plus d’existence, et quand les dirigeants de fédération de chasse atteignent des salaires digne de ceux d’un PDG du CAC 40, on comprend leur inquiétude. Le Cerf Pirate, a découvert que certaines espèces sont nourries durant l’année, tel le sanglier qui en conséquence se reproduit davantage et cause plus de dégâts. Doit-on en déduire qu’il devient un animal nourri par les soins de l’homme, perdant ainsi son caractère sauvage au profit de celui d’animal d’élevage ? Ceci rappelle, non sans rire, un sketch des inconnus qui en disait déjà long sur la pratique. Certains procédés consistent à nourrir les animaux sauvages et créer ainsi une surpopulation, puis à crier à l’envahissement de ces derniers pour enfin justifier l’acte de chasse qui se révèle en l’occurrence fortement lucratif. Au cours de leurs investigations, les deux naturalistes du Cerf Pirate ont en effet appris que les grands propriétaires terriens tiraient une source considérable de profit de la location de leur terre chassable. Quant aux propriétaires opposés à la chasse sur leurs terrains privés, ils prennent le risque de se voir introduire chez eux, gendarmes et chasseurs, contre leur gré et sur autorisation préfectorale. Celle-ci est rendue possible par la Loi Verdeille de 1964, permettant d’abattre les malheureux, venus se réfugier à l’abri des balles, chez un propriétaire trop bienveillant. Bien que condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la loi a été aménagée afin que le propriétaire récalcitrant soit toutefois contraint d’adhérer à une fédération de chasse en échange de l’exercice de son droit à la propriété privée, et ceci pour tout propriétaire de plus de 20 hectares.

L’association le Cerf Pirate constate également que les agriculteurs sont dédommagés des dégâts causés par les animaux sauvages. Cependant, une partie de cette somme, censée financer des clôtures autour des champs n’est finalement pas utilisée ainsi. Ceci se vérifie facilement durant une simple ballade à la campagne. En outre, il est étonnant qu’en milieu rural, la détonation du fusil soit davantage tolérée que celle des tondeuses à gazon le dimanche matin. Les accidents de chasse, certes moins nombreux que les accidents de la route, comme le soulignent souvent les chasseurs à titre d’argument, ne réduisent pas pour autant le malheur des victimes.

A ce titre, l’on pourrait se demander en quoi les dysfonctionnements liés à la gestion des animaux sauvages sont si importants au vu des nombreuses crises que traverse la France ? Justement, parce que ces dysfonctionnements, sont un reflet de ceux de notre société actuelle. Bien que la sécurité routière soit plus meurtrière que la chasse, bien que le surendettement de la France soit un problème rabâché à longueur de journée par les médias, bien que la pénibilité au travail soit palpable pour nombre de bosseurs en France, le plus gros groupe parlementaire de notre assemblée représentative est « chasse et territoires ». Celui-ci comptabilise 120 députés inscrits, contre 53 pour le surendettement, 44 pour la sécurité routière, ou 39 pour la santé au travail… Autrement dit, pour nos députés, la chasse est un problème majeur au regard des autres questions de société.

Depuis la nouvelle loi de la chasse de 2012, les chasseurs sont désignés comme garants de la biodiversité et de l’environnement. Une aubaine pour pérenniser une activité très rentable. Quels crédits peut-on accorder à ce groupe qui a ses entrées au parlement ? Grands propriétaires de plaines, forêts et terres agricoles, députés, organisme de contrôle de la chasse géré par des chasseurs ; qui sont ces personnages qui refusent tout dialogue autour de leur « hobby » ? Pourquoi certains chasseurs sont-ils révoltés et n’osent rien dire ? Comment un agent de l’ONCFS peut-il contrôler l’activité de plus de 1 500 chasseurs sur un territoire de 30 000 hectares ?

Que souhaite-on réellement ? Des campagnes riches et variées ou l’on peut admirer des animaux sauvages ou bien des campagnes sans vie, aux champs uniformes, aux forets linéaires et droites et ou le glas du fusil sonne quotidiennement ? A qui profite le crime ?

 

Agathe N.