Charles Duchêne, dit « Charly », dit « l’homme au chapeau », poursuit ses essais politiques sous forme de bilans-prospectives. Il doit en être à une douzaine, annonçant et dénonçant l’élection de Sarkozy et ses déplorables suites… Pronostiquant la victoire d’un François Hollande, qu’il appelait de ses vœux, lucidement, faute de mieux. Il s’estime trahi en ses espérances, et avec Delambre, caricaturiste du Canard enchaîné, il campe son « Père Sang-Froid » (Hollande) en vampire. Ils exagèrent, succombent à l’air du temps voulant que l’actuel président soit copieusement et constamment conspué ? Pas tant que cela : cet Hollande bashing est amplement documenté et justifié. Le Coup du Père Sang-Froid (éds JBDiffusion, 290 p.) reste, somme toute, un réquisitoire savamment pondéré.

La question à poser à l’auteur, de vive voix, c’est « François Hollande et Manuel Valls disposent-ils des ressources et moyens raisonnables pour procéder autrement ? ». La réponse, non sans doute au vu du bilan de la droite depuis le gouvernement Jospin (marqué par une régression du chômage), s’affine, dans Le Coup du Père Sang-Froid, d’une antithèse précisément étayée. Car ces « gauches présidentielles » (l’actuelle, celle qu’entend sans doute incarner pour son propre compte le Premier ministres) amplifient la portée de mesures politiques – aux lourdes répercussions financières pour le budget de l’État et la très forte majorité des membres de la Nation – qu’une droite inféodée aux milieux d’affaires (CNPF-Medef, bancassurance, grands groupes industriels) n’aurait sans doute pas osées.

D’où ce François Hollande de Delambre plantant ses crocs dans la gorge d’une Marianne déjà exsangue en couverture du Coup du Père Sang-Froid. Chroniqueur synthétique, Charly porte le coup de grâce en conclusion : « son bilan sera aussi catastrophique que celui de Sarko… En face, pas mieux. ». Peu tenté par un Front de gauche évanescent, encore moins par un Front national dont les prétendues aspirations sociales s’évanouiraient dès que le naturel ultra-droitier, ultra-libéral, d’une Jeanmarine retrouvant ses fondamentaux dès qu’élue, classera illico vertical, Charly ne voit guère d’issue.

Le cadeau que vont empocher les entreprises pour ne pas créer d’emplois (ou en favoriser à l’étranger) sous forme d’annulation des charges sociales pour les salaires jusqu’à 1,3 fois le smic va représenter et les mesurettes pour prétendre préserver le pouvoir d’achat des salariés vont représenter «  une enveloppe totale de plus de 154 milliards d’euros » dont près de 84 % iront aux entreprises (p. 250). Ce qui s’imputera sur les charges des caisses sociales, et sera répercuté sous forme de taxes, relèvements d’imposition, &c.

Jusqu’à présent, Charly avait l’humour bonhomme, parfois certes vachard, pour fustiger Sarko. Avec Hollande, le ton vire au noir. Encore une fois rédigé sous forme de causerie au coin du feu, ce douzième essai (parmi d’autres livres) de Charly retrace les faits de la présidence jusqu’au début de ce mois de juillet 2014. Consternant, mais convaincant, et nonobstant, comme à l’accoutumée, plaisant. Pour faire passer les démonstrations chiffrées, l’auteur alterne boutades, considérations tou-tes personnelles (anecdotes situant d’où provient le propos et le raisonnement, souvenirs, rencontres, et même carnet de bonnes adresses d’hôtels ou restaurants que lesPetit Futé et Guide du routard d’antan auraient encensé sans attendre le moindre retour publicitaire pour leurs publications).

Bref, c’est, à l’aune du vécu – commun à grand nombre d’entre nous, et forcément singulier d’un auteur l’étant tout autant que l’individu –, de quoi alimenter maintes conversations de comptoir. Soit presque tout le contraire de ces essais politiquaux-socétaux dont le filigrane dû à l’affinage de la fréquentation de la rue Saint-Dominique (Sc. Po) arrondit, parfois obséquieusement en dépit des apparences, les angles en estompant le sort du vulgum pecus duquel l’auteur revendique son appartenance…

Incidemment, la fameuse question initiale (que pouvaient-ils, peuvent-ils encore faire d’autre ?), vous pourrez la poser à Charly, demain, samedi, au salon du livre d’Esquelbecq, ou encore, dimanche, à celui de Neufcĥâtel-Hardelot (Journée des écrivains dans la rue). Hardelot, ce n’est pas Hardelaut (comme Pinault du Point, Dassault du Figaro, Arnault des Échos…) et Duchêne, qui n’a guère envie d’envier un Duchenault, sillonne toujours la France des « petits » salons et événements littéraires (mais il boude désormais celui, devenu péteux, du Touquet : «Tout est cher au Touquet, pour les pauvres. ») . Ceux dont, comme de Charly, seule la presse locale ou régionale rend compte. Pas assez « comme il faut » ou trop peu adepte des inconvenantes convenances des humoristes télévisuels, le Charly. C’est plutôt, à présent, après trois ans bientôt du quinquennat du « Père Sang-Froid », la voix des abstentionnistes ou, plutôt, de ceux, nombreux, qui voteront blanc pour la première fois… sans s’être jamais abstenu auparavant.

Députés et édiles « de gauche » seraient bien avisés de lire Le Coup du Père Sang-Froid… Cela leur épargnera des heures et des heures de réunions faussement publiques dites de « concertation », ou d’avoir à se frotter les coudes avec des électrices et électeurs de tous bords qu’ils n’osent plus, depuis Giscard, fréquenter à table. Ils trouveront les réponses aux non-dits ou trop peu explicitement suggérés des questions des sondages.

C’est très souvent leste, passant parfois du coq au vin au saucisson d’âne, des hauts de résistance aux entremets bonaces, mais jamais indigeste. Alors même que l’orientation du gouvernement actuel lui (et nous) reste profond au fond de la gorge, Charly Duchêne professe (ne se contentant donc pas d’instruire ou enseigner) façon Rabelais. Digressant fréquemment (au gré des vents des occasions, à la Montaigne, mais plus à senestre qu’à dextre, davantage à contre-mont qu’à contre-bas), avec gouaille. La lecture évoque souvent la voix d’un regretté Jean Yanne.

La consternation reprend parfois le dessus comme dans ce « tweet » qu’il reproduit : « valse des cambriolages. Manuel détourne l’attention sur une énième limitation de vitesse, credo de l’impuissance des pouvoirs sur l’essence… ».

Ce quinquennat avait mal commencé (ce que Charly résume par après «le DSK cas, le cas Cahuzac… ») et semble destiné à rester plus dans que sur le trône, avec les électeurs ayant fait une illusoire différence au second tour servant de papiers hygiéniques. Un livre de bon augure (et facture : 13 euros) pour de fort mauvais présages.