Étrange récit, certainement autobiographique, mais qui se démarque du genre illustré par les éditions à compte d’auteur – genre Pensée universelle ou Jean d’Ormesson à son plus médiocre – par la qualité et l’inventivité d’une écriture soignée, évitant l’afféterie, et une originalité (de parcours, curiosités, attitudes…) crânement assumée.

 

Lilloise, féministe, sculptrice, naturiste, &c., mais certainement pas courtisée par les lobbies cumulant subventions et distinctions : se dire bisexuelle n’attire absolument pas l’attention de la nouvelle bienpensance, qu’elle soit lesbigay ou diversement militante.
La bissexualité, que l’auteure ne veut ni cherche pas du tout à exposer en tant qu’essai, reste encore considérée (pour seulement les siècles des siècles ou davantage ?) soit à jamais trop, soit toujours trop peu, et ne fait donc pas déjà recettes ou à-valoir : cela ne passe pas pour diverses majorités ou minorités.
Tant ou trop peu flamand (comme l’amant et modèle de l’artiste) que trop peu ou tant française (telle l’auteure narratrice) qu’au moins pire cela ne reste que toléré, hors maisonnées de convaincu·e·s. « Ni païens, ni chrétiens » (ni même autres), cela n’impose rien, en tout cas jamais assez pour qui décide. Bénédicte Fichten ne se sent guère porte-bannière et encore moins vénale.
Le protagoniste principal de ce L’Orange-bleu (aux éds Myriapode) est un amant qui s’est éloigné auquel la narratrice s’adresse directement. Bof, pensera-t-on… Une fois de plus n’enrichit guère la coutume. Sauf, bien sûr, si c’est une fois de mieux, comme c’est le cas.
S’adresser à ses destinataires pour affirmer que l’insolite, l’inattendu, le pas de côté ou de traverse n’arrive pas qu’aux autres, d’âges, sexes et inclinations diverses, surtout avec insistance, n’émeut guère le lectorat. Bénédicte Fichten y parvient parfois, et même vivement, pour qui pressent qu’il devient aussi un personnage putatif du récit. Ce qui n’est sans doute pas d’emblée évident pour toutes ou tous… ni même accessible à chacun·e.
La narratrice, artiste aussi à la ville telle l’auteure, considère que « l’art – qualifié par la suite de “transgressif” – doit modifier la vie », et s’y emploie, nymphe en perpétuelle nymphose, explorant en pensées et en actes de meilleurs possibles. Ce qui vaut peut-être, mais assurément non uniformément ni sur le mode universel, pour les relations humaines, en particulier les charnelles qui forment l’ossature mouvante de cette singulière adresse à qui peut se laisser tenter, au moins à comprendre si ce n’est partager.
Approchant, frôlant fort même de près, le genre du journal intime, mêlant soliloque et adresses à autres, L’Orange-bleu se veut justement partage. L’auteure s’invite et parfois écornifle : tant de franchise dans l’expression des sensualités ne lui était pas demandée…
C’est donc une histoire d’amour(s) et d’espoirs qui, naguère, aurait été catalogué littérature érotique tant les passages évoquant caresses, coïts, reviennent en leitmotiv.
Le titre évoque à la fois l’incandescence de la passion virant au froid de l’acier trempé mais, aussi, la flamme néerlandaise et le (sang ?) bleu wallon en « crise identitaire ».
Ce livre peut indifférer, exaspérer, intriguer, régaler, selon ses aptitudes (ou manques), ses habitudes (ancrées ou habituées aux – grands – écarts), et l’influence du moment. Je ne saurais le recommander – ou le vouer à rester ignoré – à aucune « catégorie », uniquement à des individualités.
Complexes et bienveillantes, si possible (ou obligation), libertaires ou non, mais en tout cas éprises de libertés.
Voyez ce que l’auteure dit (ou inspire ?) d’elle-même sur le site de sa maison d’édition, Myriapode. Retrouvez-la aussi sur son blogue-notes ou sur Facebook. Puis laissez-vous, peut-être (si ce n’est assurément), charmer…