Un chat abandonné, ça nous « met les poils ». Un chien battu fait se dresser notre moustache. Un visage ridé, hagard, derrière une vitre, fait se détourner nos yeux… Il ne faudrait surtout pas s’égarer…
Le jour se lève, inexorablement, et voit déjà des vieux figés derrière leur fenêtre… Ils regardent fixement de l’autre côté ; ça les change de leur poste de télé. Dehors, la vie est en marche. Des gens passent, se dépassent, pressés, ou désoeuvrés. Dehors, on s’embrasse, on fait des courses, on rit, on pleure, on joue, on… Bref, cela circule…. Les vieux, depuis leur demeure déshabitée, observent ces anonymes, leur inventent un passé, et imaginent leur avenir. Les autres et leurs habitudes, c’est déjà quelque chose. Un peu de vie, un peu de bruit qui passe sous la porte de ceux qui restent immobiles et silencieux… Le temps s’écoule, insidieux goutte à goutte qui les berce et les saoule…
La nuit tombe, inévitablement, et peint en noir l’horizon de la petite vieille. Chez elle, une lumière blafarde, même pas une lueur d’espoir. Ce soir-là, le temps se rebiffe et vient cracher sur ses vitres une pluie de hiéroglyphes… Ecartant les rideaux, la vieille essaie de lire ce qu’elle prend pour des mots… Mais la prose est perdue. Les carreaux sanglotent et brouillent sa vue… Oui, le temps se rebiffe, gribouille son faciès et puis laisse sa griffe. Les traits de son visage, on peut les lire en braille, en effeuiller les pages…
Le jour d’après, peu après l’aube si ponctuelle, le vent se fâche et vient jeter sur son seuil tout ce qu’il a fauché… Des brindilles, des poussières, des feuilles, mortes, dont les lignes se brisent en frappant à sa porte… Avant, l’homme à vélo déposait chez la vieille des lettres, des p’tits mots. Mais l’homme à la casquette roule à présent tout droit, et retient dans sa sacoche les potins des gazettes… Plus de nouvelles, pour la vieille. C’est bête…
Oui, le vent s’était fâché, je me souviens…. Une colère qui avait perduré jusqu’à la nuit noire. Les panneaux sur les routes, la tempête les avait couchés. Dans les traits de mes phares, moi j’aperçus la vieille et j’en fis une histoire. Mais la vieille à sa fenêtre, qui fit couler mon encre, n’eut pas vent de mes mots…
Chez elle, dans son hameau, dans ce lieu-dit sans nom, moi, je passais incognito… Je suis rentrée chez moi et j’ai sorti mon chien. Pauvre bête, toute la journée enfermée, le museau sur le carreau….
Super Fanfan ce parallèle entre les « vieux » et les animaux « de compagnie »
Mais une chronique très acide dans l’air du temps….
Merci pour ce bon moment de lecture…
J’ai aimé au point de le mettre sur ma page Facebook, et le recommandé à mes amis.
La solitude chez les personnes âgées est insupportable.
Quand ils ont perdu un être cher, ils se laissent envahir par les souvenirs, et on a l’impression qu’ils attendent « que mort s’ensuive ».
Triste époque où nos vieux qui vivent de plus en plus longtemps sont souvent délaissés par leur propres enfants, qui évidemment partent en vacances.
Je culpabilise un peu en lisant cet article : hier je ne suis pas allée voir ma vieille maman en Maison de Retraite.
Trop chaud, pas envie de conduire (sans clim), enfin bref un acte que je vais réparer en milieu de semaine, et qui me met mal à l’aise.
Merci Catalan, merci Sophy…. J’ai réellement vu ce « visage » à la fenêtre… Je n’ai point de chien, mais bon, je pense ne pas être loin de la réalité, en écrivant cette fiction…
Très bien écrit,sensible et poétique!
Mozarine, merci pour ton passage et ton commentaire élogieux! 🙂
Ah…. Fanfanville, si seulement les personnes âgées souffrait de ce mal… J’ai vraiment apprécié votre billet qui nous rappel que nous fûmes et que nous existerons toujours malgré notre grand âge…
Voilà pourquoi je m’attarde toujours sur un banc lors de mes balades avec mon fils auprès d’une personne âgée… Un brin de discussion et le sourire s’éveille, l’intérêt est suscité… Des instants uniques que je réitère le plus souvent possible…
Guylaine, oui, parlons et communiquons. Un geste, un regard, une main qui se tend, une conversation qui dure ou pas, des mots échangés. ça fait beaucoup pour ceux qui ne voit jamais personne. . .