La France n’est pas si isolée au Mali, même si les rôles sont distribués : aux armées française et tchadienne les frappes, la progression offensive ; aux autres le soutien (drones américains, deux hélicoptères belges médicalisés Agusta, &c.). Mais ces deux armées ne peuvent déterminer vraiment si elles progressent en terrain neutre ou hostile. Il est certes abusif de parler d’appui de zones « urbaines » aux djihadistes lorsqu’il s’agit de Bourem (30 000 h), ou de Golea (commune de Bourra, 20 000 h en huit villages), ou encore d’Ansongo (env. 33 000 h). Mais le meilleur soutien aux djihadistes se trouve dans la capitale, où le maire du district de Bamako, Adama Sangaré, est à présent sous les verrous, en compagnie de celui de Kalabancoro, pour des affaires de corruption liées à la spéculation foncière.   

Comment la gendarmerie malienne chargée de superviser des départements entiers et surveiller les frontières nationales peut-elle procéder ? Ses véhicules sont sur cales, les deux-roues sont souvent les propriétés personnelles des gradés. Il lui faut s’en remettre au bon vouloir des populations… Pendant ce temps, à Bamako, hauts responsables militaires, politiques, d’ONG, paradent dans des 4×4 climatisés totalement incapables d’accomplir de véritables missions durables où que ce soit au Mali.

Il est clair que la majorité de l’armée malienne, qu’il s’agisse des bérets verts ou rouges à présent supposés répartis dans divers régiments, est totalement incapable d’offensives, voire de tenir le terrain reconquis : manque de moyens, inaptitude… Les régiments dits d’élite étaient plutôt des gardes prétoriennes prêtes à se livrer à des coups et contrecoups d’État. Quant à la gendarmerie, hors la capitale, elle est démunie.

La France compte déjà deux tués (et quelques blessés), l’armée tchadienne 23 (et divers blessés). En face, des milliers de combattants fortement armés, disposant de stocks libyens, ou pris à l’armée malienne, mais aussi d’armes sans doute vendues par des officiers des pays limitrophes, a estimé le colonel malien Mariko, chargé de la ville de Gao. Bref, l’armement djihadiste s’évalue en dizaines de milliers de tonnes.

Plus gênant encore est ce que rapporte Cheick Tandina dimanche dernier dans Le Prétoire. Les djihadistes disposent encore de complices dans le Sahel : « On aurait tort de croire que ces complices sont uniquement des Touareg, Arabes ou Peulhs car des Songhays aussi sont fortement impliqués, à Gao comme à Bourem ou à Ansongo où le village de Goléa, fortement intégriste, a servi de base de recrutement et d’entrainement aux djihadistes. ».
Ces localités, dont l’habitat est dispersé entre chefs-lieux et villages, ne se sont sans doute pas ralliés à Aqmi, au Mujao, aux mouvements touaregs, dont le MNLA qui coopère avec les armées française et tchadienne, par idéologie islamiste ; certes, une proximité de mentalités a pu jouer, mais aussi le sentiment des plus pauvres d’être délaissés et des plus aisés de jouir de l’impunité.
C’est pourquoi Cheick Tandina s’interroge : « Ceux qui parlent d’amalgame doivent se demander d’abord pourquoi certains sont ciblés et pas d’autres ».

La remarque vaut bien sûr pour des dirigeants touaregs du MNLA. Le Mujao et le MAA (Mouvement arabe de l’Azawad) les ont pris pour cible (enfin, ceux qui sont vraiment sur le terrain) parce que non seulement ont-ils pris – provisoirement ? – fait et cause pour la coopération avec l’armée française mais aussi parce qu’ils se servent au passage. Ceux qui ne se rallient pas volontairement se voient confisquer véhicules ou vivres, autres biens. Le MAA fait aussi état de viols d’épouses de ses partisans. L’aviation française aurait, le 24 dernier, détruit dix véhicules du MAA à proximité d’Inafaregh. Le MNLA avait été maintes fois accusé de viols ou de mariages forcés.

La France a sans doute passé un marché avec les pays voisins qui abritent des chefs du MNLA recherchés par la justice malienne. Pour cela, deux-trois raisons : les otages, la crainte de représailles de l’armée malienne, la sécurité du dispositif Serval, peut-être des arrière-pensées quant à la capacité de Bamako de stabiliser la région de Kidal, &c.

Aqmi n’a sans doute pas réussi à contrôler toutes ses troupes et celles de ses alliés, notamment quant à l’application immédiate de la charia. Un État islamique de l’Azawad était en préparation avec attribution de ministères aux diverses factions, sous direction politique d’Aqmi, État qui espérait pouvoir négocier des pactes de non-agression avec l’Algérie et les pays voisins.

Aqmi et d’autres groupes sont toujours là. L’après opération Serval devrait être menée par des forces africaines appuyant « quatre bataillons de 650 à 700 hommes » formés par des cadres des armées de l’Union européenne afin de les rendre « aptes au combat ».
Le problème est de savoir si, sur le terrain, au sens propre, la population ne leur tirera pas dans le dos au nord tandis que les politiques et les milieux d’affaires (à divers sens) ne feront pas de même au sud.

Déjà inquiété en 2010, le maire du district de Bamako se retrouve cette fois en garde à vue. Il est cité dans plusieurs affaires de morcellements illégaux de terrains. Mais la garde à vue est aménagée et Adama Sangaré a pu sortir pour se concerter avec des dirigeants de son parti. On expulsait, prétendument pour aménager des services publics, puis on vendait des parcelles à des particuliers, qui se sont plaints mais continuent de lotir sans être inquiétés.

Bamako Hebdo rapporte aussi que tous les policiers ont été sommés de déposer leurs armes mais que divers syndicalistes s’y sont refusé, se voyant promettre des promotions qu’ils ont rejetées. L’ambassadeur de France a demandé que l’ambassade et les locaux consulaires soient protégés par l’armée ou la gendarmerie, et c’est la garde nationale qui s’en charge à présent. Clanisme et clientélisme, avec concours national parfois aménagé, caractérisent la police malienne.

Le capitaine putschiste Sanogo a lui aussi été promu à la tête d’un « machin », le Comité militaire de suivi et de la réforme des forces de défense. Est-ce vraiment une voie de garage honorifique (mais rétribuée) à la suite du refus de l’intéressé de se voir confier une ambassade ?

À la faculté de droit, des « différends » entre « responsables syndicaux » peuvent se régler à coups d’automatique. La corruption touche aussi l’attribution des diplômes.

Ajoutons que les documents relatifs aux crédits accordés au nord du Mali ont été détruits. Le manque à percevoir se chiffrera à hauteur de dix ou vingt milliards de francs CFA.

Personne ne se risque à prédire l’issue de l’élection présidentielle prévue en juillet prochain et qui pourrait être reportée. Et n’est bien sûr question que de renouveau démocratique, de paix et de réconciliation.

Les mêmes causes peuvent-elles générer des effets similaires ? Dimanche dernier, des élus, fonctionnaires, responsables associatifs de la région de Tombouctou ont exigé l’arrêt immédiat des exactions contre les civils : les soldats maliens s’en prennent à de présumés collaborateurs des djihadistes. Des arrestations de véritables collaborateurs se sont produites, mais l’armée réfute tout débordement. Mais des Arabes maliens ont aussi manifesté à Nouakchott (Mauritanie) devant le siège du programme des Nations Unies (Pnud). Ils dénoncent des exécutions et des tortures. D’autres réfugiés condamnent les exactions du MNLA.

Au nord, l’armée malienne, sous-équipée, est aussi très mal ravitaillée. La solde du militaire de base est de l’ordre de 70 euros mensuels mais il faut parfois rembourser les pots de vin (plus de 200 ou 300 euros) pour se faire recruter. La solde est parfois détournée, les officiers trafiquant sur le ravitaillement en vivres. En dix ans, l’ancien président Amadou Toumani Touré avait nommé pas moins de 45 généraux dont l’essentiel de l’activité consiste à faire des affaires. Mais on en voit toutefois certains sur le terrain : ils viennent accueillir et congratuler leurs homologues d’autres pays africains en visite d’inspection de leurs propres contingents, puis repartent, soit en hélicoptère, soit en voitures de luxe.

On ne sait trop pourquoi, le Mali vient de conclure avec la Guinée un contrat de plusieurs milliards pour construire et aménager près de Conakry des entrepôts militaires. Le ministre de la Défense malienne, un général de brigade, s’est bien sûr félicité de cette « coopération ». On ne sait trop quelle réciprocité le Mali peut en attendre.

En fait, si le contingent français se retirait, il n’est pas sûr que la reprise des villes du nord soit durable à moins d’en faire de véritables camps retranchés. L’Algérie ne veut pas intervenir et ne tient pas à ce que le Maroc (il est allégué que des islamistes réfugiés du Mali se trouvent dans des camps sahraouis) prenne un rôle actif. Seul le roi du Maroc pourrait en décider.