Triste nouvelle que les suicides de ces enfants de 13 ans. Harcelés, ils n’ont pu supporter leur sort et ont mis un terme à leurs douleurs.

Cela donne l’occasion de réfléchir à ces actes particulièrement dramatiques.

Pourquoi tant de fragilité si jeune ? Ce n’est sans doute pas nouveau. Mais ce n’est pas une raison pour ignorer les causes qui en sont responsables.

J’avais déjà dans « la mondialisation peureuse » signalé le passage d’un monde des mots à celui de l’image. C’est pourquoi le titre de cet article. On pourrait aussi écrire les enfants numériques ou, avec du franglais, l’enfant digital.

 

Jadis ou bien naguère (M. Serres), le harcèlement existait, bien sûr. A l’école nous avions nos têtes de turc, nos trop gros, nos trop maigres, nos rouquins, etc… Et nous ne nous privions pas de s’en moquer. La discrimination, avouons-le, était alors en priorité sociale. Nous étions assez primaires pour rappeler à chacun son origine. Les fils de paysans n’avaient pas plus de chance d’y couper que ceux de notables. Il fallait en trouver un ou plusieurs pour conforter notre existence.

 

Cela se manifestait ORALEMENT. Et les paroles s’envolaient, comme il se doit. Certains osaient les graffiti, les papiers anonymes, mais ce n’était que du périssable. Les jours passaient et les années aussi.

Le paraître était moins prégnant. La différence moqueuse suffisait.

Tout a changé après les années 80, avec la consommanie* chronique. Le paraître est devenu principal, premier. Il faut être « populaire » (mot ramené des feuilletons américains).

La référence est LA marque. Riche ou pauvre il faut la marque à la mode, sinon on est traité de boloss !

En plus, nous sommes progressivement passés de la lettre au chiffre. 0 ou 1. C’est définitif. Du mot à l’image sans que les cours de sémiologie aient été intégrés à ce changement de civilisation. On ingurgitait d’abord et tentait d’assimiler ensuite.

Les mots faisaient voyager notre imagination dans un cadre sagement encré. Il fallait en assembler beaucoup pour décrire une scène, comprendre une situation. Parfois faute de mots, on se tapait dessus.

L’image a raccourci et déformé ce temps. Tout est donné d’un coup. Et sa trace peut être expédiée immédiatement partout. L’immatériel est devenu indispensable. L’informatique a concentré nos perceptions en leur ôtant leur sens. L’enfant digital est né, désarmé comme chacun avant. Mais l’éducation qui passait par les mots a laissé sa place à des images qui ont eu, en plus, le malheur, sans support, d’être partout disponible instantanément.

On ne s’est peut-être pas aperçu assez vite que le numérique ne donnait aucune garantie de réalité vraie. Au contraire, le factice, le trafiqué pouvait être offert avec une grande facilité. L’esprit d’un ado en quête de repères avait donc toutes les chances d’être troublé de manière durable et profonde.

Quand cette facilité est utilisée pour nuire, ou simplement charger un enfant fragile des vilénies ordinaires dont raffolent les plus forts, le désastre est proche. D’autant que le monde virtuel ainsi crée est un Moloch qui aspire silencieusement ses proies. Les parents ignorent les méandres des esprits reclus dans leurs chambres.

La technologie informatique a fait les délices des enfants en quête d’habileté, alors que leurs parents se contentaient de baliser les contenus jusqu’à ce qu’ils débordent et soient laissés au libre arbitre, à la raison des ados. Ils devaient se coltiner leurs problèmes assortis d’attaques malveillantes auxquelles ils croyaient et contre lesquelles rien, ni personne (ou presque) ne les avaient préparés. Que ma majorité échappe à la gueule du dieu dévorant ne peut masquer ceux qui s’y engloutissaient jusqu’à ne plus jamais refaire surface.

Combien de temps faudra-t-il encore pour que l’on puisse tous comprendre les avantages du nouveau monde et en corriger les défauts, les failles, les pièges mortels ?

Il n’est, dans cet article, porté aucun jugement. Aucune recherche de responsabilité à l’occasion d’évènements aussi terribles. Simplement le souhait que notre esprit se pose la question d’un changement de civilisation à cause du passage imperceptible de la lettre à l’image dans notre fonds culturel. Quand en aurons-nous tous conscience ?  L’urgence est là.

 

Néologisme de mon cru pour la maladie née quand on est tombé dans la marmite consumériste