Les cérémonies militaires du 1er décembre en Roumanie seront d’une forte portée symbolique puisqu’elles marqueront dix années d’engagement de l’armée roumaine en Afghanistan et le cent-cinquantième anniversaire de la fondation du ministère de la Défense. En prévision, le roi Michel, 91 ans, qui vient de se voir honorer par une place à son nom dans la capitale, Bucarest, a reçu une haute distinction militaire. Mais les préparatifs sont un peu ternis par la rétrodégradation de nombreuses personnalités des forces de réserve, promues un peu vite par le passé du grade de caporal à parfois… colonel.
Comme la plupart des nations européennes, la roumaine est constituée, comme le pays, de bric et de broc. Mais de création beaucoup plus récente. Ainsi, par exemple, le Banat (sud-ouest), province austro-hongroise, n’a été rattachée à la Roumanie qu’à l’issue de la Grande Guerre, de même qu’une partie de la Bessarabie. Aussi, à l’occasion des parades militaires du premier décembre, le ministre de la Défense, Corneliu Dobritoiu a fait appel à l’historiographie pour célébrer « le retour à la tradition » des forces armées.
De grandes figures du passé comme le roi moldave Stéphane (ou Étienne) le Grand (†1504), le souverain valaque Michel le Brave (†1601), ou issues de célèbres familles, seront évoquées pour redorer le blason de « la grande muette » (l’expression étant similaire en France et en Roumanie).
Mais préalablement, il est apparu que l’Apãrãrii Naţionale (la Défense, et le ministère, le MApN) allait être réorganisée, et son budget révisé.
À la suite de la chute du régime de Ceaucescu, les biens des forces armées avaient servi à diverses opérations. Des terrains convoités par des promoteurs privés avaient été cédés pour une bouchée de pain, des appartements luxueux redistribués à d’improbables bénéficiaires. Si l’immeuble dit des généraux (Ceaucescu tenait à les avoir regroupés à proximité du Parlement, à Bucarest, histoire de faciliter une éventuelle purge) avait été cédé à un grand groupe hôtelier de manière à peu près transparente, diverses malversations avaient aussi été dénoncées.
Le dernier scandale se rapporte à la Réserve. Discrètement, au fil des années, diverses personnalités de premier plan, proches des gouvernements successifs, avaient été promues de manière étonnante. Un simple soldat devenait capitaine ou commandant, des sous-lieutenants passaient directement commandants, des lieutenants devenaient colonels, tout comme un simple caporal. Les promotions surprise de 2010 à 2012 ont été fortement révisées, et cela touche de nombreux élus régionaux ou locaux, d’anciens premiers ministres, des réalisateurs de télévision ou des sportifs en vue.
Le cas de l’ancienne procureure générale Laura-Codruta Kövesi, nommée depuis à Bruxelles, promue dans l’ordre de l’Étoile de Roumanie récemment, a particulièrement retenu l’attention.
Il n’est pas tout à fait anormal que des personnalités ayant exercé de hautes fonctions soient plus rapidement promues dans la réserve. Après tout, avoir été maire d’une grande ville et se retrouver en corvée de pluches ne constitue pas une très bonne utilisation des compétences. Mais, par exemple, un réalisateur de la télévision, Robert Turcescu, qui n’avait pas effectué son service national, s’était retrouvé bombardé lieutenant-colonel. Il avait fait état publiquement d’une « regrettable erreur » et décliné cette surprenante promotion.
Divers avantages sont liés à l’appartenance au corps des officiers de la réserve.
L’affaire s’inscrit aussi dans le cadre des bisbilles incessantes opposant le président Basescu à la majorité du Premier ministre Victor Ponta. Un couple célèbre de « pipeules » envisage-t-il un divorce ? « Serait-ce la faute à Basescu ? » titre ironiquement la presse. Tout un chacun ou presque s’accuse mutuellement de tricheries et corruption. Il est vrai que les affaires de corruption défrayent régulièrement la chronique. Le mois dernier, il était apparu que la moitié des usagers des chemins de fer préféraient graisser la patte des contrôleurs plutôt que d’acquérir un billet et qu’une forte proportion de l’argent ainsi recueilli remontait à la direction, à la capitale.
Le ministre de la Défense, Corneliu Dobritoiu, avait récemment décoré le roi Michel et la princesse Margaret ainsi qu’une vingtaine d’autres personnes, en évitant soigneusement d’inviter le président Basescu à la cérémonie. Le président, dont la majorité au pouvoir avait perdu un référendum en vue de le destituer, n’avait pas été invité au « Jour de l’Armée » du 25 octobre, et la transmission du budget des forces armées à la présidence avait été présentée telle « un camouflet » contredisant les directives présidentielles.
Ce correctif, qui semble viser plutôt des personnalités proches du gouvernement précédent, intervient alors que 16 banques roumaines, filiales de trois groupes bancaires, avec en premier chef la BRD, filiale de la Société Générale, sont dans le viseur des enquêteurs anticorruption. 80 % du système bancaire roumain serait affecté, estiment les uns, seulement 0,8 % corrige le gouverneur de la Banque nationale, Mugur Isarescu (voir notre article d’hier dimanche sur le blanchiment d’argent). 33 dirigeants bancaires ou de sociétés sont visées par des poursuites judiciaires. Des prêts fictifs, maquillés par des documents falsifiés, étaient accordés à des sociétés. Une centaine de personnes devraient être entendues.
Divers fonctionnaires du ministère de l’Économie ont été mis à pied, et la Banque roumaine pour le développement (BRD), deuxième groupe bancaire du pays, qui vient de voir son vice-président, Claudiu Cercel, relâché de garde à vue, se déclare prête à collaborer. La BCR et la CEC sont aussi impliquées à des degrés divers. Le Français Philippe Lhotte est évoqué dans le dossier. Ancien inspecteur de l’inspection générale de la Société générale, Philippe Lhotte siège au conseil d’administration de la BRD, en a été nommé administrateur temporaire (pour quatre ans) fin juillet dernier, et dirige la filiale bulgare du groupe SocGen, ExpressBank AD. Il remplace en partie Alexandre-Paul Maymat, démissionnaire, qui devait succéder à Guy Poupet. L’implication de Philippe Lhotte dans des malversations n’est pas du tout mise en avant, mais il semble qu’il ait été missionné préventivement afin de rétablir la réputation de la BRD et partant, du groupe Société générale, alors que les arrestations étaient imminentes.
Mais Daniel Ruse, directeur du groupe BRD, Stan et Toma Mihai, et… un ancien général d’active, Dragos Diaconescu, devraient être mis en détention pour une vingtaine de jours. Ce général était précédemment chargé du renseignement militaire extérieur.
L’implication de militaires ou assimilés, en service actif ou versés dans la réserve, dans le monde des affaires en Roumanie, reste ou non discrète. Eurocopter est présente en Roumanie, pays membre de l’Otan qui fait l’objet d’une attention toute particulière de la Russie voisine.
On peut se demander si ces promotions dans le corps de réserve visaient à offrir des opportunités de rencontres entre des membres de la société civile et divers milieux d’affaires liés à l’industrie des armements. Mais, dans le cas de sportifs, ou d’autres personnes, il devait surtout s’agir de récompenses symboliques destinées à s’assurer leur bienveillance. Un peu comme les distributions de Légions d’honneur en France…
Au total, près de 800 personnes ont été rétrogradées, ou ont vu leurs nominations révoquées (en particulier pour l’année 2011, qui précéda le changement de gouvernement). Ces nominations politiques avaient aussi suscité la grogne chez les anciens officiers d’active dont l’avancement dans la réserve stagnait.