La BBC, avec le scandale Jimmy Saville (ex-animateur de la Beeb, 200 plaintes pour agressions sexuelles ou pédophilie), n’a pas vraiment suivi l’adage « une information plus un démenti font deux informations ». Le sacro-saint Jimmy (décoré par le Vatican, la Reine, les chevaliers de Malte) était trop populaire pour être dénoncé. Il ne fallait pas gâcher les multiples hommages prévus pour honorer sa mémoire.

Imaginez que Jacques Martin soit mort d’une overdose, et qu’une émission ait été préparée sur son addiction comparable à celle de Jean-Luc Delarue, mais qu’il ait été dix, vingt fois plus célèbre, et connu pour tout un ensemble de dons et d’œuvres caritatives. Si tel avait été le cas, la télévision française aurait-elle poubellisé les émissions louant sa mémoire ou le reportage consacré à sa consommation et d’autres éventuelles frasques ?

Comme l’exprimait Guy Carlier dans Télé 2 semaines, dans son livre, « Drucker allait-il balancer le nom de ceux qu’il avait surpris se faisant un rail de coke dans les toilettes du studio Gabriel ? ».
Mais avec Jimmy Savile, on est vraiment à la vitesse supérieure : plus de 200 plaintes, et des récits selon lesquels, dans les coulisses de son émission, il forçait des gamines, et s’en prenait à des pré-adolescentes placées dans les institutions charitables auxquelles il accordait des dons ou pour lesquelles il levait des fonds.

Je ne reviens pas sur les péripéties des révélations qui secouent le Royaume-Uni (voir les précédents articles sur Come4News) mais la dernière en date, qui vaut confirmation, vaut son pesant de food for thought (matière à penser).
Le redchef de l’émission Newsnight, Peter Rippon, avait préparé un reportage sur la face cachée de Jimmy Savile, toute prête à être diffusée peu avant ou très peu après sa mort, spectaculairement préparée (cercueil plaqué or, défilé de pleureuses et pleureurs, rediffusions commémoratives). Mais il ne fallait pas cracher sur les paillettes, et le spectacle posthume ne devait pas être gâché.

Ce lundi soir, la BBC diffusera le magazine Panorama, très attendu par tout l’auditorat britannique et au-delà, qui devrait révéler pourquoi et comment l’enquête de Newsnight avait été censurée. Le directeur général de l’époque (fin 2011), George Entwistle, avait été informé que si le reportage passait à l’antenne, il faudrait bouleverser le programme des émissions de fin d’année, notamment celles de Noël. Divers hommages à Jimmy Saville devenaient incongrus, obsolètes, à remiser.

D’une part, pendant de longues années, les agissements de Savile avaient été sciemment tus, et diverses personnes, à la BBC, étaient au courant de ses agissements. D’autre part, quand Newsnight allait lever un coin du voile, l’émission a été retirée des programmes.

Dès le 25 novembre 2011, l’équipe de Newsnight en avait assez engrangé pour ruiner, de son vivant, la réputation de Savile. Des échanges de courriels l’attestent. Mais le 29, la police, qui ne s’est guère distinguée par sa vigilance, en dépit d’informations qui lui avaient été communiquées, fait savoir à Peter Rippon que Savile était trop vieux et trop faible pour comparaître lorsqu’elle avait été saisie en 2007 et que, puisqu’il était mort (en octobre 2011) l’action judiciaire était éteinte. Rippon insiste pour faire programmer son émission, puis se rétracte. A-t-il pris seul la décision de reporter l’émission, ou lui a-t-elle été soufflée ?

L’équipe de Rippon considère que des directives lui avaient été données par la direction de la BBC. Il a aussi été allégué que Rippon savait que Savile avait sexuellement molesté des fillettes dans une institution dont sa tante, Margaret Jones, était la directrice. Le redchef a démenti totalement qu’il aurait pu renoncer au reportage pour protéger sa tante et que, bien au contraire, il avait appuyé la diffusion.

Divers autres animateurs ou comédiens sont à présent sur la sellette. Mais la manière dont la BBC a géré l’affaire vole presque la vedette aux autres révélations. Le parlement britannique a décidé qu’une commission d’enquête entendra George Entwistle.

La BBC a diffusé ce jour un communiqué pour réfuter ou préciser des commentaires que Peter Rippon avait diffusés le 2 octobre dernier sur son blogue-notes maison.

Plus largement, si on en est pas au point où Rolex rachèterait toutes les photos de Savile arborant un modèle de la marque afin de les faire disparaître, une bonne douzaine de lieux publics, établissements hospitaliers, plaques commémoratives, &c., est passé à la trappe, les lieux étant rebaptisés. La famille du défunt a fait enlever la somptueuse stèle commémorative qui ornait sa tombe.

Tant la presse dite de qualité que les tabloïds (certains étant surnommés la presse de caniveau) s’en prennent à la très respectable « vieille dame », la Beeb, comme les Britanniques la surnomment affectueusement.

Le magazine Panorama, qui devait être initialement diffusé ce soir sur BBC One en Angleterre le sera aussi en Écosse. Mais dans un premier temps, les magazines spécialisés avaient reçu des programmes différents pour l’Écosse. La décision de diffuser ce soir, et non pas à une date ultérieure, ou en divers lieux, aurait été prise vendredi dernier seulement. G. Entwistle, ce midi, a donné une conférence de presse pour indiquer qu’il n’avait pas visionné Panorama et qu’il réservait ses commentaires au comité parlementaire.

Le scandale a eu pour répercussion que le secrétaire d’État à la Justice, Chris Grayling, a proclamé que de nouvelles mesures seront prises contre la pédophilie et que les pédophiles condamnés seraient munis, en avril prochain, d’un bracelet permettant de les localiser après qu’ils aient accompli leurs peines. Pour le moment, leurs domiciles, véhicules, &c., sont uniquement consignés sur le registre des Violent & Sex Offenders.

Le Premier ministre, David Cameron, s’est exprimé publiquement sur l’affaire cet après-midi, considérant que les choses semblaient « empirer de jour en jour ».