Blanchiment de la drogue (III) : le carnet de GPF SA va parler

Les affaires El Maleh-Lamblin & consorts, à la suite des arrestations en Suisse et en France de personnes impliquées soit dans des affaires de blanchiment de fonds issus de la vente de stupéfiants, soit de faits d’évasion fiscale, cèdent la place dans les gazettes à d’autres événements. Mais la blogosphère a largement pris le relais avec, effectivement, une prédominance de sites très attentifs à l’actualité de la communauté juive, à l’affût du moindre élément pouvant alimenter des thèses parfois farfelues, souvent vindicatives. Faire le point s’impose…

Faute d’une meilleure appellation, disons que les « affaires El Maleh-Lamblin et consorts » marquent le pas, du moins dans la presse… Nul doute qu’elles ressurgiront au fur et à mesure qu’on en apprendra davantage sur les liaisons entre GPF SA et diverses sociétés au Royaume-Uni et dans des paradis fiscaux qui auraient pu réinjecter les bénéfices du trafic de stupéfiants dans de nouvelles livraisons et des placements « blancs », notamment immobiliers.
L’autre volet, celui de l’évasion fiscale, va aussi réémerger un jour ou l’autre. Outre la trentaine de personnes filochées et prises en photo alors qu’elles recevaient des « colis » ou enveloppes de la part de Mardoché El Maleh, à Paris, le carnet que tenait à Genève Carole El Maleh-Sasson va sans doute permettre d’éplucher une liste de noms de clients de GPF SA. Fati Mansour, du Temps, rapporte une source proche de l’enquête ou de GPF SA confiant que « lorsqu’elle a eu l’imprudence de l’emporter en vacances avec elle, son patron lui a dit que c’était de la folie et qu’il serait un homme mort si ce carnet venait à tomber entre de mauvaises mains. ».
Le patron, soit Meyer El Maleh, défendu par Me Josiane Stickel-Cicurel, devra réfuter qu’une telle mise en garde ait jamais été prononcée.

En France, pour le moment, deux noms sont sortis, outre celui de Mardoché El Maleh, soit ceux de Me Robert Sellam et de Florence Martin-Lamblin. Le dernier élément obtenu se rapportant à l’élue EELV du 13e arrondissement, c’est qu’elle était liée en affaires avec Isaac Khaski, dit Zaco du temps où il faisait partie du groupe musical Édith Nylon. Cet Isaac Khaski, troisième de liste de Denis Baupin aux municipales dans le 16e ar. de Paris, était derrière les sites de vente par correspondance MyBioShop, Sexecolo, domiciliées notamment 41, rue de l’Échiquier, dans le 9e ar. Ces deux sociétés ne sont plus mentionnées nulle part à l’adresse indiquée, et une troisième société, KobIsHa, semble n’avoir pas, ou plus, d’activités. Florence Lamblin n’était-elle qu’un prête-nom pour Isaac Khaski, ou beaucoup plus proche de ce personnage ? Toujours est-il que Denis Baupin, vice-président de l’Assemblée nationale, avait, dans un premier temps, très fortement insisté sur la présomption d’innocence dont doit bénéficier Florence Lamblin.   

Amalgames

Outre celles le liant à son frère, Mardoché, Meyer El Maleh entretenait des relations avec un ami d’enfance parisien d’origine marocaine qui aurait échappé aux arrestations de l’opération Virus. Il se serait réfugié au Maroc. Décrit tel « un gros bonnet du trafic de cannabis », y bénéficie-t-il d’une certaine tolérance ? Celle que confère l’argent, par exemple, et l’on sait que Manuel Valls a estimé aux alentours de cent millions d’euros le chiffre d’affaires de cet homme et de Mardoché El Maleh.
Quant à Nessim El Maleh, qui travaillait à HSBC Genève, son avocat, Me Maurice Hariri, précise qu’il n’avait aucun lien avec Florence Lamblin. Me Hariri a indiqué que le dossier français transmis à la justice suisse « contient effectivement des photos où l’on voit des remises de sacs mais on ne sait pas ce qu’il y a dedans. ».
On ne sait pas non plus si toutes les personnes ainsi photographiées ont pu être « logées », entendues, interrogées sur leurs relations avec GPF SA ou même HSBC Genève.

Gênant pour HSBC ?

Incidemment, dans l’un de nos premiers articles sur cette, ou plutôt ces affaires, nous avions mentionné le nom de Judah El Malleh. Cela découle d’extraits du livre de Nicolas Beau et Catherine Graciet, Quand le Maroc sera islamiste, paru en 2006 et réédité et actualisé en 2007 par les éditions La Découverte. On y lisait notamment : « apparaît un nom, celui du banquier Judah Elmaleh, directeur adjoint de la banque HSBC de Genève, très lié à une autre sommité marocaine, Steve Ohana. Coïncidence, on trouve les noms d’Elmaleh et d’Ohana dans un autre dossier de transferts illégaux : la fameuse affaire Falcone, initiée par l’arrestation d’Henri Benhamou. ». Il était aussi question du milieu du prêt-à-porter du Sentier, d’affaires de drogues jugées en septembre 2005 à Bobigny (et impliquant Abner Teboul, &c.).

Dans la mesure où la presse suisse avait fait état de l’interrogatoire d’un autre « parent » des frères El Maleh, travaillant lui aussi à HSBC, il nous avait semblé idoine de faire mention incidente de ce Judah Elmaleh.

Nous avons demandé à Nicolas Beau s’il y avait, à sa connaissance, un lien entre les El Maleh de GPF SA et Judah Elmaleh. « Aucune idée », nous a-t-il répondu.

Complicités

N’en déplaise à certains sites qui ont repris et surtout développé notre (enfin, plutôt l’évocation de Judah Elmaleh par Nicolas Beau et Catherine Graciet) passage relatif à ce cadre d’HSBC, homonymie n’implique pas parenté ou parentelle. De plus, dans un courriel, Nicolas Jacquard, du Parisien, nous signale : « Judah Elmaleh avait été relaxé dans chacun des dossiers où il avait été cité. ».

Judah Elmaleh a été plus particulièrement chargé de la clientèle israélienne à HSBC Private Bank Genève, dont le département Israël avait été profondément remanié, en septembre 2011, à la suite de la défection de divers cadres chargés de ce pays à New-York, Zurich, Genève et Singapour. Certains de ces cadres avaient rejoint la banque Julius Baer. Judah Elmaleh (et non El Maleh) appartient au Supervisory Executive Committee d’HSBC Private Bank Suisse et il est directeur général adjoint.

Il n’en reste pas moins que le groupe HSBC dans son ensemble a été accusé par le sénat des États-Unis d’avoir, au cours de la période 2004-2010, et en particulier de mi-2006 à mi-2009, pris le risque de transactions favorisant le blanchiment d’argent pouvant provenir de trafics de stupéfiants en Amérique centrale et du sud. Mais aussi en provenance ou destination de l’Iran et du Soudan (via HBSC Holdings Plc). Le groupe HSBC aurait provisionné, en août dernier, 700 millions d’USD en vue d’un règlement à l’amiable de ce « différent ». Plus récemment, Samuel Rubenfeld, de WSJ, et le Sunday Times, ont relaté que HSBC avait facilité le transfert de commissions à l’occasion d’un marché d’armements à destination de l’Arabie saoudite. Le Serious Fraud Office britannique a été chargé de l’enquête.

Mais, que l’on sache, le groupe HSBC n’est pas la propriété d’hommes d’affaires israélites ou israéliens et la majorité de ses directeurs et hauts-cadres n’appartient pas à la communauté israélite.

Faut-il aussi rappeler que, faute de clients prêts à employer ses services, GPF SA n’aurait pu aussi bien prospérer. Or, parmi sa clientèle, qui figure au juste ? Que des goyim naïfs ? Allons donc. Un commentateur de l’un de nos précédents articles listait la foultitude des sociétés des familles Sasson et El Maleh, de GPF SA, au seul Panama. Mais il en était d’autres, ailleurs. Ces renseignements sont pour la plupart publics. Des personnes, de toutes origines ou confessions, peuvent y accéder (et lorsqu’on a des sommes importantes à blanchir, en général, on se renseigne un minimum). 

Faut-il rappeler que ceux qui écoulent des stupéfiants ne sont florissants qu’en raison de l’abondance d’une clientèle dont la composition est très diverse et que les officines favorisant l’évasion fiscale n’ont pas pour seule chaland – très loin de là – la (ou plutôt les) communauté juive ou israélite ? Si seuls, des écologistes, ou des personnes marquées à « gauche », avaient recours à leurs services, les uns et les autres subiraient un manque à gagner conséquent. Et qui donc va, au Sentier, négocier, en payant en billets, un rabais ? Que des écologistes ?

Il s’est trouvé qu’un site se proclamant catholique (et sans doute proche de Richard Anthony), comportant une rubrique « Judaïsme et sionisme », a repris nos informations via… JForum (le Portail juif francophone, qui s’était dispensé de les sourcer,peut-être par négligence). JForum qui proclame, au sujet de ces affaires Lamblin-El Mayeh, « qu’il ne peut y avoir aucune excuse, si les faits sont avérés, et que la condamnation de tels actes ne peut être que totale. ». Comment, ensuite, proclamer que la « presse juive » (ou « enjuivée », pour reprendre une expression courante) masque les (et ses propres) réalités ?
Sur ce forum, un commentateur croit bon cependant de relever « si les personnes impliquées avaient été de religion catholique, personne ne l’aurait souligné. ». C’est bien évidemment faux – en tout cas en ce qui nous concerne – si ces personnes étaient très impliquées dans la vie de leur paroisse ou auraient, par exemple, ou décorées de l’un ou l’autre des ordres du Vatican.
De même que tout musulman n’est pas « un arabe » (et vice-versa), tout baptisé catholique n’est pas un « bon paroissien ». Cela vaut pour toutes les confessions.

Comme le faisait dire Pétillon à la famille royale d’un duché ressemblant fort au Luxembourg, si on ne veut pas avoir à faire aux journalistes ou à la presse, il ne faut pas attirer leur attention. Les El Maleh de Genève ont été décrits très impliqués dans la vie de la communauté israélite suisse parce que c’était notoire et qu’ils en faisaient eux-mêmes publiquement état. On relèvera que, aux États-Unis notamment, des criminels et des fraudeurs connus pour leurs dons à des œuvres chrétiennes (pour un peu, c’est même à cela qu’on les reconnaîtrait), sont mentionnés en tant que tels.

L’affaire et la judéophobie

La judéophobie (ne parlons pas d’antisémitisme, ce qui constitue un amalgame car ce sont bien plutôt des sémites que d’autres qui, par exemple, s’en prennent à des juifs dans les prisons, mais ils ne sont pas les seuls…) est une réalité qui s’alimente d’elle-même, et non pas de la presse en général.

Les frais somptuaires de Mireille Flam (adjointe au maire socialiste de Paris) ou les cigares de Christian Blanc (ancien secrétaire d’État UMP), ne leur valent certes pas que l’on s’intéresse à leurs pratiques religieuses. Mais on peut être sûrs que si Florence Lamblin avait été un pilier de sa paroisse (catholique, protestante, autre…), cela aurait été mis en exergue.

Nombreux, dans les communautés juives ou israélites, sont d’ailleurs ceux qui estiment que la judéophobie est alimentée par ceux-là mêmes qui ont fait profession de la dénoncer. Nous voyons à présent, dans Atlantico, Gilles William Goldnadel poser hypocritement la question : « Les médias de service public attisent-ils le feu de l’antisémitisme en France ? ».
Que ceux du service public ? Me Goldnadel est bien restrictif, lui, qui, sous ce titre, mentionne Charb et Charlie Hebdo. Même si on sait qui a nommé Philippe Val à France Inter, que l’on sache, Charlie Hebdo n’appartient pas au service public. 

Pour en revenir à l’essentiel de cette affaire, nous emprunterons à Jean Sachi, qui commente un article du Matin, sa conclusion : « C’est au Maroc qu’il faut aller voir comment les cent millions d’euros ont été investis ». D’une part, tout n’est pas allé au Maroc, mais peu importe, au fond. Il serait fort étonnant que cet argent n’ait profité qu’à la communauté séfarade marocaine. Peut-être pas qu’à des citoyens marocains. Ce que la presse s’efforcera sans doute d’exposer, sans préjugés à l’endroit d’une communauté particulière.

P.-S. –  Sans trop de vergogne, Metro France, à la suite de Paris Match, a repris notre information d’hier au sujet des sociétés de Florence Lamblin sous le titre « Florence Lamblin : et maintenant, les sex toys… ». Florence Lamblin était la gérante de sociétés autrefois domiciliées 41, rue de l’Échiquier (Paris X) et détenait 40 % des parts.
Toutefois, à propos d’Isaac Khaski (voir notre article d’hier), Paris Match apporte une précision intéressante. L’associé et directeur du développement des sociétés de Florence Lamblin, proche de Denis Baupin, aurait été actionnaire de Babylon Publishing (aujourd’hui liquidée) qui avait pour autre actionnaire Toy & Hobby Holdings, société des Îles Vierges, dont l’actionnariat incluait la tante de Meyer El Maleh. Une simple coïncidence, sans aucun doute, mais édifiante.
 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

7 réflexions sur « Blanchiment de la drogue (III) : le carnet de GPF SA va parler »

  1. Très amusant, Adrien Saumier, d’EELV qui, sur le [i]Huffington Post[/i], veut arrêter d’emballer la machine médiatique.
    Il dit connaître Florence Lamblin. Parfait, et aussi ses affaires de vente en ligne ?
    « [i]Cette histoire d’emballement médiatique le temps d’un week-end alors que l’affaire n’avance pas, et ne peut pas avancer, est symptomatique du problème de l’info en temps réel: raconter la même chose toutes les 30 minutes pendant 48 heures est impossible [/i]».
    En pourtant, oui, l’affaire avance… Un peu trop vite et un peu trop loin des déclarations lénifiantes de l’avocat de Florence Lamblin.
    Car on pourrait reparler de la clientèle déçue des sociétés de Florence Lamblin.
    Laquelle, paraît-il, se disait « interdite bancaire ». Tiens, pourquoi donc ?

    Au fait, [i]Le Parisien[/i], qui était au courant de l’affaire de la vente de sex toys dès hier midi (on se refile parfois des infos), a raté semble-t-il le coche. Jusqu’à nouvel ordre. Ou alors, c’était pour ne pas s’emballer. Mais avec la parution du [i]Canard enchaîné[/i], ce soir dans les rédactions, on peut s’attendre à des précisions supplémentaires (que je n’ai pu creuser).

  2. Hello, Môa (enfin, Tôa) 😉

    Tiens, des faire-part, j’en avais vu, mais effectivement, pas celui-là.
    Pour la domiciliation de KobIsHa, j’avoue que j’ai manqué un peu de temps, et surtout d’astuce. Je m’étais concentré sur MyBio Sarl.
    En fait, si les sociétés sont rapatriés chez Lamblin, c’est sans doute en raison des nombreuses plaintes de clients qui n’avaient pas été livrés.
    Khaski est le gérant de KobIsHa, société au capital de 10 000 euros.
    Son activité a débuté en décembre 2010.
    Babylon Publishing avait pour siège le 58, rue du Fg Poissonnière.
    Il y a bien une société Ha Magash Shaked à Tel Aviv, avec un lien ténu (décliné kobi-sha).
    Le problème, pour traiter un tel dossier, c’est le temps et qu’on le veuille ou non, l’argent : recueillir les statuts de multiples sociétés à un coût.

  3. Trois choses :

    • L’UMP (contrairement à ce qui a été dit) est extrêmement discrète sur cette affaire. Je parie que pour une EELV, on trouvera au final trois sarkozystes mouillés dans la combine El-Maleh.

    • Qu’il soit question de communauté juive, rien d’étonnant : dans les affaires de ce genre, les coupables ont l’habitude de prétendre que les sommes d’argent susoect qu’ils font circuler sont destinées aux oeuvres sociales de La Communauté, et proviennent de généreux philanthropes qui dans leur infinie pudeur tiennent à garder l’anonymat. Un classique.

    • Ceux qui tiennent à savoir pourquoi Florence Lamblin se refusait farouchement à démissionner ont dans l’idée que l’examen de la ventilation du budget du Lieu du Design livrerait des enseignements.

  4. Ouaaah… Encore des noms que je connais bien…

    Mon Elmaleh à moi est tout attaché, mais je ne suis pas sûre que certains détails orthographiques soient très significatifs…

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