Un jour, une veille de départ en vacances, notre valise nous a parlé. Elle nous a livré son ressenti. Ecoutez plutôt :
Je suis de tous vos voyages, oui, mais je ne vois rien du tout ! Dites, on va où ? J’ai pour tout paysage, vos dessus, vos dessous, vos jupons, vos froufrous ! Je suis en tout et pour tout, celle pour qui, c’est dommage, tout est toujours si flou… Rendez-vous compte, imaginez un peu, et réalisez comme je compte peu pour vous :
Oui, je pars en voyage, mais je n’en vois jamais l’bout ! Je suis tout l’temps dans l’noir, dans le coffre de votre auto, et je ne vois pas les panneaux ! Je ne vois pas non plus, depuis ma soute, vers quels pays je m’envole. Je ne sais pas s’il est tard, s’il pleut, ou s’il fait beau, si je vais au Qatar, ou chez le Caruso… Tout ce que je sais, c’est ce que je suis : Je suis juste un bagage, trimballé de partout, au-dessus des nuages, sur la route, ou dans la boue !
Oh, bien sûr, pour soigner mon image, vous m’avez mis sur des roues. Cela change votre vie, mais la mienne, pas du tout. Je suis dans votre sillage, un point, et puis c’est tout.
Comme vous suivez la mode, je suis toujours « à la page » ! Mais moi qu’est-ce que j’m’en fous, qu’on soigne mon plumage ! Cela m’avance à quoi, d’être plein de coloriages, de coûter plein de sous ? D’être haute en couleur, ne change pas mon humeur. Moi, j’aimais bien « faire mon âge » et vous voir faire la moue, en me sortant du placard. A présent, je dois faire étalage de votre mauvais goût !
On fait de moi bon usage, mais je n’suis jamais dans l’coup. Toujours mise à l’écart, jamais là où il faut, Je suis une pauvre valise, qui vient vider son sac ! Juste une petite valise qui craque !
Parfois, mais c’est rare, une erreur d’aiguillage fait que je m’égare… Je tourne alors pendant des heures, en attendant qu’on me ramasse. J’ai tout le temps alors, de laisser mon esprit vagabonder… Je vous imagine, à l’heure de l’atterrissage, me cherchant moi, votre bagage… Je rêve de voir couler votre maquillage, et s’envoler votre bronzage. Je sais, c’est une piètre revanche. Là, sur ce tapis sans fin, je suis toujours mise à l’écart, et pas là où il faut. Je suis toujours une pauvre valise, qui veut vider son sac, juste une petite valise, qui craque !
Je suis de tous les départs, mais pas sur les photos.
J’ai brisé les tabous, ce n’est pas trop tôt ! Je voulais juste parler un peu de moi, laisser un témoignage. Dites, un jour, vous me montrerez la plage ? Et, dites, c’est beau, les bambous ? »
C’est qu’ils en ont des choses à nous conter les objets, il faut soigneusement les écouter, d’ailleurs chuttt ils n’aiment pas qu’on les appelle ainsi ! ce sont des personnages, qui marchent et se promènent et discutent entre eux à voix basse dans l’ombre de la nuit, qui haussent le ton les jours de grandes circonstances, où là ils se sentent devenir importants, utiles, indispensables même, et c’est le cas, que ferions-nous sans eux ?