À peine venais-je de signaler que Siné Mensuel avait publié ce mois d’octobre un entretien avec Lilian Thuram, ex-footballeur guadeloupéen (entre autres origines, peut-être), qui a créé une fondation d’éducation contre le racisme, que l’inénarrable Jean-Marie Le Pen confiait au Journal du dimanche sa conviction que les races sont une réalité. Certes, pas de dérapage de sa part. Après tout, il y a bien des dieux bantous et d’autres norvégiens septentrionaux et c’est (ou cela resterait) aussi une réalité. Allez, réinventons, et même réenchantons Jean-Marie Le Pen !  

Dans son entretien publié ce vendredi par le Journal du dimanche, Jean-Marie Le Pen estime qu’il y a « des formations qui ont besoin d’un plastron adverse pour exister. Et quand il n’existe pas, on l’invente… ». Eh, ce n’est point dénué de bon sens.

Inventons donc pépé Le Pen. Vous vous souvenez de ce député et dirigeant du Jobbik, parti supérmatisme (« meilleur ») plutôt anti-juif hongrois, qui s’est découvert une grand-mère juive ?

Csanad Szegedi, dont le nez trahit bien les origines (eh, les nez différents, c’est une réalité, non ?), qui s’était présenté à Strasbourg en uniforme de la Garde hongroise (dissoute depuis), est le petit-fils de Magdolana Klein, rescapée d’Auschwitz.

En revanche, vous vous souvenez sans doute moins de ces Écossais pur-jus dont au moins l’un des ancêtres était un noir, esclave débarqué sans doute à Liverpool, et dont l’ADN révélait une filiation directe avec une ou des peuplades du centre de l’Afrique ? Certes, les taches de rousseur avaient fini par l’emporter sur les caractéristiques négroïdes. Mais quoi ?

Breton (entre autres origines, sans doute), Jean-Marie Le Pen doit bien avoir un juif errant, un pâtre grec à gueule de métèque, dans ses ancêtres. Voire du fait des escales, des équipages à renforcer, ou des alliances des troupes coloniales, un Africain ou une Tonkinoise dans sa lignée. Ce qui est pratiquement le cas d’un peu tout le monde, mais quand même davantage dans les contrées côtières.

Il est aussi assez pissotant de lire que papa considère que fifille, Marion Anne (Marine), a des atouts qu’il n’a pas : « c’est une femme ». Texto. Mais franchement, il baisse le papy. Pour lui, le racisme est « contestable », selon tout apparence. « L’expression du mépris à l’égard d’autres races ou la croyance d’une supériorité d’une race sur une autre » lui « paraît contestable ». Nous l’aurait-on changé ? Peut-être pas dans ses convictions profondes mais dans l’expression dont il a longtemps usé et abusé pour laisser entendre, un peu trop souvent… ce que son électorat du moment souhaitait entendre ?

Ou se serait-il tout à coup découvert d’improbables ancêtres ? Allez savoir… En tout cas, ce n’est pas – semble-t-il – le père souhaité par Rachida Dati pour sa fille. Ou alors, ce serait un second, troisième, voire pénultième, si ce n’est dernier choix.

Nous retrouverons sans doute Jean-Marie Le Pen, en 2014, réélu au Parlement européen. Où, depuis 1984, son apport, depuis des décennies, reste irremplaçable. C’est vrai que, comme Georges Marchais, il nous manquerait.

Effectivement, pour reprendre ses propos, il existe « des gens (…) de niveaux culturels différents ». Qui évoluent d’ailleurs tout au long de l’existence. Mais je ne sais vraiment plus si, à ce stade de mollesse, le Rassemblement Bleu Marine serait « pour les tièdes » et le FN pour les « chauds ». Sans doute celles et ceux qui apprécient la veillée au coin du feu. En charentaises près de l’âtre, à deviser sur l’ancêtre bantou, l’arrière grand-tante askhénaze, le lointain tonton mongol…

« Allez, il y a des gens bien partout », conclura doctement Jean-Marie à l’issue de la causerie. Bon, on retrouvera sur le site du FN le Jean-Marie évoquer le « fossé civilisationnel ». C’est pour dire ensuite que si Sarkozy avait fait exécuter Kadhafi, ce serait une manifestation du fameux fossé (ou alors, je n’ai rien compris). Ce n’est plus un fossé, c’est une rigole, une venelle ! Bon, le FN fête ses quarante ans, et on apprend que Jean-Marie a déjà couché 200 pages de ses mémoires. Parution fin 2013. En un an, le fondateur peut encore évoluer. Vers la zénitude orientale ? Le futur Gandhi de La Trinité-sur-Mer, auteur de J’ai vu juste (1998), même d’un seul œil, finira-t-il par inspirer une Imitation de Jean-Marie à l’usage des pacifistes, altermondialistes, new agers internationalistes prolétariens ?  Ce serait assez farce, mais un peu décevant.

Quand même, saluons au passage le fin connaisseur de la langue française qui utilise « plastron » au sens que lui donnaient Saint-Simon, Régnard et Sade (plastron des railleries, mauvais propos) ou à celui du jargon militaire (les « rouges » pour les « bleus », et inversement, lors des manœuvres). Si le nouveau Jean-Marie préserve de son prédécesseur cette fine érudition, je ne saurais surtout pas lui en tenir rigueur.

À présent, Jacques Bompard, auteur d’un Le Pen contre le Front national, échange des blagues avec Marion Le Pen (la nièce) et l’ineffable Gilbert Collard, fils d’un maurassien devenu résistant communiste, ex-franc-maçon et socialiste et même soutien du Mouvement pour un parti des travailleurs. L’UMPSFN s’entendrait-il comme cochon en foire avec le système ? Oh que non. D’ailleurs, Jean-Marie Le Pen ne conçoit d’alliances locales qu’avec des UMP, divers-droite ou indépendants (car « ce serait logique » et « le FN n’est pas fermé à une entente sur le plan local »).

On a eu chaud. Pour un peu, on s’attendait à voir Jean-Marie et Jean-Luc (Mélenchon) disputer des parties de 4-21 en se tapant sur le dos, et fustigeant de conserve la « décadence française » accélérée par le capitalisme mercantile mondial. Au fait, les amis des amis étant des amis (feu Kadhafi, Bachar al-Assad), à quand un J.-M. Le Pen soutenant Chavez ? Tenez-vous bien, c’est en bonne voie, et Bruno Gollnishch salue, « au-delà de ses tics marxistes », un « homme libre qui n’hésite pas à tenir tête à “L’Empire”, aux “Lobbies”, aux “multinationales”. ». Un indigène métissé, le Chavez, pourtant. Un afro-vénézuélien. Et même un bouffeur de curés. « On » (au FN) en est là.

Vite, dans les chaumières, que s’entonnent quelques Lauda Sion SalvatoremLauda ducem et pastorem »), car « Le Chef » débloque !