Rien à voir… Le gouverneur de la Banque d’Angleterre a estimé que le démantèlement de la zone euro n’affectera pas durablement le Royaume-Uni tandis que le ministre des Affaires étrangères britanniques annonçait que, désormais, son pays et le Canada, peut-être bientôt la Nouvelle-Zélande et l’Australie, feraient ambassades et consulats communs… Histoire de ne pas s’en laisser remontrer par la France, l’Allemagne et l’Italie. Rien à voir… mais c’est aussi à cette aune que j’ai consulté l’entretien de Jean-Marc Ayrault à Edwy Plenel et deux autres journalistes de Mediapart.
Mais le chef de file du Front de gauche fustige surtout « l’atlantisme historique et aveuglé de Jean-Marc Ayrault et François Hollande coupe ces deux hommes d’une compréhension vraiment informée des exigences qu’impose le souci d’indépendance et de souveraineté face aux États-Unis. ».
C’est là l’essentiel, finalement. Européens continentaux non pas contre, mais s’organisant différemment face aux anglo-saxons. Mediapart a-t-il réussi à entraîner J.-M. Ayrault sur ce terrain ?
Tout d’abord, saluons l’intelligence de cette publication qui ne se contente pas de coller une vidéo sur son site, mais donne aussi un verbatim. C’est plus facile à consulter en sautant le bla-bla convenu.
Or donc, le Premier ministre, donc, de fait, aussi l’Élysée, botte en touche. Le texte du traité est conforme « à la virgule près » à celui du gouvernement Fillon et de Nicolas Sarkozy. Oui, mais, ce qui importe, pour Ayrault, c’est que le même texte conviendrait à des orientations sensiblement infléchies. Soit pour amorcer « un pacte de croissance et d’emploi » et une dose de « supervision bancaire » (à laquelle les caisses d’épargne allemandes, en mauvaise posture, s’opposent).
Ayrault glisse une allusion à la taxe sur les transactions financières, qui risque de passer à la trappe ou d’être édulcorée, mais, admettons…
Défense de l’euro
Ayrault relève à juste titre que « la Grèce ne représente que 2 % du PIB européen » (le pacte de croissance, ce sera la moitié : un pour cent du PIB global) mais que l’attitude des dirigeants de l’Union européenne a été trop timorée. En quel sens ? Peut-être faudrait-il entrer dans les détails. La sortie de la Grèce de la zone euro aurait-elle pour conséquence « pour les peuples européens une régression économique et sociale considérable » ? Pour le moment, la régression économique et sociale frappe de plein fouet la Grèce, le Portugal, l’Espagne, et dans une moindre mesure l’Italie ou l’Irlande.
Mais les politiques grecs, pas vraiment davantage que les français, ne parviennent à faire payer fiscalement les plus riches qui « investissent dans l’immobilier, à l’étranger… ». C’est exactement ce que fait le détenteur de la plus grosse fortune financière et immobilière française, et il le fait internationalement, mais via la Belgique…
Demain bien mieux qu’aujourdh’ui
Médiapart relève que la renégociation a été édulcorée en réorientation des objectifs du traité, et que, depuis Jacques Delors, « on a toujours dit aux peuples qu’on irait plus loin… plus tard ». Ayrault abonde le propos, mais ne dit absolument pas qu’une Europe sociale est sur les rails. En quoi assigner à la Banque centrale européenne « un vrai rôle de banque centrale » modifierait les orientations fondamentales : était-ce le rôle de la Banque de France de favoriser des avancées sociales ?
Ayrault propose un léger renforcement du rôle du président du Parlement européen, plutôt symbolique, et n’annonce pas la nature des propositions françaises lors du conseil européen (où le président du Parlement fera de la figuration) des 18 et 19 octobre prochains. Pour l’instant, il appelle « surtout à la responsabilité ». Autre mot pour « discipline », relève Mediapart.
On a surtout compris que l’évolution dépendra des chefs d’État et des chefs des majorité parlementaires des pays européens et qu’il n’y a pas « matière à faire un référendum ». Il n’y a peut-être plus non plus les fonds nécessaires pour en organiser un, ou plusieurs, en Europe. Mais surtout, un non impliquerait de facto « la sortie de l’euro » de la France. Comme si un référendum à question unique (pour on contre le traité en bloc) était le seul mode envisageable d’une telle consultation…
Enfin, Mediapart entre dans le vrai vif du sujet : le Luxembourg – et le Royaume-Uni, donc, dont l’un des députés conservateurs veut en faire un total paradis fiscal pour attirer des détenteurs de fortunes qu’il qualifie « d’investisseurs » – accumule les avoirs financiers, en pleine crise.
Pour Ayrault, cette situation ne serait pas « durable ». Pourquoi ? Elle l’est plus qu’hier, et peut-être bien moins que demain. Il est question de la « mettre sur la table ». Quand, comment ?
En fait, on a l’impression que la France de la majorité PS se contente, faute de pouvoir davantage peser, du statut quo : pas de baisse, mais non plus pas de hausse possible du budget européen, du fait de l’opposition des libéraux. Un jour, non le prince, mais « un accord franco-allemand » viendra. S’imposerait-il aux Britanniques, aux dirigeants (uniquement privés demain si la fusion se fait) de l’ensemble EADS-BAE ? Et qui empêchera les dirigeants de la Fiat, qui aujourd’hui s’en défendent officiellement, de fermer doucement mais inexorablement ses usines en Europe ?
Politique intérieure
Incidemment, Ayrault signale que « jamais » (enfin, pour cinq ans) TVA ou CSG ne seront augmentées pour « combler les trous du budget de l’État ». Bah, pour la vignette automobile, ce n’était pas l’État qui était censé percevoir les recettes, mais un « Fonds national de solidarité ». Elle n’existe plus que pour des véhicules professionnels, dans une majorité de départements.
Cet exemple de la vignette ne concerne pas que l’effort fiscal en France. En Europe, qui empêchera des pays, des régions, de continuer à se livrer à des surenchères, du dumping, pour attirer des investisseurs comme des départements français le faisaient pour attirer des flottes de véhicules à s’immatriculer chez eux plutôt que chez le voisin ? Qu’en dit donc le traité ?
Mediapart a profité de l’occasion pour revenir sur la question du récépissé envisagé pour les policiers contrôlant parfois au faciès ou à la mise étrangers et plus pauvres. Que croyez-vous que répond Ayrault ? Oui, ce récépissé sera instauré, non, il ne le sera pas ? Que nenni… Cela se fera, peut-être, un jour… En serait-il de même pour les engagements du fameux traité ?
Sur le sujet des manifestations confessionnelles, on retiendra que « la France n’a pas à se laisser imposer quoi que ce soit par les religions (…) La République ne se pas imposer par une spiritualité ce qu’elle doit faire. », laquelle continuera à respecter « le libre exercice des cultes ».
Commentaires
Certain commentateurs ont assimilé cet entretien à une péroraison et je ne suis pas loin de partager leur opinion. Mais d’autres relèvent que ne pas signer le traité ouvrira « un boulevard à la spéculation sur les dettes souveraines », ce qui est effectivement l’un des risques majeurs.
La remarque la plus drôle (ou amère) est celle d’Olchantraine : « après la ratification de ce traité, avec un peu de diplomatie, on pourra faire adhérer les îles Caïmans. ».
Le Figaro a titré sur la TVA ou la CSG en relevant que cela n’exclut pas « une possible hausse des prélèvements pour financer la protection sociale ». Le Monde relève que l’entretien s’est déroulé vendredi, à la veille du vote d’EELV. Libération tarde à réagir.
Mais ce qui a le plus attiré mon attention, c’est un article du Figaro titré « Inflation des coûts au futur siège de la BCE ». 40 % de pire (200 millions d’euros, ou 300, ou 350, allez savoir) pour deux tours jumelles de 184 mètres estimées au départ à 850 millions d’euros. Et il n’y aura pas de place pour plus de… 1 800 personnes. Même en divisant par deux la surface des bureaux des plus hauts dirigeants ?
Et au fait, si la BCE embauche, va-t-on débaucher (sans remplacer) dans les banques centrales européennes ? Va-t-on réduire les traitements de cadres de la Banque de France devenus des contremaîtres sous la direction de la BCE ?
Tout en faisant la chasse aux fraudes aux aides sociales, en réduisant les effectifs militaires (soyons juste : contrairement à la France, les généraux ont été remerciés en proportion de la baisse des officiers, gradés et hommes de troupe), le nombre de centres de soins et les dépenses des hôpitaux, les conservateurs britanniques ont réussi, selon Morgan Stanley, à faire croître le déficit budgétaire de Royaume-Uni jusqu’à 7,8 % de son PIB prévu pour 2013 (prévisions Grèce : 6,3 ; Espagne : 6). Du coup, nos voisins empruntent davantage et plus cher. Aussi parce que les recettes fiscales, pesant notamment sur les plus pauvres ou les classes moyennes inférieures, régressent : la crise, et l’inflation, contraignent à dépenser moins. Et pour les plus hauts revenus, les moyens d’évasion fiscale n’ont pas été jugulés.
L’Union européenne va-t-elle devoir se porter au secours du Royaume-Uni ? Pourquoi pas, si, au lieu de faire porter toujours et encore l’austérité sur les mêmes, elle permettrait aux citoyens de mieux s’en sortir. Or, pour le moment, ce n’est pas avec ce type de traité qu’on y parviendra. Demain, oui, peut-être… Mais ce n’est pas forcément avec un J.-M. Ayrault – qui s’est en fait bien préservé d’aborder ces questions – qu’il faut prioritairement s’y attendre.
Je partage sur facebook, sans hésitation.
Bravo Jeff pour ce reportage « décalé », et merci d’avoir écouté pour moi cette émission de Médiapart, dont j’ai d’ailleurs reçu une invitation par mail, mais le Webzine étant un peu trop à Gauche, je me suis abonnée à ce « média », uniquement pour voir les thèmes abordés, et parfois en lire les analyses.
Trop partisan à mon goût Médiapart.
SOPHY