L’attentat ayant coûté la vie à un diplomate et à des conseillers consulaires à Benghazi, tout comme ceux qui se poursuivent en Irak, devraient faire réfléchir sur la portée des interventions extérieures dans le monde dit Arabe. Mitt Romney, le candidat républicain à la présidence des États-Unis, s’est aussitôt exprimé : « la première réaction de l’administration Obaman n’a pas été de condamner ces attaques de missions diplomatiques [ndlr. en Égypte et en Libye], mais de sympathiser avec ceux qui les ont commis. ». On se demande cependant, dans le cas de la Syrie, avec qui les Républicains sympathisent réellement. Les émeutes en Égypte et en Libye auraient fait quatre morts, à Benghazi, selon Associated Press, l’ambassadeur en Libye, Chris Stevens, et trois diplomates libyens, dont Abdel-Basit Haroun, Ahmed Bousinia, tous liés au ministère de l’Intérieur libyen. Mais cette version a été contredite mercredi midi, les morts seraient tous des Américains selon un officiel libyen.

Le porte-parole de la Maison Blanche a répliqué au candidat républicain Mitt Romney qui a clairement, dans la nuit de mardi à mercredi, laissé entendre que les attaques visant des locaux et des personnels diplomatiques étasuniens en Égypte et Syrie n’avaient pas suscité de réponse ferme de la part du président Obama.

« Il est choquant que le gouverneur Romney se livre à une offensive politique » en de telles circonstances.

En Égypte, des manifestants avaient escaladé les murs de l’ambassade américaine du Caire, arrachant le drapeau américain. À Benghazi, c’est le consulat qui a été envahi, ce mercredi matin, et un diplomate a été tué.

Les assaillants ont pris le prétexte d’une vidéo diffusée sur l’Internet s’en prenant à l’islam à l’occasion du onzième anniversaire du 11 septembre. Ce clip, qui n’a aucun cachet officiel et est le fait d’un amateur, justifierait donc, selon les participants à ces meurtres ou assassinats, une telle réplique. 

Mitt Romney s’est pour sa part appuyé sur une déclaration de l’ambassade du Caire ayant fait suite aux événements locaux condamnant les provocations blessant les sentiments religieux des musulmans ou ceux de fidèles d’autres religions.

Hillary Clinton avait précisé par la suite que rien ne justifiait de tels actes violents.

On ne sait si le candidat américain, au-delà de ses critiques de son adversaire, va prendre ou non une position sur une intervention en Syrie : pour le moment, il n’a que très peu abordé le sujet.

À Benghazi, le consulat américain a été presque totalement détruit par un incendie tandis qu’au Caire, près de 2 000 manifestants ont convergé vers l’ambassade des États-Unis. La vidéo censée avoir provoqué ces réactions a été attribuée à un chrétien copte d’origine égyptienne, Morris Sadek, qui l’aurait diffusée via YouTube et d’autres supports. Elle provient d’un film, L’Innocence des musumans, financé par un Juif américain d’origine israélienne, Sam Bacile, qui aurait réuni des fonds auprès de la communauté israélite. Le film aurait été sous-titré en arabe vernaculaire égyptien. Ce film, qui a mobilisé 59 acteurs, n’avait été projeté qu’une fois dans un cinéma d’Hollywood, passant largement largement inaperçu. C’est son extrait diffusé en ligne qui l’a fait connaître dans le monde musulman.

Selon d’autres sources, le film incriminé serait Mohammed, prophète des musulmans, qui avait été popularisé par un pasteur de Floride, Terry Jones, qui avait publiquement brûlé un coran en mars 2010. 

En Égypte, les manifestants ont scandé « Nous sommes tous Osama » (Ben Laden).

Tout comme en Tunisie, où la police se préserve bien de disperser les manifestations salafistes ou intégristes, la police égyptienne avait encadré les assaillants sans intervenir, ne les incitant à la dispersion qu’après l’assaut du bâtiment diplomatique. Quant à la police de Benghazi, elle s’est montrée plusieurs fois impuissantes à réprimer de telles attaques.

À Benghazi, les assaillants ont fait usage d’armes diverses, dont des fusils lance-roquettes, tuant et blessant les occupants qu’ils ont pu trouver, avant d’incendier et de piller le consulat impunément trois heures durant. Dans cette même journée, la délégation diplomatique américaine a confirmé qu’il y avait eu un tué, mais un officiel libyen a déclaré à Reuters que l’ambassadeur ainsi que trois personnes avaient trouvé la mort du fait d’un tir de roquette alors qu’ils se trouvaient dans une voiture, et que les corps auraient été évacués par avion militaire américain vers Tripoli.
Selon Associated Press, le bilan serait de quatre morts, dont l’ambassadeur Chris Stevens (John Christopher Stevens) et trois représentants du ministère de l’Intérieur libyen : le vice-ministre chargé de l’est de la Libye, deux chefs de la sécurité. Des versions contradictoires attribuent la mort de l’ambassadeur, qui serait mort d’asphyxie, à l’incendie, ou à un tir de roquette ou de mortier ayant atteint son véhicule alors qu’il tentait de fuir.

Aux dernières informations, selon le correspondant du Guardian en Libye, et Al Jazeera, l’ambassadeur se serait rendu en voiture au consulat pour constater les dégâts et c’est au cours du trajet que le véhicule aurait été frappé par un tir qui l’aurait tué ainsi que deux soldats ou membres de son service de sécurité. Par ailleurs, l’armée libyenne ferait état d’un total de 13 morts, quatre Américains, quatre manifestants, et cinq membres des forces armées.

Mais Wanis Al-Sharef, du ministère de l’Intérieur libyen, a depuis fait état de la mort de l’ambassadeur, et de deux soldats américains. Pour le moment, ce mercredi midi, seule la mort de l’ambassadeur a été confirmée par les autorités américaines. 

Au Caire, un drapeau noir frappé de l’inscription traditionnelle « il n’y a de dieu que Dieu et Mohammed est son prophète », a été hissé au mat de l’ambassade. La manifestation a commencé à se disperser peu avant minuit, mardi soir. Elle avait été autorisée car ses organisateurs avaient invoqué une marche pacifique de protestation. Le drapeau n’aurait pas été retiré mercredi matin, selon CNN.

Aujourd’hui, des manifestants se sont de nouveau regroupés autour de l’ambassade américaine au Caire.
En Libye, ce n’est pas la première fois que des diplomates sont pris à partie. L’état d’urgence devrait être décrété en Libye au cours de cette journée, mais il n’est pas sûr que les forces de l’ordre puissent véritablement le faire respecter partout. Ce mercredi est marqué par l’ouverture du Congrès national libyen, en présence du président tunisien, Moncef Marzouki. Comme d’habitude, le gouvernement libyen  met en cause « des partisans des Kadhafi ». L’attaque découlerait du fait que la Mauritanie aurait livré à la Libye Abdullah al-Senoussi, l’ancien chef des services secrets de Kadhafi, a soutenu le vice-ministre de l’Intérieur, Wanis al-Sharif, sur Al Jazeera.

On ne sait si les deux manifestations avaient été déclenchées par des mots d’ordre ou des consignes concertées. L’extrait du film avait été diffusé samedi dernier par une télévision confessionnelle musulmane égyptienne. Divers chefs de file de factions salafistes ou intégristes ont revendiqué l’initiative de la manifestation du Caire, dont Wesam Abdel-Wareth, de la chaîne Hekma, mais aussi Mohamed al-Zawahiri, frère d’Ayman al-Zawahiri, considéré appartenir à Al Quaida, qui aurait mobilisé le mouvement radical Hazem Abu Ismael et d’autres factions djihadistes.

Par ailleurs, à Benghazi, la question de savoir qui est prioritairement visé peut être soulevée. Divers attentats avaient déjà visé des officiels libyens au cours de ces derniers mois. Le tir ayant provoqué la mort des quatre hommes est attribué à une faction dénommée Ansar al-Charia, selon CNN. D’autres groupes s’en prennent à des représentants gouvernementaux.

Le ministère étasunien des Affaires étrangères redoute que d’autres événements puissent se produire dans divers pays musulmans. Abu Yahya al-Libi, un Libyen appartenant à Al Quaida, a récemment lancé des mots d’ordres pour venger la mort d’un autre responsable, Ayman al-Zawahri, tué lors d’une attaque par drone en juin dernier, au Pakistan.

Un responsable d’Al Quaida a parallèlement diffusé une vidéo de 57 minutes intitulée La Vérité se fait jour et la duplicité s’effondre (adaptation libre de la traduction anglaise : Truth has Come and Falsehood has Perished) qui proclame que l’Amérique a été vaincue en Irak. Adam Gadahn y déclare que Barack Obama et les États-Unis sont en fait en guerre, en dépit d’affirmations contraires et de quelques évidences, contre l’islam en son ensemble et son essence même.

Prolifération ?

En Tunisie, il ne s’est pas produit de manifestations anti-américaines, mais un islamiste radical s’en est pris, mardi, à Monastir, au mausolée de l’ancien président Habib Bourguiba, selon l’agence tunisienne TAP. Il aurait pris l’exemplaire du coran déposé près du tombeau avant de jeter des tableaux au sol. Par ailleurs, le parti Al Rafah (qualifié d’islamiste « moderniste ») réclame un référendum en faveur de la polygamie « pour lutter contre l’extension du mariage coutumier ».

En Algérie, l’ambassade américaine a diffusé ce jour un avis faisant état de messages sur les réseaux sociaux visant à organiser des protestations anti-américaines. Il est conseillé aux ressortissants américains d’éviter les abords de l’ambassade. Dans la journée de mercredi, le gouvernement algérien a annoncé qu’il se propose d’émettre un décret du ministère des Affaires et du patrimoine religieux (wakfs) pour renforcer le contrôle des associations à caractère religieux. Le Premier ministre du Qatar est actuellement en visite officielle en Algérie, le Qatar  montant sa participation dans Qataniya Telecom.

Au Yemen, à Sanaa, une bombe visant le véhicule du ministre de la Défense a fait une douzaine de morts ce mercredi. Deux responsables de la sécurité ont été limogés.

Le président afghan Karai s’est prononcé contre les films attaquant l’islam mais n’a pas condamné les émeutes. Un ambassadeur américain, Adolph Dubs, avait été tué en Afghanistan en 1979. Mais la dernière attaque ayant visé le corps diplomatique occidental s’était produit le 11 juin dernier, quand une grenade avait visé l’ambassadeur britannique en Libye, déjà à Benghazi.

Barak Obama a confirmé la mort de l’ambassadeur américain en Libye et dressé son éloge. Hillary Clinton a fait de même en nommant une seconde victime, Sean Smith, autre membre du corps diplomatique. Il est présumé que le président sortant va devoir tout mettre en œuvre pour trouver les responsables directs du meurtre, en liaison avec les autorités libyennes : il risque de se voir reproché violemment son inaction présumée. Le Tripoli Post a publié des photos montrant un manifestant avec en second plan une voiture en flammes. Newt Gringrich, sur CNN, a comparé la situation à la crise de 1979 en Iran, marquée par une prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran.

Répercussions

Les répercussions seront au moins double. Ces attentats vont troubler la campagne présidentielle américaine. Par ailleurs, sur la question syrienne, l’appui apporté par le Qatar et l’Arabie saoudite à certains groupes armés islamistes remet en question la réponse occidentale. Les armes ayant été utilisées en Libye ont été conservées par de multiples groupes armés, et la crainte qu’un scénario à l’irakienne se reproduise en Syrie marque les esprits.

Par ailleurs, l’attentat aura peut-être fait fléchir Russes et Chinois (les deux pays comportent des populations musulmanes) à propos du dossier nucléaire iranien. Il s’agirait de contrer les tentatives de la droite israélienne de s’attaquer à l’Iran en donnant la priorité à la diplomatie.
Ce mercredi, le Hezbollah libanais, proche de l’Iran, a condamné les atteintes visant l’islam et Mahomet – à la suite de la diffusion du film – sans dire un mot des événements de Benghazi. Le film, a estimé le Hezbollah, « reflète la position réelle de l’alliance Américaine-Sioniste à l’égard de l’islam et des musulmans. ».

Le Premier ministre égyptien a condamné les meurtres de Benghazi mais insisté pour que le film soit censuré.

Dans un éditorial du Guardian, Simon Tisdall a considéré qu’« en réalité, la responsabilité peut remonter, directement ou indirectement, jusqu’à ceux qui, à Londres, Paris, Bruxelles et Washington ont lancé l’intervention de l’Otande l’an dernier en Libye avec un insouciant dédain des conséquences. (…) Une nouvelle fois, les puissances occidentales ont déclenché un incendie qu’elles ne peuvent éteindre. Un an après que David Cameron et Nicolas Sarkozy se sont rendus ensemble en Libye pour y recevoir de dérisoires lauriers de libérateurs, la révolution libyenne qu’ils ont attisée au soufflet et alimentée est en passe de dégénérer… ».

BHL, meilleur ami de Chris Stevens

Bernard-Henri Lévy s’est de son côté empressé de donner au Monde une tribune et de qualifier les auteurs de l’attentat d’« imbéciles ». En fait, une nouvelle fois, il ne parle surtout que de lui-même, au prétexte de rendre hommage à l’ambassadeur avec lequel, évidemment, loin de tout témoin, il échangeait récemment, dans un ascenseur du département d’État américain « accolade, embrassades, puis longue conversation ». Pour un peu, les deux hommes auraient fait ensemble le coup de feu contre les troupes de Kadhafi, en avant-garde des insurgés libyens, du côté de Brega. Bref, on a compris, le défunt était un admirateur du petit Frenchie.
BHL conclut : « les imbéciles ont gagné ». Serait-ce un début d’autocritique ? Bien évidemment, non. BHL, qui a été reçu à l’Élysée par François Hollande à propos de la Syrie, réclame une intervention contre le régime syrien. Mais l’ancien chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Jean Fleury, estime que l’arme aérienne syrienne a des forces deux fois supérieures à la française (environ 500 appareils contre 250) et que ses pilotes sont très performants.
Dans La Voix de la Russie, Mikhail Egorov commente : « Henri-Levy y verra probablement un autre sens, mais malheureusement pour lui et ses adeptes, l’afghanistation de la Libye se fera probablement bien plus rapidement que prévu (à moins que c’est ce qu’il voulait). ».