Le Syndicat Sud BPCE (Banques populaires-Caisses d’épargne) a obtenu, en première instance, gain de cause contre la Caisse d’épargne Rhône-Alpes-Sud : les méthodes de gestion du personnel de la direction, consistant à mettre à tout instant les employés en concurrence pour faire du chiffre et obtenir une part variable de rémunération seraient néfastes. Pour les salariés uniquement… ou aussi pour les clients ?
Médecins et inspection du Travail, Comité d’hygiène et de sécurité, et même le cabinet d’audit Aravis, concluaient que le système de gestion des personnels des agences de la Cera conduisait à des dérives comme « atteinte à la dignité, sentiment d’instabilité ou de honte, culpabilisation permanente, incitation pernicieuse à passer outre la réglementation, résume Sud BPCE, et pratiques abusives faisant passer la performance avant la satisfaction de la clientèle. ».
Le jugement du TBI mérite que l’on s’y attarde. Le système consiste en une évaluation permanente, quotidienne et heure par heure ou à tout instant, mettant en concurrence des employés entre eux d’une même agence en les confrontant avec l’ensemble de leurs collègues de toutes les agences. S’il n’y a aucun objectif précis, cela fonctionne très bien puisque la Cera a fini par réaliser « 35 % des ventes nettes de l’ensemble des Caisses d’épargne. ».
Pour quels produits, placements, véritablement utiles ou vraiment rémunérateurs, le jugement ne s’y attarde pas.
Risques graves
Le tribunal, qui n’était pas saisi des questions relatives à la vente forcée, imposée, ou à l’incitation forcenée de placement de produits financiers, ne s’est attardé que sur l’existence de risques psychosociaux pour les employés. La Cera a bien sûr rétorqué qu’un juge n’avait pas le pouvoir de s’immiscer dans celui de direction de l’employeur. Sans préciser si cela se rapportait aussi à la chasse aux clients ou aux contrats, bien évidemment.
Pour la Cera, les risques psychosociaux « font partie du monde actuel du travail », mais elle aurait bien sûr tout mis en œuvre pour les limiter à un niveau décent qu’elle ne précise pas. Les juges ont relevé que tout le monde pouvait à tout moment suivre en direct « depuis chaque poste, ce que fait chacun des commerciaux de toute la banque. ». Mais pas tout ce que fait chacun puisque la satisfaction de la clientèle ne représente « que 5 % de l’évaluation ». Tout salarié ne réalisant pas assez de chiffre pénalise la part de rémunération variable de ses collègues d’une même agence.
On peut deviner l’ambiance dans un climat de « compétition ininterrompue entre les salariés. ».
Mais le tribunal ne s’est pas prononcé sur ce que cela impliquait pour les épargnants. Mais cela se devine tout aussi aisément.
Pratiques criminelles
Un rapport de la division de la criminalité financière de la FSA (Financial Services Authority) britannique donne un début de réponse. Il vise en particulier le Lloyds Banking Group qui incite ses commerciaux à fourguer aux déposants et épargnants des assurances et des contrats premium facturés mensuellement.
Contrairement au jugement de Lyon, dont le devenir en appel est incertain, la FSA ne vise pas que la Lloyds Banking. En France, il faudra d’autres actions pour que toutes les banques soient obligées de modifier leurs pratiques. Au Royaume-Uni, l’enquête portant sur une banque s’étendra.
Dans les agences de Lloyds Banking, les commerciaux en venaient à pourchasser parents et proches pour fourguer des contrats, car leur part variable était devenue progressivement la majeure partie de leur rémunération. À ce fait s’ajoutait la menace d’une rétrogradation ou d’un licenciement. La FSA a menacé l’ensemble des institutions financières de lourdes sanctions si elles ne mettaient pas fin à ces pratiques sous 12 à 18 mois.
Les « bonus » doivent profiter aux clients, et non aux banquiers, a résumé la FSA. Le placement abusif de produits s’apparente à une « fraude », qui est « un délit criminel », a conclu Martin Wheatley, directeur de la FSA.
Parfois, les clients se voient proposer un nouveau compte, selon l’argument qu’il ne s’agit que d’un changement d’intitulé mais qui entraîne divers avantages. Il est simplement omis de les informer des coûts induits, réglables mensuellement ou annuellement. Les commerciaux sont harcelés afin qu’ils harcèlent à leur tour déposants et épargnants. Certes, les commerciaux peuvent ainsi doubler leur rémunération. D’autres sont poussés vers la porte ou ne peuvent plus assumer le quotidien avec leur seul salaire fixe.
Le jugement de Lyon est consultable en ligne. On peut s’attendre à ce que toute la profession bancaire française se ligue pour fournir les meilleurs avocats et les meilleurs arguments à la Caisse d’épargne de Rhônes-Alpes-Sud en appel. L’enjeu est d’importance.
Le syndicat Sud conclut : « au-delà du seul Groupe BPCE, cette décision est de nature d’ores et déjà de fonder des actions de la part de salariés et de leurs représentants dans d’autres entreprises pour faire interdire des organisations de travail reposant sur des méthodes et des pratiques identiques. ». On aimerait aussi que, comme au Royaume-Uni, les sanctions ne visent pas que les banques, mais leurs dirigeants. Car, qui, au final, finira par payer ces sanctions ? Sur quels fonds les banques les puiseront-elles si ce n’est sur ceux que leur confient déposants et épargnants ?
C’est toute la question.
[b]Tant que les banquiers ne seront pas poursuivis (intuitu personæ) avec une procédure ad nominem et de petites gardes à vue prolongées y compris par un séjour en préventive, nous n’arriverons à rien avec ces « malfaisants ».[/b]