Tout cela pour ça : « l’Iran est un grand pays islamique (…) et nous espérons que les relations bilatérales se développeront », a fait savoir le ministère des Affaires étrangères libyen. Pendant ce temps, les sanctuaires soufis de Libye sont détruit par des islamistes radicaux sunnites et le ministre de l’Intérieur – qui avait démissionné pendant deux jours – se dit impuissant. Pas question de risquer une vie humaine pour protéger des tombes, a déclaré Abdel Aal (ou Abdelali, selon les translittérations). Les destructions, au bulldozer, se font au vu de la police, qui se garde bien d’intervenir.

Tous les observateurs des pays musulmans s’accordent pour estimer que la Libye reste la proie de divisions tant ethniques (tribales) que religieuses. Mais pas seulement : un an après la chute de Kadhafi, les routes restent dangereuses, non pas du fait des milices armées, mais tout simplement en raison des accidents, des embouteillages chroniques, &c.

Les travailleurs immigrés sont loin d’être tous revenus (surtout ceux des pays africains), et les ordures s’entassent partout. Les déchets vont directement à la rue. Les milices se sont taillées des fiefs économiques, se retrouvant de ce fait en concurrence, même si elles se coalisent autour de deux organisations plus ou moins formelles, le Bouclier national et le Comité suprême pour la sécurité. Réguler la circulation ou organiser la collecte des ordures est le moindre de leur souci.

Comme l’avaient proclamé les gouvernements conservateur et UMP britannique et français, la Libye libérée devait représenter un fort « retour sur investissement ». Il tarde à se concrétiser car les cadres occidentaux ne se pressent pas pour postuler en Libye. Le pays reste trop dangereux.
Du coup, Russes et Chinois sont les bienvenus, et le gouvernement libyen ne verrait pas d’un mauvais œil que les Iraniens puissent eux-aussi investir dans le pays.

De fait, le spectre d’une guerre civile ne s’est guère éloigné à la suite des premières élections. Pour le moment, l’insécurité est diffuse et le Département d’État étasunien dissuade ses ressortissants de se rendre en Libye en raison des agressions, vols, qui visent les étrangers, et les attentats à la bombe parfois aveugles. Les milices interprètent les lois comme elles l’entendent et argumentent d’infractions de la part d’étrangers pour extorquer des compensations, cela en toute impunité.

Le plus dangereux sans doute serait que, las d’espérer que la situation s’éclaircisse, les décisionnaires de l’actuel gouvernement – qui ne décide de pas grand’ chose qui puisse être appliqué – se tournent vers les plus offrants, accordent des contrats, qui ne pourraient être vraiment honorés, les milices s’y opposant.

Pour le moment, les attentats et destructions, sauf flagrante preuve du contraire (comme dans le cas des sanctuaires soufis), sont mis au compte de mystérieuses cellules « kadhafistes ». Ce qui ne convainc pas vraiment tout le monde.

Ce déplorable état de choses, qui commence à évoquer la situation en Irak, n’est pas tout à fait sans conséquences, notamment en Syrie. Alors que la presse – hormis celles des pays favorables au régime de Bachar al-Assad – salue les progrès de l’insurrection, la population, y compris celle qui était initialement favorable à un changement de régime mais n’a pas trop subi de représailles, ne voit pas – ou plus – d’issue dans la victoire de diverses composantes armées bien mal coalisées.

C’est du moins l’opinion qui prévaut quand le souci majeur est de voir l’électricité ou l’eau être rétablie ainsi que de pouvoir se procurer sans crainte d’une balle perdue ou d’une attaque aérienne un peu de pain pour tenir jusqu’au lendemain. Cette opinion fluctuante se préoccupe peu du surlendemain, mais elle redoute plus à présent qu’hier.

Au vu de ce qui se passe en Libye, ou en Irak (sept morts dont celles de six policiers, dont un général et un colonel, à Bagdad ou dans la province de Kirkouk ces dernières heures), on peut la comprendre.

François Hollande semble vouloir chausser les talonnettes de Sarkozy en prônant l’établissement d’un gouvernement d’opposition syrien dont les forces seraient « protégées » par des zones d’exclusion aérienne. Protégées ou sanctuarisées pour mieux mener l’offensive ? Russes et Chinois s’y sont laissés prendre une fois, on ne les y reprendra plus.

Quant au massacre, indéniable, de Daraya (320 corps), il semble que les meurtriers se soient trouvés dans les deux camps. Robert Fisk, de The Independent, qui dénonce par ailleurs les menées du Qatar en Tunisie, décrit un échange de prisonniers qui aurait tourné au carnage, avec des représailles des deux côtés. Les habitants survivants ne savent pas trop qui leur a tiré dessus, ou pensent qu’ils s’agit des uns, ou des autres… Mais les civils n’ayant pas pris parti ou ne jouissant pas de relations dans l’un ou l’autre camp les craignent tous tout autant.

La réalité, c’est que plus personne ne semble faire de quartier. La protection des civils passe largement après de multiples autres considérations.

Selon diverses sources, des commandos israéliens auraient pris position dans les enclaves kurdes de l’Iraq et de la Syrie, en vue d’attaques contre l’Iran. Israël suggérerait (les promesses n’engagent que qui les écoute) d’appuyer les Kurdes, tant de ces pays que de Turquie ou d’Iran. De leur côté, diverses puissances occidentales tentent de convaincre chrétiens et druzes de Syrie et du Liban d’appuyer l’Armée syrienne libre.

Le conflit pourrait s’étendre, mais comme en Libye, on ne sait si la France en comprend vraiment les implications proches ou lointaines. Pour le moment, son gouvernement feint surtout de vouloir tenter de les organiser. Il n’est pas sûr que cela lui réussisse mieux qu’en Libye.