Mélenchon est de retour, et comme le chantait Rika Zaraï, « on » l’aime toujours. Amour quelque peu vachard, certes, mais non point si chargé de « bestiale et routinière méchanceté », comme il se complait à le décrire. Or donc, à peine Jean-Luc Mélenchon venait-il de reprendre la rédaction de son blogue-notes, le 15 août, qu’il concédait dans la foulée un entretien avec deux « plumitifs » du Journal du dimanche. Rien – ou presque  – de ce qu’a pu ébaucher le gouvernement Ayrault et l’assemblée à majorité PS-Verts ne trouve grâce à ses yeux. Est-ce bien seulement « de bonne guerre » ?

On peut s’en amuser, ou s’en lasser. Mélenchon, lors de son long séjour en Amérique latine, aurait été la proie des « outrances et insultes » des « plumitifs ». Cela culmine avec un fort bien tourné « quelques giclées de fiel médiatique m’en sont revenues qui m’ont bien amusé par leur bestiale et routinière méchanceté. ».
Ah bon ? J’ai plutôt constaté un lourd silence à son endroit que je ne saurais vraiment qualifier de méprisant. On peut sourire de cette antienne encore plus récurrente sous la plume de Mélenchon que sous celle d’un Jean-Marie Le Pen qui savait si bien dénoncer la médiocrité de la médiacratie mais ne dédaignait pas de la manipuler à son profit : il n’est pas de mauvaise publicité…

Qu’auraient fait, en cent jours, un gouvernement Laurent ou Buffet (PCF) sous une présidence Mélenchon, et une majorité PS-Verts-Front de gauche ? Oui, sans doute, approfondir le débat sur le pacte budgétaire européen et proposé un référendum. Peut-être n’aurait-il pas mis la charrue dans les camps de Rroms avant de préparer l’attelage des mesures pouvant contribuer à ne pas aggraver leur sort. Il n’est pas tout à fait sûr qu’elles auraient si vite ligoté les mains de la finance…

La République bourgeoise ne se laisse pas si facilement culbuter à la hussarde. D’une part elle conserve quelques institutions comme le Conseil d’État, d’autre part elle s’appuie sur nombre de traités internationaux ou d’accords supranationaux, et elle dispose enfin d’un appareil d’État, d’une caste de hauts fonctionnaires que Mélenchon n’a pas trop fort fustigée lors de sa campagne présidentielle.

Critiques justifiées ou exagérées ?

Dire, comme le soutien Mélenchon, que Hollande « a désamorcé le contenu insurrectionnel du vote de la présidentielle » est une quasi contre-vérité. Hollande n’a pas été élu majoritairement par des insurgés. Mais effectivement, son électorat attend toujours la marque d’un « rapport de force avec la finance » et dans sa composante ouvrière ou d’employés, des avancées contre « les licenciements boursiers ». Quant « au coup de serpillière sur les plus grosses taches laissées par Sarkozy », son odeur de javel s’est vite dissipée, le dégraissage du corps diplomatique surnuméraire et des multiples comités bidules et machins laisse encore fort à désirer.

Effectivement, « ce n’est pas assez pour faire le ménage… ». Il serait repoussé aux lendemains des élections européennes de 2014 après que le Front de Gauche ait ouvert « des centaines d’ateliers législatifs (…) pour faire vivre une radicalités concrète. ». Ce qui instaurerait un rapport de forces au sein de la gauche, et permettrait peut-être à des personnalités communistes ou du Parti de gauche de glaner quelques postes gouvernementaux.
Je doute un peu qu’une nation cultivant si bien ses égoïsmes puisse susciter en son sein une « implication populaire massive » qui est effectivement plus ou moins la marque d’un appui aux actions gouvernementales de divers gouvernements d’Amérique latine.
Chàvez reste donc « une source d’inspiration » revendiquée par Mélenchon, en dépit du fait que ses relations avec le pouvoir des mollahs iraniens n’inspire aucune sympathie dans la plupart des rangs du Front de Gauche, ce que son plus « verbeux » (il sait le reconnaître) porte-parole admet d’autant plus volontiers qu’il ne voit pas trop l’intérêt de substituer le choléra chiite fondamentaliste à la peste salafiste radicale.

Dénoncer ET proposer

J’affectionne Mélenchon parce que sa prose redonne le goût de lire des phrases longues, qu’elle peut mettre « en appétit de savoir » et non pas seulement de s’informer. Il m’agace aussi beaucoup parce que, sans qu’il soit question de grégaires réflexes corporatistes, dont j’estime m’être départi, ses diatribes manichéennes masquent mal le flou de son approche du concret.
Trépigner en réclamant du concret, du concret, du concret n’avance pas à grand’ chose si les contours de ce qu’il est réellement possible d’obtenir ou d’appliquer restent vagues.

Le traité européen vaguement infléchi sera « inapplicable », répète Mélenchon sur son blogue. Sans doute. Mais comment concrètement déshabiller Paul pour vêtir Pierre ? Parce que dénoncer en bloc l’austérité sans indiquer de quelle manière seront comblés les trous budgétaires, cela frôle la démagogie.
Chàvez a du pétrole, Mélenchon des idées, soit.  Lesquelles au juste pour PSA ? Comment mettre fin à la sous-qualification et la précarité des diplômés quand les universités forment beaucoup trop de docteurs (pas vraiment en médecine, certes), d’ingénieurs, et même de techniciens, que ce que les entreprises et la fonction publique peuvent absorber ? Comment exporter sans faire importer par d’autres en creusant leur déficit commercial ?

À fort juste titre, Mélenchon relève qu’« un savoir, une fois assimilé, ne s’ajoute pas seulement aux autres, il en modifie le contenu. ». Je vois bien ce qu’il enseigne, je perçois mal ce qu’il professe. 

De même, je veux bien admettre que Paulo A. Paranagua, et ses chroniques sur l’Amérique latine dans le Monde, pointent beaucoup plus les échecs que les succès des diverses politiques de gauche dans les pays où elle domine, mais comme disait Lénine, les faits sont têtus. Quand il relève que le droit à l’avortement est contrecarré sévèrement au Salvador, au Nicaragua et au Chili, « trois pays où la gauche est au pouvoir ou l’a été pendant vingt ans », c’est de la calomnie ou du réel ? 

 

Bien sûr, la politique d’un pays se fait aussi au jour le jour, en réaction aux événements du moment, dans le domaine intérieur tout comme en fonction des politiques étrangères, des opinions des éventuels alliés. Bien sûr aussi, Mélenchon encore moins que d’autres, ne décide pas seul, mais en fonction de décisions et orientations collectives. Difficile pour lui de s’exprimer sur la situation en Roumanie sans qu’un certain consensus se soit dégagé au sein de sa formation, alors que sur l’Amérique latine, il a les coudées plus franches.

Par ailleurs, Montebourg, qui a rétorqué à Mélenchon qu’il allait, avec « les gauches unies », s’attacher « pendant ces cinq années à reconstruire pierre après pierre une industrie » pour la mener « sur le chemin de la renaissance », ne dit pas beaucoup plus que Mélenchon comment les dites gauches vont pouvoir s’y prendre. Marisol Touraine a renchéri, sans être guère plus explicite. Ne reprochons pas à Mélenchon ce qu’on ne saurait déjà reprocher à Montebourg, Touraine ou à leurs successeurs en cas de remaniement.

Mais bon, si Hollande avait passé une quinzaine de jours au Venezuela au lieu de le faire sur « le sable des plages du Var », comme semble le lui reprocher Mélenchon, cela changeait-il vraiment la face, sinon du monde, de l’Europe ? Mélenchon s’est quand même abstenu de critiquer Hollande sur la Syrie (dossier pour lequel, avant l’élection nord-américaine, il n’y a sans doute rien de bien efficace à tenter).

Le verbe ne suffit pas

 

On peut comprendre les agacements de Mélenchon quand, par exemple, il lit sur le JDD que ce sera le directeur de L’Humanité qui prononcera le discours de clôture de la fête homonyme, le 16 septembre, et non lui-même. Traditionnellement, cette tâche revient soit au directeur du quotidien, soit au secrétaire général du PCF. On conçoit aussi fort bien qu’après avoir clamé qu’il exigeait un respect total de sa vie privée (et de l’identité de sa compagne), le harcèlement des photographes le fasse voir rouge. On admettra aussi qu’il ne pouvait dicter les questions du JDD, qui attendait sans doute de petites phrases pas très amènes pour Hollande et le gouvernement Ayrault.

 

Mais il a quand même un problème de méthode, voire de tactique. De Hollande, dans son Rien ne se passe comme prévu (chez Grasset, le 22 prochain), Laurent Binet dit plus ou moins ce qu’il a déclaré au Nouvel Observateur : « mon livre donne l’image d’un bon social-démocrate, ni plus ni moins. Et par les temps qui courent ça n’est déjà pas mal. ». Laurent Binet admet qu’il a mis du temps à voter pour Hollande au premier tour mais qu’il était content que ses proches optent pour Mélenchon : « j’avais l’impression qu’on se répartissait la tâche ».

C’est peut-être ce genre de « camarades » auxquels devrait savoir mieux, à présent, s’adresser plus intelligemment, soit en « intelligence ». Il estime que les faits et la crise lui donneront raison, et qu’il n’est nul besoin de les ménager, et qu’il convient encore au contraire de les bousculer. Il est plus ou moins resté « dans les clous » avec cet entretien au JDD, faisant son Mélenchon sans virulence excessive.

Mais dans sa « carte postale de retour » de son blogue-notes, il semble avoir tourné la page du mauvais tour que lui a joué le PS lors des législatives. Certes « toutes les plaies ne sont pas cicatrisées », mais il s’attarde moins sur celles-ci. C’est déjà mieux.

Comme le consigne un commentateur sympathisant (parmi plus de 280 autres, à cette heure, ce qui prouve bien que Mélenchon conserve un auditoire important), « on sait pourquoi on veut agir, on sait à peu près où on veut aller, mais on ne sait pas très bien comment on va faire. ». Les « pégistes » (du Parti de Gauche) s’interrogent. Certes, tracter, réunir, intervenir. Comme l’exprime un autre, attention à l’illusion lyrique. Il serait aussi peut-être temps de clarifier la situation. Mélenchon reste « à la disposition du Front de gauche, mais pas en qualité de potiche ». D’accord, en mais en quelle qualité au juste. Il est co-président (avec Martine Billard) du Parti de Gauche mais aussi responsable de son pôle international et défense. L’international ne se réduit pas à l’Amérique latine et il serait peut-être temps d’évoquer le devenir de la Défense nationale, non ? Faut-il vraiment attendre Les Estivales (université d’été du PdG) ?

 

Pour conclure sur une note plus positive (voire moins polémique), et puisque J.-L. Mélenchon le relève aussi, signalons la plainte de Gabriel Amard, de la Communauté d’agglomération Les Lacs de L’Essonne, contre une filiale de la Lyonnaise des Eaux. Amard est aussi l’auteur, aux éds Bruno Leprince, de Terres de gauche, abécédaire des réalités concrètes. Soit aussi de diverses initiatives municipales. Il est aussi l’un des fondateurs de l’association d’élus La Gauche par l’exemple. C’est peut-être moins « passionnant » que la dénonciation de la mollesse du gouvernement Ayrault, mais assurément plus porteur…