Tribunal de Grande Instance de Montpellier 

 

 

11h : je rencontre mon avocate. Nous discutons jusqu’à 12h30. Elle va essayer de s’arranger pour que nous passions tout de suite.

14h : Ça commence bien. L’avocat du prévenu n’est pas là et risque d’être en retard. Je ne passerais donc pas la première…

La juge appelle les avocats. Un prévenu est amené et démenotté. Ce n’est pas mon voleur. C’est un beau black, accusé de vol avec violence. Son affaire est renvoyée. Le procureur demande son maintien en détention jusqu’à la fin du procès en vue de la réitération de ses actes sous alcool et drogue avec trois tentatives d’évasion. Il sera jugé dans trois mois.

Parmi les gens dans la salle, il y a une mamie qui n’arrête pas d’éternuer. Alors elle se mouche dans un mouchoir qui parait mesurer un mètre. Elle porte un bermuda blanc, des basquettes oranges avec des chaussettes blanches. Elle a des lunettes et une béquille.

Un homme blanc à lunettes arrive menotté. Il est blindé d’antécédents en escroquerie. Son explication : il était sous pression de l’église de scientologie. La juge n’y croit pas. Elle vient de le qualifier de manipulateur devant l’éternel, de mythomanie et d’escroc.

Il y a eu une expertise psychiatrique et on se rend compte qu’il avait déjà été condamné trois ans, avant même de rencontrer la scientologie.

Beaucoup de variations dans ses dires. Liste interminable de mensonges… Il a même essayé de se faire passer pour mort. Il y a un gendarme de chaque côté de lui et un derrière.

Là je commence à bailler… Blablabla, faux et usage de faux. Quel profil ! Usurpation d’identité. Il a abusé de la détresse d’autrui. Le procureur demande quatre ans d’enfermement. Son avocat essaye maintenant de le défendre mais au vue de toutes les preuves, ça m’étonnerait qu’il remporte le truc.

(Mon avocate me dit que l’avocat de l’autre est à Toulouse et que donc il va falloir attendre… Apparemment le gars reconnait les vols qu’il a commis pour toutes les victimes sauf avec moi où il n’est pas sûr. Glouk ! Ah non ! C’est parce qu’il ne m’a pas revu, c’est sûrement ça.)

Le gars essaye de faire croire qu’il a une tumeur au cerveau mais il n’y a aucune preuve médicale car ça serait apparemment un docteur en Suisses de la scientologie qui se serait occupé de lui.

Voici le troisième. Celui-là est menotté à l’arrière. Petite pause. Mon avocate me demande d’aller déposer mon dossier de demande d’aide juridictionnelle à l’accueil.

Je remarque que devant chaque porte de salle d’audience, il y a un petit encadré avec le nom d’un philosophe. La mienne est la salle d’audience pénale du tribunal de Grande Instance. C’est la numéro six. Il est écrit :

CASSIN André Juriste français (Bayonne 1887 – Paris 1976)

Nommé membre du conseil constitutionnel en 1960, il présida la cour européenne des droits de l’homme en 1965.

Ses engagements pour la fondation de l’UNESCO et pour l’adoption d’Une Déclaration Universelle des Droits de l’Homme par l’O.N.U. en 1948 lui valurent l’attribution du prix Nobel de la paix en 1968.

Reprise de l’audience.

Le quatrième est déjà emprisonné, il a été pris avec un téléphone dans la poche lors d’une fouille. Téléphone qu’un autre lui a imposé pour ne pas « tomber ». Son avocate a du cran. Elle explique bien les problèmes de prison surpeuplé et manquant de surveillance : « Ils n’ont pas le choix. Règle de sécurité carcérale car si on n’écoute pas plus fort que soit, on sera tabassé plus tard, exemple avec une serviette mouillée sur la tête et pif paf pouf ! »

Le cinquième a déjà six condamnations. Il n’a pas 25 ans.

Le sixième : détention de stup, cambriolage, port d’arme, rébellion, menaces de mort, vol aggravé.

Les affaires concernant les numéros 3, 4, 5, 6 concernent des téléphones trouvés sur les prisonniers. Neuf gendarmes mobilisés avec l’argent du contribuable alors qu’ils auraient pu passer en disciplinaire à la prison même.

L’audience est reprise. Les juges ont délibéré.

Le numéro 2 : 4 ans ferme + 2750€ pour le garage + 3000€ pour chaque personne en préjudice moral.

Les numéros 3, 4, 6 : deux mois de plus en prison.

Le numéro 5 : un mois de plus.

Le 7ème : violence lors d’un changement de cellule, agression avec une fourchette.

Le 8ème apprend que sa copine de 19 ans est enceinte. Il fête ça, picole, prend la voiture, fait un délit de fuite, etc. Il reconnait ses torts. Son avocate dit beaucoup de « euh » et comme tous les avocats entendus cet après-midi, elle emploie souvent le mot « effectivement ».

Le 9ème : violence sur son épouse (récidive). Dans son casier : agression sexuelle sur mineur, violence sur son ex, ivresse régulière. C’est lui qui s’est présenté au commissariat.

Il y en a comme lui, qui ont « une belle gueule ». C’est un beau gosse et ça semble difficile de l’imaginer si violent, et pourtant si… La victime, son épouse, n’est pas là car elle n’a pas été prévenue. Le procès est renvoyé.

Le 10ème a fait venir une interprète français/marocain. La juge n’est pas dupe et lui dit que s’il a été jusqu’au BAC, alors il parle français. Et effectivement, il parle français…  Il a volé du cuivre dans un hôpital. Antécédent de possession de drogue. Retrouvé grâce à une empreinte sur une canette de coca. Six mois de prison. Il a fait ça parce qu’il avait faim.

Le 11ème entre, le bras en écharpe, le visage marqué. Direct il regarde sa victime et son témoin et parle fort en langue du maghreb. Il est accusé aussi de rébellion contre fonctionnaire.

18h44. Je ne suis toujours pas passée, je fatigue !

19h53. Oh punaise ! Le numéro 11 vient d’insulter la juge de pute ! Il a crié que son frère sort de taule dans un mois et qu’il va venir tous les buter ! Il est maîtrisé et sorti de la salle rapidement, mais on l’entend crier de loin…

À mon tour ! J’ai failli ne pas le reconnaître. Il est plus bronzé et a les cheveux plus longs.

Mon avocate n’avait pas encore dit un mot que la juge après avoir fait le compte rendu me demande combien il m’avait volé. Je réponds et du coup elle me demande de venir à la barre témoigner. Et bien franchement, je trouve que j’ai été magistrale ! J’ai bien parlé, surtout quand j’ai regardé le jeune voleur en disant aux juges et à lui que j’aurai pu me faire représenter par une avocate et ne pas venir, mais que si je me suis déplacée jusqu’ici, c’était pour qu’il puisse me regarder dans les yeux et qu’il comprenne que ce n’était pas bien ce qu’il avait fait. Que j’avais fait un pèlerinage pour savoir s’il y avait encore des humains parmi les hommes et que j’avais voulu croire en son humanité et qu’il m’avait blessé, que j’avais dû rentrer en stop à cause de lui, etc.

J’ai eu cinq minutes mais je sais que j’ai fait mouche. Quant à la fin le procureur a proposé 4 ans fermes, glouk, j’ai trouvé que c’était lourd, un peu trop quand même. Cela m’a un peu choqué. J’aurai préféré qu’on l’envoie six mois au Tchad… D’ailleurs j’ai proposé à la juge qu’elle lui fasse payer 1€ symbolique tous les mois pour la maternité de Moundou.

Je devrais avoir normalement 1000€ de dommages et intérêts. Comme il n’est pas solvable, peut-être une association d’aide aux victimes pourra lui avancer l’argent et il leur devra ensuite à eux. Mais pour cela il faut maintenant attendre la rentrée que les secrétaires mettent le procès sur papier…

22h40, je suis enfin arrivée à mon hôtel. Je suis épuisée… Quelle journée!

Sous cet article, vous pouvez retrouver le résumé où je raconte comment je me suis faite avoir en beauté par cet homme qui m’a volé… : http://www.come4news.com/une-marche-pour-la-vie-prologue-et-introduction-du-tome-2-et-laventure-continue-242301