Près d’un tiers de la population du Grand Londres a préféré prendre la fuite en prévision de l’ouverture des Jeux Olympiques, vendredi. Mais cela n’empêche nullement de formidables embouteillages, et une pollution record, qui s’apaisera lorsque les déserteurs regagneront leurs logis… et renonceront peut-être à leurs véhicules pour régler la facture…

Merci, merci Cherie Blair. Selon son mari, Tony, ce serait elle qui aurait fait la nique à Bertrand Delanoë en allant flatter en coulisses les électeurs des petits pays, permettant ainsi à Londres de l’emporter contre Paris.

Les Britanniques ont vu grand, très, et se sont surtout empressés de favoriser la venue des VIP.
Les yachts de luxe sont venus accoster, les limousines encombrent déjà les voies spéciales leur étant réservées pour affluer du côté de Stratford, siège de la plupart des stades et compétitions.

En sus, les agents de sécurité privés de la société G4S, ayant fait largement défaut (et certains, très mal formés, ne parlent qu’approximativement l’anglais), c’est l’armée, qui se déplace en camions ou blindés, et non par les transports en commun (du fait aussi des risques de grèves), qui encombre les voies réservées.

Il en résulte des embouteillages monstrueux, la vitesse moyenne journalière tombant en dessous des 15 km/h, cela en dépit du fait que les employeurs et les administrations ont recommandé le télé-travail aux salariés et fonctionnaires. Les files de véhicules bouchonnent dans les deux sens sur près de 20 km, notamment sur la M4 et l’A40. En sus, après les pluies, un trop beau temps qui oblige les trains à ralentir du fait de la dilatation des rails ou des câbles électriques d’alimentation. Les Games Lines (ou Zil lanes, surnom dérivé des limousines soviétiques Zil) couvrent près 45 km et leur vidéosurveillance fait risquer une forte amende (130 £) à tout conducteur exaspéré s’y risquant…

Pour circuler aisément, y compris sur les voies réservées, il faut le faire entre 06 heures et minuit.

En sus de l’armée, il a fallu faire appel à des réservistes pour contrôler les arrivants dans les ports ou aéroports. 127 000 passagers sont attendus ce jour à Heathrow, et ils devront faire la queue, sauf passe-droits accordés aux VIP.

Cocasse ou affligeant

Outre le fait qu’il est impossible d’apporter de quoi se désaltérer et que les « parrains » de l’agro-alimentaire ou des chaînes de restauration rapide vont se goinfrer aux dépens des visiteurs, ces derniers risquent d’être parfois forts déçus. Ainsi de ceux désireux de suivre les compétitions de plongeons : les tickets sont vendus de 50 à 450 £, voire 725 £, mais cela ne donne pas l’assurance de voir autre chose que les plongeurs émerger : la vue sur les plongeoirs sera bouchée pour environ 3 500 spectateurs (sur 17 500), toutes catégories de sièges confondues.

Le gigantisme ne suffit pas automatiquement à solutionner les problèmes causés par une affluence toujours plus massive. Mais il concourt formidablement à faire exploser les budgets.

Ceux d’investissement, mais aussi ceux de fonctionnement ultérieurs. À New-Delhi, deux ans après les Commonwealth Games, divers stades sont à l’abandon. Il en est de même à Athènes après les JO.

Pour Londres, le club de football West Ham United a jeté l’éponge : plus question, comme prévu initialement, d’utiliser partie des équipements olympiques.

Budget explosé

Paris l’a échappé belle. En 2005, le budget initial s’établissait à 2,37 millions de livres. On ne sait plus trop, à deux jours de l’ouverture des jeux, si le coût final frisera les 12 ou 24 millions. Il restera au moins neuf milliards d’euros à la charge du Trésor britannique et du Grand  Londres. La facture du parc aquatique à plus que doublé, celle du vélodrome plus que triplé.

Il faut dire que le devis d’origine avait omis de prendre en compte la TVA (à 17,5 %). Omission involontaire, bien sûr, bien sûr… Bah, participer n’a pas de prix.

Justement, les participants seront, eux, pour certains, primés. Et pas légèrement. Les médailles d’or seront les plus lourdes de l’histoire des jeux, employant au total huit tonnes d’or pas vraiment bradées par Rio Tinto, le fournisseur.

Mais l’or, c’est de la cacahouète par rapport aux primes. L’Arménie va doter ses champions de primes faramineuses. En France, malgré la crise, le ministère n’a pas vraiment restreint les primes :

• or :                                 50 000 € ;
• argent :                           30 000 € ;
• bronze :                          12 000 € ;
• 4e place :                         10 000 € ;
• 5e à 8e place :                    5 000 €.

Le Comité national olympique français, en se fondant sur des prévisions de performances, et compte tenu des primes collectives, prévoit que les contribuables fourniront environ quatre millions d’euros, rien que les récompenses. Il faut bien sûr ajouter les déplacements, frais de séjour, &c., non seulement des athlètes, mais surtout des officiels.
Croisons les doigts : les Britanniques devraient remporter plus de médailles que les Françaises ou les Français. En Grèce, pour les jeux de Pékin 2008, un médaillé en or remportait 190 000 euros… Pour l’Arménie, cette fois, ce sera 700 000, grâce au geste d’un généreux homme d’affaires… qui brigue aussi des mandats électoraux. Mais ouf, la Chine, suivie des États-Unis et de la Russie devraient remporter le plus de médailles,

Bien évidemment, à cela s’ajoutent le coût des contrats publicitaires, réglés par les clients des marques… ou les téléspectateurs.

13 milliards de livres de retombées

Autant les coûts sont minorés, autant les retombées prévisionnelles sont gonflées. Selon le Premier ministre, David Cameron, sur quatre ans, les JO généreraient 13 milliards de livres pour l’économie britannique. Pour le moment, on a la facture d’électricité, équivalente à celle de 24 000 logements.

Rappelons que Montréal a mis quarante ans à couvrir le coût de ses JO de 1976.

Iain Sinclair, un romancier et essayiste, considère que les retombées attendues constituent « l’escroquerie par excellence » (“the scam of scrams”). Certes, certains pays, comme l’Australie, ont tiré bénéfices des JO. Mais ils sont – lourdement – déficitaires pour quatre pays organisateurs sur cinq. Il compare les anneaux olympiques à des menottes. Son Ghost Milk (crème fantôme) prédit que la seule retombée évidente sera « un gigantesque parc commercial, une forteresse du commerce de détail. ».  Vision pessimiste, subjective, bien sûr.

Mais Barclays Plc pense que les JO ne vont pas freiner la retombée de la livre, surévaluée par les marchés ces derniers temps.

En fait, tenter de mesurer les avantages ou inconvénients de ce type d’événements est malaisé, admettons-le. Il y a les évidences, les quasi-évidences, le douteux… et les effets pervers induits très mal cernés. Ainsi des cyberattaques (12 millions recensées durant les JO de Pékin). L’astuce est de vous diriger vers des sites paraissant officiels pour infecter vos machines (ordinateurs, téléphones).

Peut-être que les quelques 700 millions de livres investies pour contrer ce type d’inconvénient serviront à l’avenir. Allez savoir…

Peut-être que les sommes consacrées à contrecarrer la contrefaçon ne seront pas dépensées en vain (les équipes égyptiennes ont reçu des vêtements siglés Nike… munis de fermetures à glissière signées Adidas).

Il est aussi possible que les victoires remontent le moral général dans les pays ramenant des médailles. Ce qui soutiendrait la consommation (aussi de contrefaçons). On ne sait non plus si le dopage profite aux laboratoires qui fournissent tant les produits dopants que ceux pour les détecter. Cette année, près d’un·e athlète sur deux passera des tests pour détecter l’une des 240 substances recensées. Plus de mille laborantin·e·s manieront 6 250 fioles de sang et d’urine (contre 4 770 à Athènes) pour le compte de GlaxoSmithKline. Les échantillons seront conservés huit ans au frais. Les athlètes seront tenu·e·s de conserver aussi longtemps un passeport biologique (dont le coût m’est inconnu).

Samedi, dans London East, attendez-vous à circuler plus mal encore que d’habitude : War on Want et Occupy London organisent une manifestation. Participation gratuite (prix des tickets pour la cérémonie d’ouverture des JO : de 995 à 2 012 £, et il en reste à vendre).

De quoi sourire…

Nonobstant ces réticences, je vais m’intéresser aux Jeux olympiques de Londres. Parce que, pour meubler entre les sujets sportifs, mes confrères envoyés spéciaux (2 700 rien que pour la chaîne américaine NBC) vont devoir placer des « magazines » sociétaux. Donc aligner les clichés éculés ou mis au goût du jour sur les Rosbifs. Les enthousiastes comme les opposants aux Jeux.

Pour certains, les JO évoquent une réception qui envahit tout mais les exclue et les parque au grenier ou dans la cave. D’autres se réjouissent des victoires à venir. D’autres encore se moquent de tout cela mais s’amusent des « œuvres d’art » parsemées à travers Londres et l’enceinte des jeux, comme ce bus à impériale qui effectue des pompes (dû à l’artiste tchèque David Cerny).
Faute de pouvoir circuler, au moins, il entretient sa forme.

Au fait, il est encore temps de parier sur la couleur du chapeau que Sa Majesté arborera pour la cérémonie d’ouverture : le bleu est donné à trois contre un.
Un chapeau tricolore est donné à 50 contre un…

Pour le moment, le grand bénéficiaire des jeux, c’est Twitter. Selon une étude Ipsos/Reuters, 62 % de la population mondiale (enfin, de 24 pays) s’intéressent aux JO (en particulier en Chine, Inde et Corée du Sud, moins en Belgique, Allemagne et en France, pays le plus rétif).

Beaucoup des intéressés voudront prendre connaissance des derniers éléments, incidents, anecdotes, via Twitter dont la fréquentation est déjà considérablement gonflée par le sujet.
Si c’est bon pour Twitter et Coca-Cola, alors, on aurait tort de bouder…
Pour la plupart de ceux qui profitent financièrement le plus des Jeux, ces derniers sont déjà fait. Inutile d’attendre le décompte des médailles…