Réfutant les avis de divers experts, un professeur de droit public de Pau, Philippe Terneyre, blanchit en 22 pages la vente précipitée de l’hippodrome de Compiègne par Éric Woerth, alors ministre du Budget… Bizarrement, les trois experts nommés par la Cour de justice de la République concluaient, en janvier 2012, dans un document de 152 pages, que l’hippodrome avait été bradé à la Société des courses de Compiègne. Petits arrangements entre « amis-ennemis » ou bienveillants adversaires ?

On ne sait trop pourquoi Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, s’est senti obligé de commander un troisième rapport sur la légalité et le prix de cession de l’hippodrome de Compiègne. La mission a échu à un professeur de droit public de l’université de Pau, Philippe Terneyre. Lequel, en 22 pages, réfute le rapport sénatorial de Nicole Bricq (65 pages) et les conclusions des experts judiciaires, détaillées au long de 152 pages.

Le rapport Terneyre ne manque pas d’étonner. La forêt entourant l’hippodrome et ses bâtiments de prestige n’est déjà plus une forêt puisque l’acte de cession permet de les défricher et lotir. Or donc, « la vente n’avait pas besoin d’être au préalable autorisée par une loi, car les parcelles en cause ne constituaient pas une forêt. ». Certes, les arbres ne font pas la forêt, surtout s’ils sont destinés à des coupes claires. 

Il en découle que, puisqu’il ne s’agit pas d’une forêt, « les parcelles ne constituaient pas des dépendances du domaine public de l’État. ». Peut-être du domaine privé d’un ministre, alors ?

Le prix ne constituerait pas « une libéralité en faveur de l’acheteur, ni une mauvaise affaire pour l’État. ». Juste un manque à gagner de quelque six millions d’euros selon les experts judiciaires.

Après tout, pourquoi faire un vrai appel d’offres si on peut vendre directement au prix de la troisième démarque. Cette « promotion » n’a pas vraiment profité à Éric Woerth, qui se voyait déjà Premier ministre après son passage au ministère du Travail.

Et le coup fatal : si l’État serait dans son tort, il ne serait pas question de faire payer le ministre, mais de régler à l’acheteur dédommagement « pour les éventuels préjudices subis du fait de la faute commise par [l’État] à avoir conclu un contrat nul. ». Déjà, la Société des courses bénéficiait d’un loyer vraiment aménagé, ensuite elle bénéficie des produits de l’exploitation de l’hippodrome depuis sa vente, en mars 2010, mais à présent Jérôme Cahuzac ne fera annuler la cession que « si cela n’expose pas l’État à verser une indemnisation. ».
Si on comprend bien, même si la justice allouait à la Société des courses l’euro symbolique, compte tenu des bénéfices engrangés en plus de deux ans, le jeu n’en vaudrait pas la chandelle pour le contribuable.

Trois ans de sursis ?

 

L’actuel ministre du Budget se réserve la possibilité d’intenter une action qui « reste possible au cours des trois prochaines années. ». Bien fort bien acquis doit profiter au maximum. Et puis quoi après ? On reloue l’hippodrome à l’actuel propriétaire ? Ou on passe un appel d’offres ?

La forêt de Compiègne est devenue pour partie champ de courses en 1871. Mais l’édit de Moulins (de 1566), pris par Charles IX, reste en vigueur puisqu’il a été confirmé par la loi 3111-2 du Code général de la propriété des personnes publiques.

 

On se demande si l’actuel gouvernement socialiste ne s’apprête pas à vendre des plages et des fleuves à la Chine ou à tout acquéreur se présentant. L’hippodrome lui-même (tribunes, écuries, guichets…) étaient également la propriété de l’État jusqu’à la vente. C’était stipulé noir sur blanc dans la convention d’occupation, mais pour Philippe Terneyre, peu importe. Mieux, l’État pouvait récupérer le tout sans avoir à verser la moindre indemnité, et il pouvait même demander la remise en état initial, soit la reconversion en forêt, sans avoir le moindre euro à débourser.

Éric Woerth avait, de manière régalienne, hâté la cession « à quelques jours du remaniement ministériel » qui en fit un ministre du Travail, avait relevé le procureur général de la Cour de cassation.

Le professeur admet cependant qu’une « nouvelle expertise indépendante » pourrait établir que les contribuables n’ont pas fait une bonne affaire. Or donc, cela implique que l’expertise judiciaire n’était pas indépendante ?  Elle a été pourtant menée du temps du dernier gouvernement Fillon.

On se demande si Philippe Teyrneyre vendrait ses propres biens, immobiliers ou mobiliers, à 3,5 fois moins cher à des amis choisis sans considérer qu’il s’agisse d’une libéralité. C’est juste un rabais amical de deux-tiers, rien de plus.

 

Tout cela est fort inquiétant. Jérôme, frère d’Antoine Cahuzac, président du directoire d’HSBC Private Bank France, dont la maison mère est impliquée dans des opérations de blanchiment d’argent des cartels mexicains des stupéfiants, chercherait-il à jeter de la poudre aux yeux des contribuables ?

Verra-t-on bientôt Éric Woerth jouer les Bernard Tapie et se voir régler rubis sur l’ongle par Moscovici des indemnités pour prix de la douleur morale subie ?

 

Ce singulier rapport devait statuer sur la seule légalité de la vente. Nullement sur le prix de cession. Mais rajouter que l’État n’aurait pas fait une si mauvaise affaire arrange bien la réputation d’Éric Woerth.

 

L’affaire prend un tour politique car bien évidemment, le parti du capteur d’héritages et du débiteur défaillant, le Front national, va pouvoir hurler à la collusion UMPS.

 

On oublie dans cette affaire qu’Antoine Gilibert, de la Société des courses, était un donateur de l’UMP du temps où Éric Woerth cumulait des fonctions ministérielles avec celles de trésorier de cette union « populaire ». Que Florence Woerth avait monté une écurie de courses. On oublie aussi que le ministère de l’Agriculture, pourtant lui aussi doté d’experts juridiques, avait estimé qu’une cession de l’hippodrome par vente n’était pas possible. L’Office national des forêts serait-il lui aussi dépourvu de tout conseiller en droit administratif ?

L’argumentation principale de Ph. Terneyre est que les divers codes forestiers successifs ne définissent pas ce qu’il « faut entendre, en droit, par “bois et forêt” ». Et pour les plages ou le littoral, c’est défini ? Il va plus loin : on ne sait quand les parcelles vendues ont été initialement intégrées dans la forêt domaniale de Compiègne. Dans ce cas, n’importe qui peut s’en prétendre le légitime propriétaire, non ? Et pourquoi pas le ministère de la Défense puisque, initialement, elles avaient été déboisées pour servir de champ de manœuvre ? Ah, mais comme il en avait perdu la clef, hein…

Puisque la forêt n’est pas définie, pourquoi ne pas qualifier aussi de forêt une zone de décharges industrielles, un complexe sidérurgique, et obtenir à ce titre des droits à polluer ?

Le professeur estime que l’action de l’État serait prescrite depuis le 18 mars 2010. C’est exact. En vertu du code civil.

 

Le plus beau est que, si la Société des courses avait pu lotir ses parcelles en restant locataire, l’expert en droit prédit que, lorsque toutes ces nouveaux bâtiments seraient revenus à l’État en 2021, il n’aurait su qu’en faire à moins de démolir ou reconstruire. Certes, en onze ans, tout s’effondre, plus rien ne vaut plus rien… On y croit très fort…

Et la cerise sur le gâteau : puisque le prix de location était ridiculement bas (43 343 euros de l’an, qui en rapportent combien au juste ?), et que le prix de vente représentait 57 années de location, au lieu des onze attendues pour récupérer le tout gratis, tout est bien dans le meilleur des mondes pour le contribuable Terneyre.

Transposons. M’sieur Terneyre loue un gaymard (160 m², surface du logement de fonction de l’ex-ministre homonyme) à sa nièce cent euros de l’an, au cœur de la partie très chic de l’Île-de-France, elle lui en propose 5 700, il fait une excellente affaire tant bien même que tout l’entretien du bien incombe à sa nièce dont le bail expire en 2021. Bref, sa nièce lui consent une libéralité, est-on prié de croire.

 

C’est un peu comme la finance, le droit : le citoyen est censé n’y rien comprendre. Nos ministres intègres non plus, d’ailleurs. Terneyre admet qu’un expert indépendant pourrait trouver à y redire. Qui cela ? Tony Blair, pour qui pendre des banksters serait contreproductif ?

 

En 2007, Philippe Terneyre fut nommé membre d’un groupe de travail du Conseil d’État (dont on connaît le mode de désignation), puis promu l’année suivante à la Commission supérieure de codification. Il n’avait pas alors pensé à définir ce que pouvait bien être une forêt, il y réfléchit depuis.

En 2011, il publiait, avec le pr Fatôme, un article intéressant : « Faut-il abandonner la théorie des biens de retour dans les délégations de service public ? ». Ces biens appartenant dès l’origine à la personne publique doivent lui être restitués gratuitement à expiration de la convention. Tiens, pourquoi donc ? Nationaliser les pertes, privatiser les profits, on connait…

Un impair politique ?

On verra si, avec Éric Woerth pour parrain, Ph. Terneyre figurera dans les prochaines promotions de la Légion d’honneur, et si J. Cahuzac lui remettra la décoration en mains propres. Avec pot de l’amitié ensuite à la villa mauresque de La Cavelerie d’Antoine Gillibert, afin de permettre aux Sarkozy de venir en voisins du Cap Nègre ?

Prenons cependant du recul. Le PS ne peut se permettre d’agir en France comme le parti de Victor Ponta et ses alliés libéraux de l’USL roumaine agissent. Soit manipuler les institutions pour dénoncer les turpitudes de leur opposition et s’amnistier des siennes. Demander un avis à un professeur de droit proche du Conseil d’État était peut-être judicieux. Mais si son analyse était battue en brèche par d’autres, en rester là serait pour le moins surprenant.
Et cela donnerait de surcroît des munitions à qui dénonce déjà la collusion entre le pouvoir sortant et l’actuel.

Rappelons que Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard ont déposé leur candidature pour rejoindre la Cour de Justice de la République. En janvier 2011, Marine Le Pen soulignait : « On se rappelle également que le président de l’Immobilier de l’État n’était autre que Georges Tron, autre apostat villepiniste, avant sa nomination au poste de secrétaire d’État auprès… d’Éric Woerth. ». Alors que Philippe Marini, sénateur de l’Oise et maire de Compiègne, rejoint la concurrence directe du FN, soit la Droite populaire de l’UMP, le Front ne ratera pas une occasion de l’attaquer. D’autant que le sénateur-maire, avec l’appui du PS, a obtenu la présidence de la commission des Finances du Sénat. Nicole Bricq, qui s’était penchée sur la vente de l’hippodrome, n’a que très peu apprécié…

Comme a pu l’exprimer par après Corinne Lepage dans Mediapart, dans ce rapport,  « c’est ce prix qui justifie dans la consultation du professeur Terneyre la proposition qu’il formule. De la même manière, c’est le loyer ridicule consenti au locataire acquéreur qui justifie également le faible prix de vente. Le serpent se mord donc la queue ! ».

Pour le moment, Éric Woerth, en dépit des nombreuses incitations de ses partisans et de la base UMP pour poursuivre un peu tout le monde en diffamation, s’abstient. Il est vrai qu’il reste poursuivi aussi en d’autres affaires…