Nous avions évoqué ici le scandale britannique de la manipulation des cours interbancaires du Libor qui, après des tergiversations gouvernementales, donnera lieu à une enquête pénale. Les démissions à la tête de Barclay’s Bank dont le Pdg a été auditionné par le Parlement britannique, n’ont pas servi de contre-feu… L’autorégulation connaît ses limites (même si, en France par exemple,les banques se sont mises d’accord pour réduire leurs commissions sur les transactions de leurs clients entre banques concurrentes). Sur le sujet de l’autorégulation, on consultera avec intérêt, sur Mediapart (en accès libre), un billet de Marie-Caroline Porteu traitant de la totale immunité des « banksters ».

L’austérité ne sera pas compensée par le contrôle des prix, mais diverses mesures contraignantes commencent  à   être  prises.
Ainsi, en France, pour éviter une amende de l’Autorité de la concurrence, les banques se sont d’elles-mêmes (enfin,presque…) engagées à moins facturer les transactions interbancaires de leurs clients, puis à les supprimer en septembre 2012.

Au Royaume-Uni, c’est un  organisme similaire qui  vient de  faire fléchir les  compagnies aériennes low-cost  qui  devront non  seulement inclure directement dans leurs tarifs  leur  facturation  des paiements par cartes de débit ou crédit (de  fait, seule manière d’obtenir un billet), mais en réduire aussi les montants ainsi que d’autres, portant essentiellement sur les bagages.

Mais pour le secteur bancaire, le fait du jour reste que, quand même, après avoir tergiversé, tenté de rejeter les responsabilités sur ses prédécesseurs, le gouvernement britannique consentirait à ce qu’une enquête pénale sanctionne les  diverses banques  ayant  trafiqué les cours du Libor à leur profit et au détriment de leur clientèle.
Nous avions fait état de ce scandale (voir « Finance  : la City  sous  des  feux croisés »)  qui s’est amplifié et a conduit à la démission du président de Barclay’s mais aussi, finalement, en dépit de sa résistance initiale, à celle du Pdg., l’Américain Bob Diamond.

En fait, une affaire similaire a aussi entaché davantage la réputation peu reluisante de la Royal Bank of Scotland (RBS, dont les filiales, NatWest et UltsterBank sont très présentes sur le marché des particuliers  britanniques), et la  manipulation  des  cours du semble avoir touché une vingtaine d’établissements bancaires britanniques ou mondiaux.

Tergiversations

Le chancelier (ministre des Finances) Georges Osborne, a bien tenté d’incriminer le gouvernement travailliste  de  Gordon Brown, il n’a  pas  convaincu  les  parlementaires et le  chef de file des travaillistes qui a considéré qu’il ne fallait pas se contenter d’une commission d’enquête parlementaire et qu’une enquête pénale s’imposait.
En fait, les  travaillistes et la Bank of England ont peut-être couvert les agissements des banksters de la City mais le même Square Mile a sans doute bénéficié des mêmes complaisances de la part de leurs successeurs conservateurs, ce qu’une enquête pénale serait mieux à même de dévoiler.
Mais, plus largement, la  question  de la connivence  entre les  politiciens  de  tous  bords et les banksters se pose aussi  à  l’échelle  européenne. C’est le sens  du billet de Marie-Caroline Porteu,
traitant du MES et d’autres traités européens : « immunité des criminels : Marianne en deuil » (en
accès libre sur Mediapart).
Tout comme M.-C. Porteu, bien d’autres se sont élevés contre les dispositions de l’art. 35 du traité
européen régissant le MES (Mécanisme européen  de stabilité). Il prévoit que tous les gouverneurs,
administrateurs et la  direction ainsi que  tous  les membres  du MES « ne peuvent  faire l’objet
de poursuites en raison des actes accomplis dans l’exercice officiel  de leurs fonctions  et bénéficient de l’inviolabilité de leur papiers et documents officiels.
».

Un blanc-seing criminel

C’est à la fois judicieux et dangereux. Judicieux car cela implique que les décisions du MES ne pourront être contestées devant des instances judiciaires si elles venaient à déplaire aux banksters
et autres dirigeants d’établissements financiers agissant au nom de leurs actionnaires.
C’est dangereux lorsqu’on sait que la direction et les organismes de contrôle du MES seront issus
de la clique même des banksters.

Au-delà, il faudra bien contrôler et réguler davantage la finance. À quoi bon des amendes, qui finiront par être payée par les déposants et épargnants (voire par les contribuables si les banques sont encore une fois renflouées par elles et eux) ?

M.-C Porteu cite Joseph Stiglitz à fort juste titre : « l’opposition de la BCE à une gouvernance démocratique. C’est un comité secret de l’Association internationale des swaps et dérivés, une organisation professionnelle, qui décide si un incident de crédit a bien eu lieu. Or les membres de cette association ont un intérêt personnel dans ce type de décision. Selon la presse, certains d’entre eux utiliseraient leur position pour défendre une attitude plus accommodante au cours des négociations. Il paraît inconcevable que la BCE délègue à un comité secret d’acteurs du marché en situation de conflit d’intérêts le droit de décider ce qu’est une restructuration acceptable. ».

Elle rappelle aussi la judicieuse intervention de J.-F. Gayraud devant la commission spéciale du Parlement européen sur la criminalité organisée du 19 juin dernier : « certains acteurs des marchés financiers et bancaires sont aussi parfois des prédateurs. ». Certes, on le voit, le journaliste Denis Robert (affaire Clearstream I, voire II) a été entendu. Écouté ? C’est tout autre chose puisque les décisions prises au niveaux des États membres ou de l’Union européenne sont fort timides. 

Ce rapide résumé de la contribution de M.-C. Porteu ne dispense pas de la lire, mais pour les pressés, elle conclut que, dès 2011, divers acteurs supposés contrôleurs et régulateurs n’ignoraient rien des manipulations graves sur le Libor. La Comco suisse va enquêter sur une douzaine de banques…

L’immense problème, c’est que ces manipulations qui ont sans doute aussi touché l’Euribor, ont de fait fortement influé sur les ressources des particuliers mais, plus largement, masqué l’ampleur de la crise monétaire dans la zone euro et les pays voisins, dont bien sûr le Royaume-Uni.
On n’a cessé de dire que les dirigeants politiques européens étaient trop mous, trop timorés, faisaient tout trop peu et trop tard… On comprend mieux pourquoi à présent, car soit les réalités leur étaient soigneusement cachées, soit ils avaient consenti à leur dissimulation pour ne pas susciter de réactions du public, des nations.

Encore une fois, divers États se sont opposés aux intérêts de leurs Nations respectives. Les piteux efforts du gouvernement britannique conservateur pour conserver ce scandale sous la houlette du Parlement et d’éviter que la justice déballe tout sur la place publique montrent à quel point ces questions sont cruciales.

En fait, ce qu’on reproche à l’actuel gouvernement roumain, qui manipule les règles de l’état de droit à son profit et celui de sa majorité, on pourrait tout autant le reprocher aux gouvernances européenne et de la plupart des pays.

M.-C. Porteu est charitable en concluant : « Il existe encore des “politiques” honnêtes en France, j’en suis convaincue , par contre ils ne sont pas toujours informés, surtout des dessous des cartes. ». Il existe aussi des complicités objectives indéniables qui finissent par se révéler au grand jour. 

Au cours de la dernière campagne électorale, non seulement l’intéressé lui-même, mais des ministres censés congrus en affaires financières, des député·e·s, des élu·e·s du Sénat féru·e·s en droit des affaires n’ont cessé de seriner que Nicolas Sarkozy avait « sauvé l’Europe et l’euro… ».
Qui peut en être sûr ? Qui peut surtout le garantir si on reprend les mêmes ou leurs complices pour recommencer sans cesse ?

En fait, oui, la paupérisation des peuples, la croissance d’un chômage censé favoriser la compétitivité en pensant sur les rémunérations les plus faibles, le contingentement d’un assistanat qui n’a pas d’issue (obliger des gens à travailler pour gagner moins ou à peine plus que ce qu’ils perçoivent à présent n’en fait pas des consommateurs), a été voulue par les banksters, et relayée par les dirigeants et la plupart des parlementaires.

 

On veut faire croire que le nationalisme serait la solution. Cela relève plus de la croyance que d’autre chose. Les petits arrangements et services rendus entre financiers nationaux et politiciens nationaux ne changeront pas grand’ chose.

Comme le soulignait Edwy Plenel de Mediapart sur France Culture (chronique intitulée « la mafia, nom commun du pouvoir moderne »), « il faut lire Le Retour du prince de Roberto Scarpitano, juge antimafia à Palerme, pour comprend l’intime corruption du pouvoir, en Italie comme ailleurs. ».

Ailleurs, serait-ce aussi ici et maintenant ? L’adage veut que les escrocs compétents ne se font jamais prendre. Mais toute règle connaît sa ou ses exceptions. Et certains se font encore pendre.