Est-il vraiment utile de voter sous un régime de monarchie exécutive, où les élus n’ont qu’une marge de manœuvre symbolique ? C’est, entre autres, la question qu’a posée le débat organisé par la Fondation Friedrich Ebert.

“Je n’irai pas voter. Pour élire un gouvernement stérile, je n’en vois pas l’utilité”, s’indigne Aziz, un des nombreux internautes qui ont répondu à la question posée par le site web www.maroc-elections.com, au sujet de l’utilité du vote dans une monarchie exécutive. Les résultats de ce sondage, qui a reçu plus de 41 000 réponses, ont été exposés la semaine dernière aux partis dans le cadre de deux panels, organisés par la Fondation Fredrich Ebert et le journaliste Driss Ksikes.

 Les invités étaient appelés à répondre à plusieurs questions, dont l’utilité des élections, le pouvoir des partis, leur identité, les alliances… En face d’eux, des représentants de la société civile, appelés à mettre les politiciens devant leurs contradictions et à ramener les plus démagogues d’entre eux vers un discours plus terre-à-terre.

La première question, concernant les pouvoirs du roi, a définitivement déchaîné les passions du côté des internautes sondés, donnant lieu à plus d’une centaine de commentaires, entre défenseurs et opposants de la monarchie exécutive, et ceux qui prônent un juste milieu.

Pour autant, les positions ne sont pas si tranchées. “Les réponses sont assez mitigées. Elles peuvent être classées en catégories, mais certainement pas en fonction des pour et des contre”, insistent les concepteurs du site.

L’étendue des pouvoirs royaux a ainsi de nombreux détracteurs, comme cet internaute qui pense “qu’aujourd’hui au Maroc, on n’a d’autre choix que d’applaudir les initiatives du roi, même si on n’est pas d’accord (…), ce qui est une insulte à l’intelligence du citoyen marocain”. Walid renchérit : “Le drame du Makhzen, c’est qu’il ne peut prétendre à aucune légitimité démocratique (…). En plus, il est aussi généreux avec ses serviteurs zélés que terriblement rancunier avec ses opposants et supposés ennemis. Je voudrais que l’on m’explique le sens des élections dans un tel régime”.

Mais la monarchie exécutive a aussi “ses défenseurs”, à l’image de Souhaïl : “Entre mon roi et moi existe un lien sacré, la Bey’a. Via ce contrat, je désigne le roi comme étant mon seul représentant, législatif, judiciaire et exécutif et je suis contre toute réforme constitutionnelle qui vise la limitation de ses pouvoirs”.

Le juste milieu ? Il est prôné par les “ni soumis ni rebelles”, comme cet internaute qui pense que “la monarchie constitue un tout petit frein. J’irai voter pour essayer de mettre les bonnes personnes au bon endroit”.

Jamais sans le roi !
Qu’en pensent les politiciens ? Sont-ils gênés ou confortés par cette institution royale qui agit de façon transversale, en raison des larges pouvoirs que lui concède l’article 19 de la Constitution marocaine ? Cette question taboue n’aura pas, on s’en doute, de réponses “inédites”. Mais elle a eu quand même le mérite de pousser les conférenciers au bout de leur logique. À quoi sert le vote, si c’est le roi qui règne et gouverne en maître absolu ? “Il n’y a aucune contradiction entre la monarchie et les partis politiques. Tous les deux doivent avoir un rôle exécutif”, souligne Adnane Benchekroun, du Parti de l’Istiqlal, aussitôt repris par Mohamed Sassi, du PSU : “Vous défendez un système paternaliste du pouvoir”. Pour ce dernier, cet ancrage aveugle à la monarchie n’a pas de sens. “Et si demain le roi vous soumet un projet de révision de ses propres pouvoirs, allez-vous vous y opposer, parce que vous tenez tant à ce qu’il les garde ?”, adresse-t-il à l’Istiqlalien sur le ton de la provocation. Éclats de rire dans l’assistance.

Mais ce qui est important à souligner, c’est que la question des pouvoirs du roi a permis de mettre en exergue les rapprochements idéologiques entre les partis. Le PJD (représenté par Mustapha Khalfi) et l’Istiqlal s’entendent sur le rôle central de la monarchie qui, à leurs yeux, ne peut pas se contenter d’un rôle de figurant, vu son rôle social et religieux. Une position somme toute classique, venant de deux partis conservateurs.

Pour l’USFP, la question est plus délicate, vu son passé révolutionnaire. Khalid El Hariry, porte-parole socialiste du jour, avance qu’il faudrait commencer par réformer l’existant pour arriver à “un premier ministre issu de la majorité, un gouvernement cohérent et un Parlement efficace”. L’élargissement du champ d’action gouvernemental pourrait, dans l’esprit des socialistes (qui ne le disent pas ouvertement), réduire les prérogatives royales. “Mais le roi reste quand même un acteur incontournable”, estime El Hariry.

Les élus ? De simples assistants
Représentant la gauche non-gouvernementale, Mohamed Sassi se montre aussi peu “diplomate” que catégorique : “Il n’y a pas de démocratie avec une monarchie exécutive”. Sassi est d’accord sur la théorie de l’amélioration de l’existant prônée par l’USFP, mais il ne se fait pas d’illusion. Sa lecture de l’histoire de la participation des partis de gauche au pouvoir le conduit à affirmer que le pouvoir se concentre davantage dans les mains du roi au lieu d’aller vers le parlementarisme. “La gauche a voulu participer au pouvoir pour le changer de l’intérieur. Mais les choses se sont passées autrement. Les élections ne servent qu’à offrir des assistants à l’institution royale”, dit-il.

Au final, le champ politique donne une image pour le moins hétérogène. “Entre la monarchie qui se donne les pleins droits sous prétexte que le Maroc est en transition, les partis politiques qui dénoncent discrètement l’empiétement du roi sur leurs plates-bandes et le citoyen lambda qui démissionne car il ne se retrouve pas dans ce système confus, nous sommes simplement dans un cercle vicieux”, constate Abdelali Benamor d’Alternatives, guère convaincu par les explications des politiciens invités.

L’écrivain Driss Jaydane Chraïbi a préféré poser la question du point de vue du citoyen lambda. “Quand on est marocain, vers qui peut-on se tourner ?”. La réponse est sans équivoque : “Dans l’esprit des citoyens, explique l’écrivain, Mohammed VI donne l’image du chef providentiel, qui amène le changement et qui décide dans des volets concrets de la vie de tous les jours, contrairement aux politiques”. Le piège est que “si on affirme que les partis ne sont pas qualifiés, on accepte automatiquement le pouvoir absolu de la monarchie”, dixit un internaute. Retour à la case départ.